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CHAPITRE 3 : Cadres de la recherche

1) Respect de la personne

Pour ce qui touche à la personne, notre préoccupation concerne son intégrité dans son ensemble : physique, morale, intellectuelle, psychique. Vaste sujet à embrasser que celui de l’intégrité. Aucun aspect n’est à écarter d’entrée de jeu. L’importance de cette considération touche plusieurs plans : d’un côté il y a celui du jeune, d’un autre il y a aussi l’assurance, pour celui qui nous confie le jeune, que nous avons pris nos responsabilités en estimant au mieux la portée de nos actes.

Pour rassurer la direction des institutions de notre intégrité dans nos intentions à l’égard des jeunes, nous avons demandé et obtenu pour nous-même des autorités nationales un extrait de casier judiciaire délivré spécialement pour l’exercice d’un emploi en présence d’enfants. Nous n’en avons pas fait état et il ne nous a pas été demandé dans le cadre de nos recherches, mais il nous semblait important de pouvoir répondre positivement à la moindre sollicitation allant dans ce sens.

L’intégrité, en dehors de son sens physique, est sujette à plusieurs questionnements importants. Un premier point serait celui de la confidentialité. Il semble évident et facile à circonscrire, de prime abord, de par le seul respect d’un cadre déontologique. Mais il n’en est rien car nous savons que nous allons toucher des points potentiellement très intimes et sensibles dans le vécu des personnes et en même temps que nous devons collecter leur témoignage pour en faire un usage ultérieur et extérieur au cadre intime de la rencontre en entretien individuel. Le mouvement de rencontre avec l’intimité de la personne

et l’exercice d’extraction d’un substrat scientifique pour analyse ultérieure donnent l’impression de vouloir mélanger l’eau et l’huile.

Ce cahier des charges que nous avons élaboré est dès lors un outil précieux pour bien circonscrire ce que nous voulons faire, pourquoi nous le faisons et comment nous comptons nous y prendre. Outre de nous aider à conceptualiser et collecter les outils, il nous permettra d’exprimer clairement, à l’ensemble des interlocuteurs que nous rencontrerons, que nous avons bien pris en compte, en tous cas du mieux qu’il nous a semblé possible de le faire, l’ensemble des paramètres touchant à l’intimité et à la confidentialité dans nos démarches. Nous écrivons « interlocuteurs » car nous savons que nous aurons à interagir avec d’autres personnes que les individus que nous rencontrerons en entretien. Ne l’oublions pas, les populations visées pour la présente thèse sont composées d’adolescents, donc de mineurs d’âge. Nous ne nous adresserons donc jamais directement à eux pour initier un entretien individuel, mais bien aux personnes investies d’une autorité ou d’une responsabilité à leur égard. Ce n’est donc pas seulement dans un cadre interindividuel que nous devons inscrire les modalités du travail, mais bien dans un contexte institutionnel parfois complexe. Les jeunes que nous rencontrerons sont tous confiés à l’institution d’Aide à la Jeunesse avec laquelle nous collaborerons, par ordonnance d’un mandat qui émane d’une autorité administrative ou judiciaire. Ce mandat, outre de stipuler les attentes et le projet pédagogique particulier pour lequel l’autorité mandate l’institution, délègue également l’autorité nécessaire pour mener à bien sa mission sur le jeune à la direction de cette institution et aux équipes d’intervenants psychopédagogiques.

Au regard de ce cadre institutionnel complexe, on perçoit directement l’importance de la transparence dans tous les aspects de la démarche. Nous entrerons en relation avec plusieurs institutions pour leur demander d’avoir accès aux jeunes sous leur responsabilité. Le projet de recherche les a toutes séduites, mais ce n’est pas pour autant que nous pourrons commencer à travailler du jour au lendemain. Ainsi, à titre d’exemple, l’une d’entre elle, la première que nous avons abordée, nous demandera de préalablement rencontrer l’ensemble de l’équipe psychopédagogique pour présenter le cadre des travaux. Nous pensons que le passage par cette étape avait, dans l’esprit

des directions, deux buts principaux : le premier de s’assurer qu’il y avait consensus sur la validité de notre démarche, le second d’obtenir la coopération des intervenants. L’initiative est excellente car elle avait également pour but de proposer à la discussion les critères de sélection des jeunes qui participeraient, de même que le mode d’introduction pour inciter le jeune à venir vers nous pour un entretien individuel. Il nous faudra de nombreux mois pour organiser cette réunion car elle devait rassembler tous les intervenants de l’ensemble des projets pédagogiques de l’institution de même que sa direction générale et la psychologue.

