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INTRODUCTION DE LA PARTIE 2

Après avoir analysé le rôle du référentiel éthique dans la construction et le façonnement des fondements théoriques économiques et financiers, cette seconde partie se propose de décrire deux formes actuelles de pratiques financières revendiquant un ancrage éthique et normatif. Il s’agit de l’Investissement Socialement Responsable et de l’Investissement islamique ou

shariah-compatible. L’objectif de cette seconde partie est donc d’analyser chacun de ces

concepts qui représentent les deux objets centraux de notre recherche. Malgré leur ancrage éthique commun, l’ISR et l’investissement islamique présentent néanmoins des caractéristiques et des profiles assez distincts. Nous nous évertuerons dans cette partie à fournir une description précise de leurs fondements théoriques et/ou normatifs, de leurs pratiques respectives, de leur marché ainsi que de leurs principaux enjeux. La structure de la partie 2 se présente ainsi : le chapitre 3 sera consacré à l’ISR et le chapitre 4 à l’Investissement islamique. Une conclusion finale fera le lien entre les éléments descriptifs présentés dans cette partie et l’analyse épistémologique entreprise dans la première partie

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Introduction générale

PARTIE 1

ANALYSE EPISTEMOLOGIQUE DU DISCOURS ETHIQUE DANS LES

SCIENCES ECONOMIQUE ET FINANCIERE

Ethique et économie, d’un divorce forcé à un remariage de raison

Limites théoriques de la « science » financière moderne : épistémologie d’une contre-éthique

PARTIE 3

EXPLORATION EMPIRIQUE ET COMPARATIVE DE L’INVESTISSEMENT

SOCIALEMENT RESPONSABLE ET DE L’INVESTISSEMENT ISLAMIQUE

Le profil financier et social des indices ISR et islamique

An empirical investigation of the link between Shariah compliance and social performance

PARTIE 2 FORMES ET ENJEUX DE L’INVESTISSEMENT ETHIQUE : LE CAS DE L’INVESTISSEMENT SOCIALEMENT RESPONSABLE ET DE L’INVESTISSEMENT ISLAMIQUE

L’Investissement Socialement Responsable

L’Investissement Islamique

Introducing SRI criteria into Islamic portfolios

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1. Introduction

Ce chapitre s’intéresse à la forme la plus répandue d’investissement éthique qui se présente sous l’appellation « Investissement Socialement Responsable » ou ISR. Nous répondrons aux interrogations suivantes : comment se définit l’Investissement Socialement Responsable ? Quelles en sont les bases fondatrices et les objectifs ? Quels sont ses enjeux ? Jusqu’à aujourd’hui ces questions laissent apparaitre certaines divergences d’opinions qui ne permettent par de proposer une définition officielle de l’ISR. Différents acteurs institutionnels, médias spécialisés75, analystes extra-financiers76, groupements de promotion ou cabinet de gestion77 ont tenté d’en proposer un cadre de référence. De leur coté, certains legislateurs cherchent à légitimer ces pratiques en appellant à plus de transparence de la part des gestionnaires professionnels78. Néanmoins, la pluralité des appellations et des pratiques d’investissement éthique reste une barrière à son étude. ISR, Investissement Responsable, Investissement Durable, Investissment « vert »… sont autant d’avatars qui soulignent la difficulté de donner une definition commune à tous dans ce « florilège lexicale ». Nous faisons le choix dans ces travaux d’utiliser le terme générique d’ « Investissement Socialement Responsable » ou son abréviation « ISR », appellation la plus diffusée auprès des chercheurs et praticiens. Il est a noté que malgré la grande diffusion de la terminologie « ISR » au sein de la sphère académique et financière, « l’utilisation du terme éthique reste encore forte car elle permet notamment dans les ouvrages et articles de vulgarisation de faire immédiatement le lien avec les notions de morale et de valeurs. […] le terme éthique reste un terme au grand pouvoir de vulgarisation qui assure […] bien plus fortement que les termes « socialement responsable » et « durables » une saisie immédiate du sujet par le lecteur non initié. » (Giamporcaro-Saunière, 2006 p.29). Le tableau 2 liste les acronymes qui seront régulièrement mentionnés dans cette partie.

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Voir label ISR Novethic, www.novethic.fr

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Vigeo, Innovest, EIRIS, KLD, SiRiCompany pour les principaux et plus connus.

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Se référer au Code de transparence européen de l’ISR, initié par l’Association Française de Gestion Financière (AFG) et le Forum pour l’Investissement Responsable (FIR).

