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Chapitre 6 : Interprétations et discussions

6.2 Les trajectoires des participants avant l’obtention d’un emploi

Les résultats de l’analyse de la trajectoire des 28 participants avant l’obtention d’un premier emploi en TI permettent de comprendre comment ces derniers ont amorcé le projet migratoire et ont progressé dans une tentative d’insertion sociale et professionnelle. Les expériences qu’ils ont relatées montrent qu’ils ont fait face à des obstacles contextuels pour occuper un emploi qualifié avec leurs acquis étrangers et qu’ils ont mobilisé une agentivité pour les contrer en s’appuyant sur leur identité, leurs représentations, leurs projets et les opportunités disponibles dans le contexte d’accueil. Les répondants sont bel et bien actifs et réflexifs dans leur processus d’intégration.

Le projet d’immigrer, une ambition claire et volontaire en fonction des représentations des immigrants

Pour les répondants, immigrer n’est pas un projet subi, mais un projet volontaire. Ces personnes sont en quête d’un meilleur épanouissement personnel et professionnel. Le projet d’immigrer dépasse largement des raisons économiques. Les participants avaient des conditions décentes dans le pays d’origine ou d’installation, mais ils nourrissaient des aspirations plus grandes que les perspectives qu’ils entrevoyaient. Ils se sont donné le temps et les moyens pour mettre en place le projet (et éventuellement le réussir) en épargnant, en mobilisant à distance les informations disponibles, en s’informant sur les réseaux virtuels et en profitant de l’expérience de personnes déjà sur place. Quelques-uns ont établi des plans de match. D’autres avaient déjà

une expérience de vie à l’étranger. Tous ces points représentent des ressources pré-migratoires en lien avec leur identité et donc leur passé.

Le projet d’immigrer au Canada repose sur des représentations et des attentes. Les répondants ont fait le choix du Canada pour ses politiques d’immigration et ils s’étaient représenté une vie paisible, sécuritaire et agréable, dans une société laïque, égalitaire et prospère. Ils s’imaginaient aussi des carrières en ascension. Le choix de la ville de Québec est également bien réfléchi. Ils avaient connaissance des opportunités structurelles en lien avec le dynamisme du secteur des TI, la croissance des entreprises du milieu et leurs besoins en main-d’œuvre. Certains répondants étaient déjà dans le secteur, alors que d’autres ont fait le choix de se réorienter. Dans les deux cas, ils cherchaient un maximum de possibilités en emploi et rêvaient d’une vie sociale agréable. Il s’agit là des représentations pré-migratoires.

La réalité sociale à Québec, en termes de quiétude et de confort est conforme aux représentations des immigrants rencontrés. Il y a lieu de penser que cette grande préparation avant le départ y est pour beaucoup. Mais la réalité professionnelle qu’ils décrivent ne correspond pas à leurs représentations initiales. Il y a eu un écart entre leurs attentes et représentations professionnelles et la réalité post-migratoire. En effet, les répondants ont rencontré des obstacles pour insérer le marché du travail québécois sur la base de leurs qualifications et compétences étrangères et ceux qui étaient diplômés en TI n’ont pas mieux réussi, contrairement à ce qui était présagé de leur part et de notre part au début de la recherche. Le dynamisme du secteur des TI et les besoins à Québec ne leur ont pas été plus favorables.

La formation québécoise redonne espoir dans la poursuite du projet professionnel. Mais les répondants perçoivent qu’ils ont encore d’autres obstacles à surmonter. Ils perçoivent que des pratiques fondées sur une méconnaissance de la réalité immigrante au Québec existent dans le milieu de travail et qu’elles peuvent entraver leurs chances d’intégrer pleinement un emploi. Ils s’imaginent des employeurs exigeants et quelque peu réticents à la différence et une société d’accueil relativement fermée à la diversité.

Les immigrants sont actifs, réflexifs et stratégiques

Les immigrants rencontrés ont mobilisé une agentivité dans la réalisation et la poursuite du projet. Ils se sont donné les moyens pour que ce projet d’immigrer prenne forme; ils ont mis en place des jalons solides en vue des premiers mois d’installation. Une fois à Québec et tout au long du processus d’intégration socioprofessionnelle, ils ont mobilisé cette même agentivité pour relever les défis, pour contourner les obstacles à l’insertion en emploi, pour saisir les opportunités et pour établir des liens avec la société d’accueil. À cet effet, les résultats révèlent une continuité entre ce à quoi ils aspiraient, les actions qu’ils mettent en place et le projet qu’ils dévoilent, mais surtout ils permettent de voir le sens et la motivation dans chaque action

171 qu’ils posent. Ils aspiraient à un épanouissement professionnel et pour ce faire, ont mis en place des actions telle la nouvelle formation. Avec cette formation technique, ils occupent un premier emploi comme technicien, mais ce dernier n’est pas une fin en soi. Et toujours en adéquation avec le projet pré-migratoire, ils projettent de nouvelles réalisations.

La capacité réflexive a aussi une place centrale dans tout ce processus actif. Elle contribue à faire prendre conscience des prochaines étapes à entreprendre pour améliorer leur profil professionnel et atteindre les objectifs ultimes de carrière. Elle leur permet également de déceler les défis à relever pour atteindre une pleine intégration en emploi et les nouveaux projets à entreprendre pour évoluer dans la carrière. Les répondants sont toujours dans une réflexivité qui leur permet de prendre conscience des meilleurs choix à faire pour capitaliser sur la formation d’origine avant immigration, pour mieux « se vendre » et être plus compétitifs.

