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DISCOURS ET REPRÉSENTATIONS DES CHANGEMENTS ENVIRONNEMENTAU

DISSOCIATION DES EFFETS PHYSIQUES ET SOCIO-ÉCONOMIQUES

Les modifications de l’environnement naturel sont les premiers effets qui sont associés au terme climate change. Cependant, sans considérer les événements climatiques extrêmes, leurs conséquences sociales et économiques sont celles qui sont généralement les plus importantes pour les populations touchées. Lors de mes entretiens à Nungwi, il est arrivé que les questions de baisses de revenus, d’augmentation du coût de la vie soient mentionnées mais majoritairement de manière détachée des facteurs environnementaux pouvant être à l’origine de ces effets. C’est-à dire que, au fil de l’approfondissement de l’entretien, nous finissions très souvent par aborder ces aspects mais leur mention n’était pas faite de premier abord, et pas toujours comme étant un effet des changements environnementaux. Nombreuses étaient les personnes qui en parlaient comme une cause plutôt qu’une conséquence des difficultés rencontrées face à la situation environnementale à Nungwi. Cet aspect permet de voir que le regard posé sur les impacts, leur identification et leurs origines joue un rôle important dans le rapport entretenu aux changements environnementaux.

Par exemple, lors de cet entretien, bien que mon interlocuteur ait affirmé la réalité du

réchauffement climatique, il a répété que son foyer n’était pas affecté par les effets des changements environnementaux. Nous avons ensuite abordé la question des effets généraux dans le village ;

« There are general impacts in Nungwi, particularly for farmers, they are the most affected by the climate change. Dropping of the yield in the farms, of the production. […] [Does this has an impact on your household?] There is shortage of food, [I] observed this impact. There is a decrease in food availability. [So in your house there is also less food?] Yes, because even [my] family depends of farming for food, so if the community of Nungwi has been affected by dropping of productivity, [we] are also affected. » (Entretien P)

Son point de vue sous-entend que le fait que sa famille et lui aient un accès restreint à la nourriture, en lien avec les baisses de productions du secteur agricole, est une question séparée des effets des changements environnementaux. Pour lui, la question de l’ « impact » est liée à une dimension physique sur la nature, cette dimension étant détachée ensuite de ce que les modifications du milieu naturel peuvent induire sur la vie de la société. Cette dimension était présente dans beaucoup de propos concernant la production de poissons ou les récoltes ; leur baisse étant confirmée mais sans que soient directement mentionnées les répercussions

financières, même par les personnes qui pratiquent elles-mêmes ces activités. Bien souvent, ces conséquences finissaient par être abordées, mais dans un deuxième temps, les dissociant des effets strictement physiques. Cela peut se retrouver, par exemple, quand l’impact sur l’éducation était considéré lors des entretiens.

« There is impact. The same to the houses. The roof. Two times it happened to the school. But also in case of temperature, when it’s too hot in the class, they feel sleepy, they are tired. Teachers give them lessons, and they don’t get education properly. So this is impact. » (Entretien L)

On voit que ne sont considérés ici que les effets du vent sur les infrastructures ainsi que ceux concernant l’augmentation des températures. Cela ne veut pas dire que le fait que la baisse des revenus puisse influencer la scolarité des enfants ait été ignoré dans les propos de mes interviewé·e·s. Par exemple, plusieurs d’entre eux/elles m’ont fait part du fait que certains enfants avaient moins de temps pour l’école, devant aider les parents pour compenser les pertes financières. Cependant, cette considération se faisait en quelque sorte de manière déconnectée de la vision du changement climatique. On peut également observer cela quand la question du rôle du gouvernement est abordée.

« Government should make strategies for the citizens to reduce or eliminate the increase of poverty. Also, the government should give education so as people to understand about the issue of climate change. So they can face any challenge concerning about climate change. » (Entretien V)

On voit ici la déconnexion des stratégies ; d’une part, celle qui consiste à réduire la pauvreté et, d’autre part, celle qui est d’informer la population sur la question du climat et de ses changements. Cela soutient ainsi une vision qu’il y a d’un côté ; l’environnement qu’on ne peut pas contrôler mais avec lequel on peut composer si des renseignements sont disponibles sur ses modifications, et de l’autre côté ; les questions socio-économiques sur lesquelles on agit séparément, car elles sont peu liées à l’environnement. Cet aspect est soutenu par le fait que certaines des conditions socio-économiques, comme la pauvreté, étaient déjà présentes dans le quotidien avant la prise de conscience climatique. Ainsi, elles peuvent être perçues comme des formes de causes de l’augmentation des difficultés liées aux changements environnementaux, tout en étant exacerbées par ces derniers.

De manière générale, cette différentiation contribue, elle aussi, à la construction des représentations autour des changements environnementaux. Les conséquences les plus significatives au quotidien étant dissociées dans une perspective qui fait que les modifications de la nature sont perçues comme impacts prioritaires du changement climatique. Les aspects socio-économiques ne sont pas absents des perceptions mais prennent une place secondaire dans le phénomène plus large. Ce qui fait aussi que la manière de voir l’avenir par exemple, ou la représentation du risque, est influencée par cette perspective. L’environnement seul est un élément sur lequel il y a peu d’emprise, la vision des possibilités d’adaptation est liée à ce constat. Cela crée une séparation entre des moyens d’adaptation aux éléments naturels et ceux qui concernent plutôt la vie dans la société. Les éléments sociaux et économiques sont souvent attribués à d’autres sources comme les mauvaises pratiques des voisins, la gestion gouvernementale ou encore l’immigration.

ASSIMILATION DES CHANGEMENTS CLIMATIQUES ET DE L’ACTIVITÉ