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Projets de loi Grenelle 1 et 2 incitant les sociétés de gestion à décrire la méthodologie d’intégration des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance dans leur gestion. (Source : www.novethic.fr)

99 Tableau 2 – Equivalence français/anglais des acronymes relatifs à nos objets d’étude Acronyme

français Concept de référence

Acronyme

anglais Concept de référence ISR Investissement Socialement Responsable SRI Socially Responsible Investment

ESG Environementale, Sociale et de Gouvernance ESG Environmental, Social and Governance

RSE Responsabilité Sociale de l'Entreprise CSR Corporate Social Responsibilty

PSE Performance Sociale de l'Entreprise CSP Corporate Social Performance

PFE Performance Financière de l'Entreprise CFP Corporate Financial Performance

ISC Investissement Shariah-compatible SCI Shariah-compliant investment La construction de l’ISR a été un long processus évolutif. Il s’est imprégné au cours de son évolution de différents courants disciplinaires tels que l’éthique normative ou l’éthique des affaires avant de se cristalliser plus récemment autour des concepts de Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) et Développement Durable (DD). Il est donc utile, avant toute chose, de resituer l’ISR dans le temps et d’en définir les contours conceptuels. Afin de bien appréhender ce premier chapitre, il convient tout d’abord de donner la vision la plus précise possible de la période qui peut être considérée comme celle de la naissance de l’ISR qui se présentait alors comme une application de la morale réligieuse dans l’univers financier.

Il s’agit dans un premier temps de décrire historiquement et chronologiquement l’évolution de l’ISR, depuis l’apparition des premiers investissements dits « éthiques » ou « moraux » jusqu’à son « attelage aux mouvements de la RSE et du développement durable » (Giamporcaro-Saunière, 2006 p.44), en passant par le développement de l’activisme actionnarial. Dans un second temps, nous analyserons le phénomène de « financiarisation » de l’investissement éthique, qui débouchera au cours des années 1980-1990 à l’apparition d’une forme d’ISR plus moderne, combinant contraintes éthiques et financières. Une étape majeure va permettre ce développement et cette mue : l’apparition d’analystes extra-financiers, qui vont jouer un rôle prépondérant dans cette évolution, permettant l’intégration d’ entreprises sur la base de leurs notations RSE au sein des portefeuilles d’actifs. En effet, les fonds ISR vont être conduits à intégrer de plus en plus les critères dits ESG (Environnement, Social, Gouvernance) dans leur processus d’investissement, favorisant ainsi l’émergence d’un ISR doté d’une méthodologie plus sélective et plus inclusive. Les entreprises, notées sur des bases sociétales par les analystes extra-financiers, sont intégrées dans les fonds ISR à partir d’un cadre de référence précis définis par les gestionnaires de portefeuilles alliant objectifs éthiques (défense de l’environnement, défense des droits humains, etc.) et financiers (optimisation du couple

100 rentabilité / risque).Dans un troisième temps, nous analyserons le positionnement du marché ISR et dresserons un état des lieux actuel du marché mondial, de sa taille dans la sphère financière mondiale et de son implantation au sein des différents marchés internationaux. Enfin, nous décririons le fonctionnement des agences de notation extra-financière dont l’objectif est d’évaluer les pratiques managériales des entreprises vis-à-vis des dimensions ESG. Une analyse critique des différentes approches et méthodes d’évaluation proposées est également élaborées.

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2. Origines et fondements de l’Investissement Socialement Responsable