Les immigrants rencontrés ont de nouveaux projets à la suite de cette formation et ici également les capacités d’agentivité et de réflexivité sont mobilisées. Ils cherchent tous une expérience pertinente en TI en n’ayant aucune autre prétention (en termes de secteurs d’emploi, de rémunération, de conditions de travail ou de types de contrats) quant au premier emploi occupé. L’essentiel pour eux, en particulier ceux qui ont suivi une formation au niveau collégial, est de trouver un emploi technique qui leur permette d’acquérir une expérience pertinente dans le domaine. À moyen terme, ils visent le secteur public, les multinationales ou l’entrepreneuriat, des avenues qu’ils jugent prometteuses. Les répondants projettent de continuer des études universitaires et d’apprendre l’anglais. Ils ont dès lors pour objectif d’évoluer dans des postes autres que technicien. Il s’agit là de postes de direction ou d’enseignement. Enfin, bien que beaucoup envisagent de rester à Québec, certains projettent d’aller dans le Canada anglophone si les opportunités de carrière y sont meilleures. Ils n’ont pas exprimé de craintes de devoir recommencer. Quelques-uns envisagent même de repartir dans le pays d’origine ou d’y créer une entreprise. Ici encore la motivation première est d’obtenir satisfaction. Les répondants sont empreints de réflexivité et de réalisme dans les perceptions des défis qu’ils vont encore devoir surmonter. Ils ont une compréhension des choses qui les entourent, de la société qu’ils côtoient et font preuve de discernement quant à la teneur de leurs relations interpersonnelles sociales et professionnelles, qu’ils jugent cordiales, mais somme toute peu profondes.

Enfin, tout au long des récits, les répondants ont mobilisé des qualités de persévérance, de résilience, de détermination, de débrouillardise. Ces dernières ont teinté les actions qu’ils ont mises en place, les défis qu’ils ont relevés et le projet qu’ils ont évoqué. Les répondants ne sont pas tombés dans un état de fatalisme, de découragement ou de passivité face aux obstacles et ils ont su rebondir. Mais le niveau de satisfaction est bas quand ils évoquent la situation d’insertion en emploi, ce qui est contraire à l’opinion qui voudrait que les

immigrants qui viennent des pays moins développés soient plutôt heureux d’avoir réussi à migrer vers des pays riches. Ce constat est peut-être à mettre sur le compte de leurs grandes ambitions et qualifications. Ils ne sont pas dans la recherche d’un minimum, ils ont des ambitions poussées.

Face à ces obstacles à l’insertion en emploi, les immigrants interviewés ont tous eu comme première stratégie de suivre une nouvelle formation québécoise. Cette stratégie d’insertion par la formation est mise en place pour contrer les barrières à trouver un emploi qualifié, pour contourner la réticence des employeurs à leur confier le premier emploi, pour capitaliser sur les acquis étrangers (en géomatique, électronique ou design industriel) et s’octroyer une valeur ajoutée (un cumul de toutes leurs qualifications) sur le marché du travail ou pour profiter du dynamisme du secteur des TI. Les répondants ont donc fait ce choix pour trouver du travail. Diverses autres stratégies s’ajoutent à cette première stratégie de formation québécoise. Les répondants ont visé des formations courtes de 18 mois maximum avec comme stratégie d’insérer le marché du travail au plus vite. Ils ont choisi de manière éclairée les formations en TI. Certains ont ciblé les formations conçues spécialement en fonction des besoins actuels du marché de l’emploi en TI, alors que d’autres ont choisi des formations adaptées à leurs besoins spécifiques d’immigrants de faire reconnaître leurs acquis. Enfin, la majorité des immigrants rencontrés ont choisi des formations techniques bien qu’ils aient un niveau universitaire. Ils ont eu comme stratégie d’acquérir des connaissances pratiques facilement vendables qui leur permettraient d’obtenir un premier emploi en informatique à Québec, d’y acquérir une expérience pertinente avant d’évoluer professionnellement.

L’influence du contexte dans le processus d’intégration

Les ressources d’aide à l’intégration ont été sollicitées par la majorité des immigrants rencontrés, notamment les organismes d’aide à l’intégration. Il s’agit là d’opportunités institutionnelles. Ils les ont consultés pour asseoir de nouvelles orientations de carrière et les ont également sollicités dans la recherche d’emploi. Les répondants ont aussi consulté les services de placement, ils ont utilisé les informations en ligne, ont souscrit à des programmes gouvernementaux comme le programme d’évaluation comparative des études effectuées hors Québec et les prêts et bourses. Les immigrants rencontrés ont bénéficié d’opportunités structurelles en lien avec le marché favorable des TI à Québec et ils ont ciblé les formations techniques qui étaient montées selon les besoins du marché. Enfin, ils ont évoqué avoir participé à des activités sociales avec la société d’accueil, mobilisant ainsi des opportunités culturelles.

Le contexte présente également des obstacles que les répondants ont dû dépasser : il s’agissait des contraintes institutionnelles, telles la non-reconnaissance des acquis étrangers et l’obligation de détenir des permis pour l’exercice de certaines professions, et des contraintes structurelles du marché, comme la crise de

173 2008. Des obstacles organisationnels ont aussi existé et ils touchaient aux exigences des employeurs, à la discrimination perçue et aux pratiques RH généralisées. Enfin, les obstacles étaient culturels comme par exemple le manque d’ouverture de certains membres de la société d’accueil et l’écart culturel avec cette dernière.

6.3 Les trajectoires professionnelles de chaque participant