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DISCOURS ET REPRÉSENTATIONS DES CHANGEMENTS ENVIRONNEMENTAU

DISSOCIATION ENTRE CONNAISSANCES GÉNÉRALES ET EXPÉRIENCE PERSONNELLE

J’ai abordé précédemment la raison pour laquelle le terme de changements environnementaux

est mobilisé dans ce travail à la place de réchauffement climatique ou changement climatique. Ce choix conceptuel est également d’importance dans le cadre de mon analyse car l’un des premiers éléments que j’ai pu souligner lors de mon terrain est le fait que le terme climate change (mabadiliko ya tabianchi en swahili, parfois même climati changi dans un langage plus courant) était de notoriété commune. Cet aspect dénote à quel point le terme est aujourd’hui répandu et renforce la nécessité de le mobiliser avec prudence. Mes entretiens sont venus confirmer cette observation, « [We] know about it » (entretien W). J’ai toutefois remarqué que ces deux mots pouvaient être investis différemment entre mes enquêté·e·s et moi, mais aussi en fonction des personnes avec qui je m’entretenais. Les significations et expériences qui y étaient attribuées pouvaient varier, malgré une forme de constante sur la confirmation de l’existence du phénomène. Ainsi, là où la presque totalité de mon échantillon m’a confirmé que le changement climatique était une réalité et qu’une majorité d’entre eux/elles liaient cela à des impacts négatifs à Zanzibar et Nungwi, les discours personnels sur les conséquences et la manière dont le phénomène était vécu, à plus ou moins long terme et au quotidien, fluctuaient entre les entretiens. Certain·e·s disaient ne pas pouvoir parler de quoi il s’agissait de manière générale mais témoignaient d’effets en fonction de leur expérience au cours de l’entrevue, d’autres m’affirmaient que cela posait de nombreux problèmes, sans pouvoir plus amplement développer des éléments de leur quotidien quand la question leur était posée. J’ai donc pu observer deux niveaux de discours : un que l’on peut considérer comme général, plus en lien avec un aspect de définition de ce qu’est le réchauffement climatique globalisé et un autre s’affranchissant des connaissances et exactitudes sur la question et s’appuyant sur une expérience personnelle, et donc locale, de ses effets.

« [I know] 2 about the changing of air, the changing of rain, changing of... totally

climatic situation. » (Entretien Y)

« I do know little of it. I know... increase of... unstable temperature. Cause what I know about climate change is changes that are mostly affecting atmosphere,

2 Pour rappel, une traduction ayant été nécessaire pour la majorité des entretiens, certains des extraits

transposaient donc le retour qui m’était fait de la parole des personnes interrogées. Pour rendre le propos plus cohérent, j’ai parfois modifié les pronoms pour que la parole retranscrite soit subjectivisée.

atmospheric pressure. It appears we don't have... unique or specific temperature. Temperature tend to increase day and day. That's what I know about climate change. » (Entretien R)

On peut voir dans ces extraits la volonté de définir le phénomène dans son ensemble, d’exposer un état du savoir sur le sujet, sans perspective spécifiquement locale. Dans le premier cas, après avoir demandé des précisions sur l’expérience personnelle, le discours se précise, faisant appel à des grandes notions mais aussi au vécu des effets à un échelle plus restreinte.

« There was a decreasing of fishes in the sea due to high level of sea and hots. The problem of decreasing fishes; [my] life totally changed from fishing into peasant, to agriculture. But even in this peasant agriculture there are other problems, [we] have low production, due to climate change. » (Entretien Y)

Dans le deuxième cas, peu d’éléments personnels sont développés ;

« Just the increasing of hotness... Other one, maybe, unstable tide from the ocean, maybe. Like that. » (Entretien R)

On observe dans ce cas un premier niveau de discours très fort mais avec un deuxième niveau beaucoup moins marqué. Bien que certains éléments d’expérience personnelle transparaissaient dans la suite de l’entretien, il ne les a pas mobilisé comme étant des éléments pouvant m’intéresser. Un autre exemple permet de voir le mélange de ces deux niveaux de discours. La volonté de restituer une connaissance générale est marquée, associée à un témoignage de l’expérience locale et d’observations personnelles, qui reste cependant au second plan de son discours.

« It’s a condition in the world, different from now. We saw before something like this but now it changed. For example, rain, the level of rain, before we got rain for maybe three months, after we have hot season, after we have maybe winter, something like that. This time we can't know. The rain can be like maybe few days. For sure now I know climate change, increase of the hot in the world. That's something like that. […] I remember when I was young, in December for example, we had hot season but not like this, this time you can't sleep without the fan, something like that. So this is why I say climate has changed. »(Entretien X)

Ces citations exemplifient la perception partagée du réchauffement climatique comme une réalité établie. Ce que je trouve intéressant c’est que les niveaux de discours expriment une forme de séparation et de hiérarchisation des savoirs. On remarque la mise en avant du discours que j’appellerai thématique sur le phénomène ; les aspects scientifiques, les informations globales. Bien qu’il faille considérer que ma position de chercheuse n’était pas anodine dans les réponses qui m’étaient données, il m’a cependant semblé que cela venait surtout accentuer une séparation déjà établie entre deux formes de savoirs. Dans leurs propos, les expériences personnelles servent souvent plus d’appui, de justification au concept plus large que l’inverse, où les informations théoriques permettraient de soutenir les expériences locales. Certes, ces savoirs plus globaux sont effectivement importants pour faire sens d’éléments que l’expérience quotidienne ne permet pas d’expliquer, mais une hiérarchisation n’est alors pas nécessaire. Cela montre une perception de leurs propres connaissances du rapport à l’environnement et ses changements qui se valide plus par ce qui leur a été donné à apprendre que par leur vécu. Cet aspect est également dû à la mobilisation du concept qu’est

Mon propos n’est pas ici d’évaluer quelle influence ont les connaissances théoriques sur les discours, mais de mettre en lumière l’écart opéré entre savoirs généraux et informels, issus du vécu. Qu’un manque de savoirs techniques sur le changement climatique soit avéré ou pas, c’est la distanciation effectuée avec le phénomène, par l’omission de l’importance des connaissances issues de l’expérience, que je cherche à souligner ici. Cette séparation agit ensuite sur le rapport au phénomène, le sentiment de distance avec les connaissances valorisées pouvant agir sur les représentations. Là où plusieurs personnes ne semblaient pas avoir d’expérience personnelle à partager, je pense que la manière de se représenter les informations légitimes joue un rôle important qu’il convient de considérer. Au-delà de cette dissociation entre connaissances et expérience, une différence d’appréhension se joue également d’une séparation entre modifications du milieu naturel et effets socio-économiques qui en découlent.