De nombreux chercheurs qui se sont intéressés à ce concept admettent volontiers que ce terme à pour origine historique la création du mouvement « Société Religieuse des Amis » durant le 17ème siècle dont les membres sont nommés les « Quakers » (Kinder et Domini, 1997; Férone et al., 2001; Déjean, 2002; Kurtz, 2002; Sparkes, 2003; De Brito et al., 2005; Déjean, 2005; Louche et Lydenberg, 2006; Saadaoui, 2009; Revelli, 2011). L’origine précise de la naissance de ce mouvement religieux anglais, à travers son fondateur George Fox, se situe entre les années 1648 et 1652, avec une période phare de fort développement entre 1650-1660 (Dandelion, 2007). Cette Société des Amis se présente comme un mouvement hétérodoxe issu de l’église anglicane qui tranche néanmoins avec sa doctrine puritaine. Elle se différencie des autres tendances du christianisme par l'absence de credo et de toute structure hiérarchique. Il s'agissait alors de se distinguer encore plus du christianisme primitif que les autres mouvements de l'époque, allant même jusqu’à rejeter le clergé professionnel et la seule autorité de la Bible. Ses principes se base sur le rejet des richesses ou du pouvoir et sur la mise en avant de principes moraux tels que l’égalité et l’intégrité dans les relations privées et professionnelles. Les premières illustrations de ces considérations éthiques s’observent dans les revendications humanistes et sociales dans la conduite des affaires qui s’opèrent en Grande-Bretagne (Férone et al., 2001). Leur importance se fait croissante au 18ème siècle jusqu’à devenir des discours récurrents dans la sphère économique à partir du 19ème siècle. Parmi les grandes entreprises, notamment au sein de l’industrie financière, détenues par ses membres on note de grands noms tels que Barclays, Lloyds, Cadbury, Price Waterhouse… Si l’émergence du mouvement Quaker marque un tournant important dans l’histoire de l’investissement éthique, on ne peut réduire cette dernière à ce seul mouvement. En effet, la forme la plus ancienne de l’investissement éthique peut être décelée dans les interdits qui concernaient les pratiques de l’usure au sein des différentes traditions religieuses et philosophiques. Sous l’Antiquité, dans les régions du proche orient, comme durant l’ère Grecque et Romaine, le prêt à intérêt constituait une pratique très répandue bien qu’elle fût l’objet de nombreuses controverses et condamnations auprès d’intellectuels, de théologiens et de philosophes, dont Aristote fût certainement l’un des plus célèbres. Des observations historiques font état de taux d’intérêts abusifs79 dès le troisième millénaire avant notre ère au

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Sous le règne d’Hammurabi, le taux réglementaire était fixé à 20% pour le prêt d’argent et plus de 30% pour certaines denrées (blé, dattes, etc.)

102 sein de la civilisation Babylonienne (Cardahi, 1955). L’historiographie antique permet de comprendre le contexte social qui a conduit à l’interdiction de l'usure dans l'Ancien Testament. Il existe depuis lors une longue tradition de condamnation chrétienne de cette pratique. Les premiers pères de la chrétienté reprendront à leur compte la prohibition judaïque originelle80.

Comme le souligne justement Dembinski (2002, p.6), « la notion d’investissement responsable fait référence au sujet qui considère que l’acte d’investir n’est pas neutre du point de vue moral, et qui entend donc le soumettre à des critères éthiques. Toutefois, les critères éthiques ne sont pas nécessairement les mêmes pour tous les acteurs et, même s’ils convergent, ils ne s’expriment pas de la même manière ». Ainsi, nous verrons que le passage d’une société traditionnelle imprégnée de considérations religieuses vers une société sécularisée a entrainé une mutation du socle éthique de l’ISR et une évolution de ses pratiques au cours des siècles.

2.1. L’influence des mouvements religieux dans l’essor de l’investissement socialement responsable: une éthique des valeurs

Pour Dembinski (2002, p.6), l’éthique des valeurs se définit par « le refus de cautionner ou de contribuer à des activités, des pratiques ou des systèmes que l’investisseur réprouve ». Cela peut aller du refus d'investir en bourse ou de recourir à certaines pratiques ou instruments financiers, au refus de détenir de titres émis par des sociétés ayant des pratiques ou activités contraires aux valeurs morales de l’investisseur.

C’est à la suite du mouvement initié par les Quakers que différentes congrégations religieuses (baptistes, méthodistes) prennent de plus en plus d’importance au sein de la communauté financière et imposent leurs pratiques. Selon Férone et al. (2001, p.11) « l’investissement socialement responsable prend véritablement racine entre 1890 et 1917, dans une période appelée aux États-Unis « Age of Reform » (âge des croisades) où un nouvel ordre social prend forme ». L’omniprésence des mouvements religieux au début du 20ème siècle a poussé certains individus à réconcilier leur convictions personnelles et leurs placements. Marginaux au début des années 1900, les investissements éthiques vont se développer au sein des marchés financiers précipitant leur institutionnalisation, sous la forme notamment de fonds commun de placement. C’est alors qu’apparaissent les premiers fonds

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Le Concile de Nicée (325) qui prohibe l’intérêt sera repris plus tard par Charlemagne (789), puis par le Concile de Latran en 1179 (non seulement les usuriers étaient excommuniés mais ils étaient privés de sépulture).

