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CAPACITÉ D’ADAPTATION ET MIGRATIONS

REPRÉSENTATIONS DE LA MOBILITÉ

Avant de pouvoir parler de la manière de mobiliser ou non les migrations environnementales, il faut prendre en compte, brièvement, la considération qui est faite à Nungwi de la migration dans son ensemble. Nous l’avons vu dans la partie contextuelle de ce travail, la mobilité est ancrée dans la construction historique de l’identité zanzibarie, de par son insularité et son passé commercial. Selon Larsen (2018), cela induit le fait que les gens considèrent le déplacement comme un moyen d’ascension sociale et d’opportunités. « Ironically, though many Zanzibaris see potential opportunities only away from the islands, when their aspirations imply a movement across boundaries, projects usually stagnate and remain imaginary » (ibid. :

250). A Nungwi, j’ai pu observer lors de mes entretiens que le discours sur la migration était ambivalent ; d’un côté, considéré comme problématique, surtout des valeurs familiales et communautaires, migrer est peu envisagé par la grande majorité des habitant·e·s ; de l’autre, elle reste une possibilité en cas de besoin et s’il y a un projet établi et une raison cohérente. Dans son aspect « négatif » d’abord, la migration n’était pas vraiment vue comme un projet familial mais plutôt individuel. De ce fait, quitter sa famille, sa communauté est perçu comme une mauvaise chose.

«Migration is a very bad issue. Because you are left alone, and your family is still here. And you are away from them, so it is very bad. » (Entretien P)

Ayant connu le départ d’un membre de sa famille étant plus jeune, cet enquêté exprime son opinion de manière marquée. Cependant, ce genre de propos étaient également présents dans les discours de mes entretiens de manière plus générale. Cette accentuation des valeurs familiales et culturelles est d’autant plus mobilisée qu’aujourd’hui, de nombreux jeunes hommes travaillent sur les plages, dans le secteur informel du tourisme, et rencontrent des femmes occidentales avec qui des relations intimes entrainent parfois une ascension sociale et la migration (DESPRES 2017). Cependant, ces activités sont mal perçues par la population

locale, notamment par les aîné·e·s, car elles sous-tendent des mœurs réprimées par les traditions culturelles et religieuses de Zanzibar.

«Nowadays no one is moving, except some young people like [young man], if they get friends from abroad. » (Entretien T)

Au contact du tourisme également, la perception de l’immigration qui a lieu à Nungwi agit sur la façon de voir le mouvement migratoire de manière générale. Cette considération s’appuie sur le fait, comme nous l’avons déjà vu, que les migrant·e·s qui viennent chercher du travail à Nungwi peuvent être perçu·e·s comme ne respectant pas les manières de vivre locales, comme monopolisant les opportunités d’emploi ou encore comme profitant de cette situation de tourisme fort pour s’engager dans des activités criminelles.

«If you migrate without any special reason, it is a bad thing. If you go to places where people most of them have something to do and you just go there without nothing to do it's a bad thing. Because you might end up called thief or something like that. » (Entretien R)

Dans cet extrait, on voit bien ressortir le fait que, sans projet concret, sans but précis, le déplacement ne peut pas être une bonne chose car il induit que l’on est une sorte de poids pour le lieu d’accueil et sa population, faisant écho à une perception de l’immigration à Nungwi. En outre, en plus de l’attachement au lieu, l’arrivée de ces nombreuses personnes fait que la population du village est consciente des opportunités qu’offrent son espace de vie, ce qui ne pousse pas spécialement au départ.

On peut cependant voir avec l’extrait d’entretien suivant que la migration est aussi perçue comme source d’opportunités, principalement économiques. Cela expose une considération « positive » du mouvement, ressource qui peut ainsi être mobilisée en cas de nécessité.

«I need to have good life, have good health, if there is something better in other place to do, I have to go. It doesn't matter where, which place. I love Nungwi, but if there is something very hard, I have to move. » (Entretien X)

Finalement la migration est considérée comme une bonne stratégie, pouvant même être désirable, quand le but est de pouvoir aider sa famille, quand on migre pour travailler, pour soutenir la vie à Nungwi. C’est ce que l’extrait suivant, ainsi que mes notes de terrain concernant un entretien non-enregistré démontrent ;

«If they are going to struggle, make money and come back it’s good. » (Entretien K) La migration peut être positive si tu as un objectif spécial, si tu pars pour donner de l’argent à ta famille, mais pas si tu l’abandonnes et que tu pars à l’étranger. (Entretien I)

De manière générale, la migration peut être vue comme une solution, mais surtout une solution en cas de nécessité, voire de dernier recours. Ce n’est donc pas une pratique répandue à Nungwi, d’autant plus si on considère la situation de pauvreté que connaît une grande partie du village, critère important pour soutenir un projet de départ. Comme cet extrait d’entretien nous le confirme, le manque de moyens financiers est une barrière importante à la mobilité.

«[We] have no idea of moving out of Nungwi because if [we] want to move, we have to have preparation and [we]'ll have to know where [we] are going and what [we] are going to do. So [we] are poor, [we] don't have enough preparation and [we] don't know what [we] are going to do there. »(Entretien T)

Cette section nous montre que, bien que la migration ne soit pas considérée comme un problème en soit, les pratiques et valeurs qui y sont attachées ne sont pas spécialement vue d’un bon œil à Nungwi. Cependant, elle reste considérée comme une ressource possible en cas de nécessité, même si cette option n’est valable qu’à la partie de la population qui peut se permettre un tel déplacement, en termes de capital économique ou encore de réseau social. Donc, la mobilité est considérée comme une action allant de pair avec une ascension économique et sociale mais reste peu pratiquée dans les faits, car elle n’est pas accessible à toutes et à tous, nécessitant ressources et projets concrets pour être considérée comme viable et positive. Mais il convient maintenant d’explorer dans ce cadre-là, le rôle de la migration dans un contexte de changements environnementaux, qui peuvent agir sur la considération de base de la mobilité.