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Ouverture d’un champ d’investigation

CHAPITRE 2 : objectif de recherche

2) Ouverture d’un champ d’investigation

Nous pensons qu’il serait possible d’émettre des hypothèses sur certains types de trajectoires possibles en fonction de variables personnelles. La résilience est souvent reliée à des facteurs de protection en rapport à des facteurs de risque. Il serait intéressant de mettre en exergue quelques-uns de ces facteurs et vérifier dans quelle mesure ils pourraient être prédicteurs de certaines trajectoires de résilience. La particularité de cette démarche résiderait dans la compréhension de déterminants d’un type ou d’un autre d’itinéraire menant à la résilience tout autant que d’une dynamique conduisant à une trajectoire d’aliénation au fracas, temporaire ou non (nous la désignerons comme une désilience que nous définirons ultérieurement). Ce ne serait donc pas la mise

en relation de facteurs déterminés par hypothèse avec un état déclaré de résilience qui serait analysé, mais bien des itinéraires de vie dans toute la complexité de leur évolution.

2.7 Le chercheur praticien en Sciences de l’Education

Le chercheur en Sciences de l’Education est confronté au dilemme de l’expérience ordinaire, face à une aspiration à la scientificité (Linard, 2004). L’éducation fait partie d’une expérience de sens commun liée à sa propre enfance ou à celle de ses enfants. L’évidence du souvenir s’impose comme cadre implicite de référence, avec des pratiques et des convictions arrêtées, sources potentielles d’affrontements avec le réel. Dès qu’un praticien cherche à comprendre ce qui se passe sur le terrain, il lui faut prendre de la distance par rapport sa propre expérience. Il lui faut confronter les questions et les concepts en les opposant à une actualisation dans sa pratique au présent. Distanciation et changements de point de vue se doivent de faire partie de cette pratique quotidienne. « [Piaget] démontre que les présupposés objectivistes du positivisme classique sur la nature du monde et de la connaissance ainsi que la méthodologie logique analytique qui l'accompagne, sont incapables de rendre compte de la dynamique et de la complexité de la formation de l'intelligence dans le temps ; pas plus qu'elles ne suffisent à décrire les phénomènes d'adaptation et d'apprentissage propre au monde vivant, assimilés par l'auteur à une activité permanente structuration et d'auto-transformation de l'organisme par l'interaction avec son milieu » (Linard, 2004, p. 2).

L’étude des dynamiques de résilience que nous proposons, n’échappe pas à cette analyse qui exclut tout a priori dans la présente recherche. « La tradition herméneutique phénoménologique prétend que le chercheur est nécessairement impliqué dans la construction de l’objet de la recherche. Cette posture s’appuie sur une démarche appelée ‘’monadiste’’ dans la mesure où, dans les sciences anthroposociales, la dualité serait illusion. Le sujet qui mène l’étude et celui qui en fait l’objet sont d’emblée en interaction. La visée de cette interaction est de désigner les évènements singuliers vécus (la dimension phénoménologique) et d’en dégager les significations (la dimension

herméneutique). La séparation du sujet et de l’objet de la connaissance n’est plus de mise vu que l’un et l’autre se contaminent réciproquement » (Pourtois, Desmet et Lahaye, 2006b, p. 5).

Les outils de compréhension et d’appréhension des réalités s’élaboreront et se construiront sur le terrain de l’expérimentation pour en évaluer, au cas par cas et en continu, la pertinence. Le chercheur, dans sa démarche scientifique, doit faire preuve de vigilance épistémologique. Son objet de recherche doit être conquit sur les préjugés, se construire sur la raison et être constaté dans les faits (Pourtois et al., 2001a). La validation du processus se fera ensuite de manière itérative. Entre la définition d’une problématique observée en début de parcours et ce qu’il en adviendra tout au long de la recherche, les mouvements de questionnements et de doutes confronteront cette définition à une rationalité expérientielle ou littéraire, issue de différentes disciplines, qui feront évoluer sa définition. En outre, dans l’élaboration de la recherche, chaque étape sera examinée à la lumière de la cohérence de son lien avec celles qui la précède, mais également avec toutes les autres étapes. La cohérence s’impose par le réajustement, dans un mouvement par « boucles de rétroaction », avec chaque étape précédente. (Pourtois et al., 2001a).

L’intégration de la recherche dans un champ de pratiques multiples ne facilite pas la démarche épistémologique. Les Sciences de l’Educations sont plurielles et plurielles seront également ses pratiques et leurs enracinements. La sociologie et ses usages ne sont pas assimilables, en l’état, à ceux de la psychologie, de l’éthologie ou de l’anthropologie. Selon Linard, ce qui manque aux Science de l’Education c’est une boussole : une orientation générale, non pas définitive ni exclusive, mais assez précise et cohérente pour pouvoir intégrer en une totalité cohérente, ouverte et dynamique, les problématiques, les tensions, les intuitions, les réponses possibles et les acquis spécifiques. « Cependant, sous peine de voir la discipline éclater dans une mosaïque de praxéologies utilitaires à courte vue et sans consistance, l'évolution actuelle montre aussi la nécessité de reprendre la réflexion sur les repères fondamentaux de la discipline : des repères qui pourraient définir sa position scientifique, son bien théorique commun et sa survie identitaire en tant que communauté scientifique. Ceci implique d'établir sur des bases plus fermes et

plus précises des fondements épistémologiques, théoriques, pragmatiques et éthiques des Sciences de l'Education en tant que discipline spécifique mais aussi marquée par son appartenance aux Sciences de l'Homme et de la Société » (Linard, 2004, p. 5).

Nous ne nous sentirons pas à l’étroit dans ce dilemme, bien au contraire. Nous confronterons les expériences et les interrogations avec diverses approches scientifiques et n’en retirerons qu’un sentiment d’enrichissement. Nous voyons, dans la diversité des points de vue, une triangulation riche en inspirations, elles-mêmes instigatrices de nouvelles intuitions qui, à leurs tours, ne demanderont qu’à être élaborées, expérimentées et confrontées à nouveau, sous la diversité des angles du prisme des Sciences de l’Homme et de la Société.

De Villers synthétise également les apports de la pratique du récit de vie et du partage dans le travail du chercheur. Il lui paraît nécessaire de rappeler cette évidence : il n’a pu dégager les conditions structurales de la démarche autobiographique dans la solitude du cabinet du chercheur. Ce travail de réflexion s’est éveillé et s’est nourri d’interactions nombreuses avec des chercheurs et des praticiens en histoire de vie auxquels il doit beaucoup. « Ma dette est énorme aussi envers des générations d’étudiants qui se sont lancés avec moi dans l’aventure de la production, de l’analyse et de l’interprétation de leurs récits de vie » (2011). Notre dette à leur égard à tous en est d’autant plus grande.

Si cadre il y a à notre démarche de recherche, ce sera donc un cadre intégrateur pour appréhender toute la complexité et l’épaisseur du vécu des sujets, autant que les échanges avec les intervenants psychopédagogiques et aussi un corpus théorique convergeant graduellement avec notre progression. Mais nous le ferons avec beaucoup d’humilité, car il ne s’agira pas de nous arroger des compétences que nous n’avons pas. Nous tenterons de trouver, avec le plus de justesse possible et avec tous les égards pour chaque discipline, les éclairages théoriques et les pratiques qui nous sembleront opportuns pour nous frayer un chemin, mais sans prétention d’exhaustivité ou de capacité à embrasser la portée d’un concept. Chaque avis, conseil, lecture, rencontre sont des opportunités de progrès que nous tenterons de saisir au mieux et à sa plus juste valeur.