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Représentations du milieu de l’emploi à la suite de la formation : obstacles à surmonter

Chapitre 4 : Analyse des trajectoires des participants avant l’obtention d’un emploi

4.3 Le projet d’intégration

4.3.3 Représentations du milieu de l’emploi à la suite de la formation : obstacles à surmonter

Les répondants s’imaginent que cette formation québécoise leur ouvrira les portes du marché de l’emploi. Mais ils perçoivent qu’ils ont encore des obstacles à surmonter pour s’assurer une intégration optimale. Les répondants évoquent d’abord le fait que l’AEC est moins connu sur le marché du travail et que les employeurs demandent un DEC24 pour occuper un poste de technicien. Ils perçoivent encore des obstacles

organisationnels. Ce sont les propos de Blaise, de Dimitar et de Victor. Blaise dit :

Je commence à perdre un peu espoir (…). Parce qu’à 80% du temps quand tu vas chercher du travail sur Internet en informatique, il demande le DEC. Il faudrait que cet employeur-là puisse accepter ou arrive à comprendre que la personne qui a le DEC et la personne qui a l'AEC, c'est la même chose parce que c'est la même formation, à la virgule prêt, c'est juste le nom qui change dans les attestations (Blaise, Afrique centrale).

Dimitar rajoute :

J’ai une crainte sur la façon dont cette formation sera jugée par les employeurs. J’observe que les critères de sélection sont un DEC de trois ans. J’ai peur que cette formation ne soit pas jugée à sa juste valeur. Je vois que, dans les emplois du gouvernement et dans les critères du service partagé de contrôle des embauches, les employeurs cherchent des DEC de trois ans et ce sont des concours très formels (Dimitar, Europe de l’Est).

Quelques immigrants non francophones comme Francesca évoquent aussi la peur que leur niveau de français oral leur ferme des portes et que leurs connaissances techniques ne soient pas jugées en premier. Ils évoquent donc des obstacles culturels. Francesca déclare :

Mon but, c'est de rentrer au gouvernement, mais j'ai peur. Je sais que j'ai les compétences, mais je ne suis pas bonne pour m'exprimer. Parfois, je n'utilise pas les bons mots. Et ça sème le doute auprès des personnes avec qui vous travaillez. À cause de mon français, j'ai peur que la personne soit en doute et se demande si je vais être capable. Qu'il juge plus le français que mes connaissances [techniques] (Francesca, Amérique du Sud).

Certains autres répondants évoquent le manque de réseaux professionnels comme barrière à l’intégration en emploi. Victor soutient :

Il y a aussi le fait qu'on n'a pas de références [réseaux]. Peut-être qu'il faut connaître quelqu'un qui travaille en entreprise, qui lui va prendre ton CV, le déposer. C'est aussi ça le système, le réseautage. Quand tu ne connais personne, tu as beau envoyé ton CV, il

24 Rappelons que cette situation a changé dans la fonction publique du Québec, un important employeur dans la région,

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n'y a aucune suite. Tu vas même le déposer main à main, mais rien (Victor, Afrique de l’Ouest).

Mamad rajoute :

Le marché du travail québécois n'est pas très ouvert aux immigrants. On nous dit souvent que 80 % des emplois se trouvent dans le marché caché, de bouche à oreille, interne ou par réseautage et que 20 % sont affichés. Je pense donc que ce marché est difficile à percer tant qu'on n'a pas développé de contacts. Malheureusement, le réseautage se fait entre nous immigrants seulement. Il y a très peu qui arrive à avoir un réseau avec des Québécois (Mamad, Afrique orientale).

De plus, un répondant comme Rémi confie que la discrimination en emploi est bien réelle et que cet obstacle organisationnel est à considérer. Il soutient :

Est-ce que le fait qu'on ne soit pas né ici fait une différence dans la recherche d'emploi? Je pense que oui malheureusement. Je ne dirai pas du racisme, mais dès fois il y a un manque de connaissances des employeurs des autres cultures et des autres pays, à tous les niveaux (Rémi, Amérique du Sud).

Rami quant à lui pense que les méconnaissances de certains employeurs sur la réalité sociale des immigrants rendent l’intégration en emploi plus difficile. Il dit :

C'est ce côté réticent des employeurs. Parce qu'au départ, ce qui m'intrigue, c’est que pas mal de Québécois de souche ne savent pas comment on arrive ici. Ils pensent que nous sommes des réfugiés ou des cas humanitaires. Et du coup, vous êtes un concurrent potentiel. [Pour aider à notre intégration], il faudrait déjà faire un effort côté employeur pour leur faire comprendre, les pousser à être plus indulgents, plus ouverts à d'autres cultures, à notre CV (Rami, Afrique du Nord).