103 éthiques dont les pratiques consistaient à l’exclusion des sin stocks littéralement les « actions du péché » tel que la vente ou la consommation d’alcool, la production et la vente de tabac ou la promotion de la pornographie (Kinder et Lydenberg, 1993). Le premier fond éthique à voir le jour est le Pioneer Fund, créé à l’origine par l’église évangéliste américaine en 1928 à Boston81. Orientés à la base sur les interdits issus de la doctrine chrétienne, les critères d’exclusion des fonds éthiques se sont rapidement étendus à d’autres secteurs tels que la prohibition ou l’industrie du jeu. Le caractère moral82 de l’exclusion effectuée par les fonds éthiques d’inspiration religieuses a entrainé un glissement sémantique qui attribue à ce type de critériologie le dénominatif de critères « négatifs ». Les limites d’exclusion des fonds éthiques sont difficiles à définir du fait que certains secteurs jugés « moraux » peuvent se retrouver exclus de certains fonds en raison de leur relation adjacente avec des secteurs « immoraux ». C’est ainsi que des secteurs comme l’hôtellerie ou la restauration collective seront exclus de certains fonds dans les pays anglo-saxons étant sujets à la distribution d’alcool (De Brito et al., 2005). La naissance des fonds éthiques exclusifs aux États-Unis marque l’avènement du processus d’institutionnalisation de l’investissement à caractère religieux sur les marchés financiers, alors que ces derniers les avaient jusque-là refusés (Déjean, 2005). Le terme d’investissement éthique semble alors prendre tout son sens dans le cas des critères exclusifs ou négatifs, puisqu’il est fondé sur des principes moraux religieux mais interprétés de manière différente selon l’éthique individuelle des clients. Par exemple, le jugement des secteurs du tabac ou de l’alcool ne seront pas les mêmes en Angleterre et en France en raison des différences culturelles (De Brito et al., 2005). L’émergence de mouvements politiques et associatifs alternatifs (partis « verts », ONG) issus de la société civile a conduit a une réappropriation des questions éthiques liées aux modes de consommation et de production modernes sous un angle plus positif et scientifique. Une telle évolution sociétale a accentué le processus de sécularisation des questions éthiques qui avait auparavant concernée d’autres champs de la vie publique83. Les débats liés à l’éthique

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Le fond qui a changé de dénomination pour Pionner Investments ne mentionne aucunement le caractère « éthique » de ses placements dans sa description (voir le site www.pioneerinvestments.fr) et semble avoir évolué vers un fond de placement traditionnel.

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La « morale » possède plusieurs définitions qui renvoient tantôt à son caractère absolue (le Bien/le Mal généralement admis de tous) et son caractère relatif (idée du Bien et du Mal partagée par un groupe). Son étymologie est issue du latin moralitas, « façon, caractère, comportement approprié » désignant l'ensemble des règles ou préceptes relatifs à la conduite, c'est-à-dire à l'action humaine. A l’échelle d’un groupe spécifique, la morale peut donc être comprise comme une « éthique ». Par conséquent, l’utilisation alternée des termes « morale » et « éthique » doit, dans notre cas, être comprise à la lumière de son contexte d’utilisation.

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Voir la Section 1.2 du Chapitre 1 (Partie 1) sur la sécularisation des questions éthiques dans l’analyse économique du 18ème siècle.

104 médicale (la bioéthique) ou relatifs à la légalisation de produits toxiques qui ont émergés au cours du 20ème siècle sont autant d’illustrations de l’émancipation du champ de l’éthique du domaine religieux provoqué par la sécularisation de la société civile. Le mouvement de l’investissement éthique initié à l’origine par les mouvements religieux n’a pas échappé à ce processus de sécularisation. On assistait alors au passage d’un discours éthique normatif à une éthique utilitariste ou positiviste. Ainsi, Louche et Lydenberg (2006, p.3) affirment « que les partisans de l’ISR des temps modernes ne disent pas, comme leurs prédécesseurs religieux, qu’ils considèrent le tabac comme moralement répréhensible, mais ils disent que les lucratives firmes de tabac imposent à la société des coûts (de santé public) inacceptables, coûts auxquels il faut remédier d’une manière systémique».