Nous avons donc fait une présentation et l’accueil a été excellent. Tous ont approuvé avec enthousiasme le projet de recherche. Suite à ces discussions riches et intéressantes, nous avons convenu de modalités pratiques portant tant sur les jeunes à cibler prioritairement, que sur la manière de leur proposer de nous rencontrer, ou encore sur la disponibilité d’un local suffisamment discret pour que le jeune se sente en confiance pour parler sans être entendu ou vu. Nous prendrons bonne note de ces remarques pertinentes et nous les incorporerons dans le modus operandi.

Dans cet exemple des premières démarches, il ressort de manière évidente que la confidentialité est un point délicat qui se dénoue par la confiance dans un cadre multipartite. Mais chaque partie a également son cadre propre. Ainsi, nous appliquerons une stricte confidentialité à l’égard des propos que le jeune nous livre. Mais il nous est apparu important de ne pas cloisonner outre mesure et de donner aux équipes éducatives un minimum d’information qui pourrait leur être utiles dans l’exercice de leur lien éducatif, mais sans compromettre la confidentialité. Nous avons, pour ce faire, opté pour un principe appliqué couramment dans le domaine psychothérapeutique avec les enfants : Le propos est strictement confiné dans la confidentialité, mais le processus de fonctionnement du jeune, que nous comprenons au travers de notre relation avec lui, peut être discuté avec les intervenants. Ce que le jeune nous dira restera dans la confidentialité, mais ce que nous découvrirons dans ses particularités comportementales, face à certaines situations de vie, pourront être partagées pour, par exemple, mieux orienter avec les équipes son projet pédagogique.

Le second point important dans le cadre de la confidentialité, est celui de l’enregistrement et de l’usage qui pourra en être fait. Dire à un jeune qu’on respectera une stricte confidentialité et immédiatement après lui demander si nous pouvons enregistrer notre conversation, a toutes les apparences d’un paradoxe. Nous découvrirons, dans la partie consacrée à la mise en œuvre des outils, comment nous expliquons aux jeunes l’usage strictement scientifique des données anonymisées qui ressortiront de la somme des discours du corpus d’entretiens. Une fois de plus, la mise au clair des intentions et de la manière de procéder semble, d’expérience, avoir suffisamment sécurisé les jeunes pour accepter de s’ouvrir à la narration et, dans la quasi-totalité des cas, avoir fait abstraction de l’enregistreur dont ils avaient même oublié la présence. Le respect de la personne et de la confidentialité de ses propos est également un point qui a un effet de rebond dans le sens où la sécurisation offerte par la confidentialité sécurise autant le jeune dans son rapport à nous qu’à lui-même. Quelques jeunes ayant commis des actes qualifiés d’infraction et étant toujours en situation particulièrement tendue ou conflictuelle avec la justice, leur famille ou d’autres intervenants, nous montreront une méfiance parfois soudaine et une fermeture tout aussi franche que subite en se souvenant que l’enregistreur est sur la table. Par contre, quand un rapport de confiance s’établit et que le jeune ne voit nullement en nous un miroir susceptible de juger en quoi que ce soit ses propos et ce qu’ils recouvrent, les boîtes noires s’ouvrent de plus en plus largement et le dispositif d’enregistrement est dès lors mis en invisibilité. Enfin, et nous l’avons déjà évoqué, l’intégrité recouvre également un volet particulier quand le sujet que nous rencontrons est susceptible d’avoir été exposé à des évènements ou des situations traumatisants. La stricte confidentialité et le sentiment de confiance et de bienveillance que les jeunes semblent ressentir en notre présence, nous portent à croire que nous avons mis en place un dispositif qui soit à la fois respectueux de la personne et de l’intégrité de son équilibre psychique et moral.