De la même manière, des répondants comme Khaled, Firmin, Rami, Dimitar et Blaise évoquent que, bien qu’ils soient conscients que l’effort premier doit venir des immigrants, il faudrait plus de tolérance, de compréhension, de respect et d’acceptation de la part des employeurs pour faciliter leur intégration. Firmin déclare :

Je suis conscient que nous sommes dans un processus d'intégration et que l'effort doit venir de nous. En revanche, il faudrait de la tolérance, l'acceptation de l'autre qui est issu d'une culture différente. Dans les premiers temps, il y aura forcément des choses à régler. Alors, si à ce moment on ne privilégie que le rendement, les résultats et l'intérêt de l'entreprise, cela n'aidera pas à l'intégration (Firmin, Afrique centrale).

Dimitar soutient qu’un temps d’adaptation n’est pas accordé aux immigrants; un temps nécessaire à leur intégration. Il dit :

Même un Québécois a besoin d'une période d'adaptation pour toute chose nouvelle et c’est bien toléré. La même chose devra s'appliquer pour un immigrant. Au contraire, on ne le lui concède pas. Il est plus facile de se l'expliquer en disant qu'il n'est pas

compétent ou qu'il ne comprend rien. De par mon expérience, les Québécois sont tolérants, ils donnent toujours une chance, mais ils n'en donnent pas beaucoup (Dimitar, Europe de l’Est).

Les répondants sont aussi d’avis que si la chance ne leur est pas laissée de prouver leurs compétences, l’intégration ne sera pas facile. Blaise dit à ce propos :

Je pense que parfois les employeurs exagèrent un peu. Comme j'ai dit tantôt qu'une personne arrive et dise qu’il est médecin, on pourrait lui demander de prouver qu’il est médecin et de produire ses diplômes. Ou alors qu’on le mette à l’épreuve. C'est peut- être vrai que le système n'est pas le même, mais on pourrait aussi lui mettre un mentor et observer si la personne s'adapte au système ou pas ? Est-ce qu’elle est capable ? Je pense que de cette manière-là, ça va nous faciliter un peu la tâche (Blaise, Afrique centrale).

D’autres répondants évoquent qu’ils doivent encore maîtriser les codes et valeurs en vigueur dans les entreprises québécoises. Sofian parle de l’autonomie, qui est valorisée en milieu de travail québécois. De son point de vue, les immigrants en général n’ont pas appris à développer cette qualité dans leurs pays. Il y a alors des obstacles culturels. Il dit :

Il y a cette qualité qu’on valorise et qui est l'autonomie. C'est aussi une question de culture parce que là chez nous, il n'y a pas cette question d'autonomie. Nous les immigrants, on n'a pas l'habitude de travailler comme ça par rapport aux gens d'ici. Les gens d'ici sont habitués depuis leur enfance, leur système éducatif est comme ça, ils sont autonomes depuis le début, ils se débrouillent tout seuls. Mais là, nous on est arrivé ici et on est habitué à un autre système (Sofian, Afrique du Nord).

Enfin, quelques répondants ont évoqué que toutes ces difficultés vécues et les obstacles qu’ils doivent encore surmonter sont liés à tout phénomène d’immigration. L’intégration est en lien avec l’adaptation et ils pensent que le temps aidera à cette adaptation. Amadou conclut dans ces termes :

Le seul facteur qui joue dans l'adaptation, c'est le facteur temps. Au fur et à mesure que l'on travaille comme ça, on s'habitue. On s'habitue au système et c'est grâce au temps. On finit par s'y faire petit à petit (Amadou, Afrique de l’Ouest).

C’est aussi dans ce sens qu’Aurélie confie qu’immigrer c’est recommencer, et que sur le marché du travail également, il faudrait recommencer étape par étape. Elle déclare :

Pour ma part, je sais que quand on immigre on repart à zéro d’une certaine façon, qu'on le veuille ou non. C'est pareil pour l'emploi, c'est quand même repartir à zéro comme si on n'avait pas d'expériences, alors que quand même. Ben voilà, ce n'est pas évident, mais c’est comme ça (Aurélie, Europe occidentale).

En résumé, en termes de représentations des obstacles qu’ils ont encore à surmonter pour une pleine intégration en emploi, les répondants ont mentionné l’acceptation de l’AEC sur le marché du travail, les

119 le manque de réseaux professionnels, le manque d’ouverture et de connaissances des employeurs sur la réalité des immigrants ainsi que la chance qui ne leur est pas donnée de prouver leurs compétences. Enfin, ils ont parlé de temps d’adaptation qui ne leur est pas accordé. Les immigrants non francophones ont également souligné la langue comme barrière à une pleine intégration professionnelle. Autrement dit, des obstacles institutionnels, organisationnels et culturels qu’ils devront encore surmonter.