Parallèlement à l’émergence des pratiques d’exclusions au sein des fonds éthiques, le conseil fédéral des églises (Federal Council of Churches) adopte le 4 décembre 1908 le credo social des églises (Social Creed for Churches). Influencé par le mouvement

Social Gospel et les politiques progressistes de l'Amérique du début du 20ème siècle, les églises épiscopales méthodistes se placent comme les défenderesses d’une certaine vision de la société. Afin de marquer leur offuscation devant la détérioration des conditions de travail de millions de travailleurs et d’ouvriers, ils mettent en avant l’investissement socialement responsable comme pierre importante dans la construction de cette doctrine sociale. Ils prônent notamment plus de justice sociale, l’abolition du travail des enfants, l’amélioration des conditions de travail pour les ouvriers et les femmes (un jour de repos hebdomadaire, réduction du temps de travail, un salaire minimum, une amélioration de la sécurité, etc.), plus d’avantages sociaux et un partage des profits équitable entre les différentes parties prenantes (United Methodist Church, 2004). L’édifice de l’ISR est ainsi posé, et la réforme social du crédo religieux entreprise par l’église méthodiste constitue une période charnière dans l’évolution vers une nouvelle forme d’investissement éthique préconisant le double objectif de créer de la richesse et d’améliorer les conditions des travailleurs. La notion de « Double Bottom Line » est ainsi née. Cette seconde génération de fonds éthiques basée sur des pratiques d’exclusion d’ordre socioreligieuse se développera jusqu’à la fin des années 1960. Elle permettre l’éclosion de nouvelles pratiques socialement responsables et de nouvelles formes de placements éthiques, qui se cristalliseront au travers des préoccupations sur les droits civils, le nucléaire et les conflits armées de la fin des années 1960 et des années 1970. Les évènements tels que la Guerre du Vietnam, l’apartheid en

105 Afrique du Sud, vont précipités ce que Déjean (2005, p.21) nomme « l’avènement de la version moderne de l’investissement éthique », c'est-à-dire un investissement exclusif orienté sur une « discrimination citoyenne » (Pérez, 2002, p.134), caractérisé par un activisme actionnarial fort. Plus tard, les accidents environnementaux (désastres chimique de Bhopal en 1984, fuites de pétrole de l’Exxon Valdez en 1989, etc.) et les nouvelles problématiques écologiques (réchauffement climatique, déforestation, etc.) donneront à l’investissement socialement responsable sa dernière coloration « verte » soit la « third bottom line ».

2.2. L’activisme actionnarial ou l’éthique de l’impact: naissance de l’actionnaire « socialement responsable »

La logique d’exclusion socioreligieuse à l’origine du développement de l’ISR laisse place à une logique de contestation et d’activisme politique. On assiste alors à l’émergence de que Dembinski définit comme « l’éthique de l’impact » dans laquelle « le souci éthique de l’investisseur consiste à vouloir amener les intermédiaires financiers tout comme les entreprises cotées à adopter des pratiques et des activités conformes à ses propres exigences éthiques. Il s’agit moins de sanctionner un état de fait que d’initier un changement dans le comportement de la cible d’investissement en vertu des valeurs morales retenues » (Dembinski, 2002, p.8). Capron et Quairel-Lanoizelée (2004, p.71) note que l’objectif des actionnaires activistes est dorénavant « de faire pression sur les entreprises pour obtenir leur retrait d’activités contestées ». L’actionnaire va dès lors jouer un rôle prépondérant dans l’infléchissement de certaines pratiques d’entreprises controversées. Ce principe d’activisme actionnarial décrit par Pérez (2002, p.134) s’illustre à l’origine aux Etats-Unis la fin des années 1960 et se traduit par « une demande réitérée d’informations, une présence des actionnaires aux assemblées générales et une interpellation des dirigeants, si possible avec une exposition médiatique ». On assiste alors au passage d’une pratique passive d’exclusion à une forme de « syndicalisation » des groupements d’investisseurs conscient du rôle des rapports de force dans la gouvernance d’entreprise. Les moyens de pression se font plus directs, et les coalitions d’investisseurs « socialement responsables » ne sont plus exclusivement le fait de congrégations religieuses mais également « issues de la société civile » (De Brito et al., 2005, p.31).

Certains auteurs notent que le « premier groupe d’actionnaires engagé dans l’activisme actionnarial » est l’AITU (Association of Independent Telephone Union) en 1949, qui en achetant massivement des parts de la société American Telephone and Telegraph et en

106 utilisant leurs « droits des actionnaires » ont voulu, de manière stratégique, infléchir une décision prise par la direction de l’entreprise consistant à mettre un terme aux avantages retraite de ces employés (Eisenhofer et Barry, 2005).

Dès le milieu des années 1960, on assiste alors à l’essor de l’activisme actionnarial. Parmi les

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