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La représentation sociale comme lieu de lecture des « rapports à »

PARTIE 3. Cadre théorique : s’approprier des outils conceptuels

1 La représentation sociale comme lieu de lecture des « rapports à »

Nous nous sommes donnée pour objet l’étude des rapports au français d’étudiants de la PH IVP et avions postulé que les représentations du français allaient être opératoires pour définir les rapports à la langue. Il convient dès lors de faire le point sur les différentes études déjà menées en didactique des langues et des cultures au sujet des représentations sur les langues. Avant tout, il nous faut cependant préciser au niveau théorique ce que nous entendons par « représentation » et le lien que la représentation entretient avec les « rapports à » un objet: qu’est-ce qu’une représentation, comment se créer une représentation, à quoi servent les représentations, quels effets peuvent avoir des représentations ? Autant de questions auxquelles ce chapitre de notre travail prétend donner des éléments de réponse afin de mieux cerner notre objet d’étude.

1.1 La représentation sociale: un concept retrouvé

Les représentations sont des entités en circulation dans notre vie quotidienne. Le terme de « représentation » est à l’origine une traduction de l’allemand de Vorstellung issue de l’ouvrage Die Welt als Wille und Vorstellung (Schopenhauer, 1819/ 2009). E. Durkheim sera le premier à utiliser la notion de représentation dans un travail sur la nature de la mémoire et des souvenirs (Durkheim, 1898). L’objet de la représentation, présent ou non, est premier. La représentation, c’est-à-dire sa remise en présence mentale, arrive chronologiquement dans un deuxième temps.

Représentation : action de mettre sous les yeux (représentation : all. Vorstellung, litt. présentation). Le terme paraît se rattacher à deux idées fondamentales, celle de la présence actuelle et celle de remplacement. (Morfaux, 1980, p.315)

Dans « représentation », il y a bien étymologiquement « re » et « présentation » c’est-à-dire présentation renouvelée à l’esprit, d’objets, d’images, d’expériences, etc., surgies du passé. E. Durkheim en fait une analyse psychologique et sociologique. Il articule les « représentations individuelles » et les « représentations collectives », fondant ainsi la « sociologie des représentations » (Durkheim, 1898). Il considère les représentations collectives comme des interactions entre individus qui fixent leurs traditions et leurs habitudes. Elles seraient ainsi des formes d’appréhension du monde communes, héritées et constantes au sein d’un groupe.

Dans les années 1960, le psychologue S. Moscovici remet au goût du jour cette notion de représentation qui avait disparu des travaux en sciences sociales pendant plus

68 d’un demi-siècle (Moscovici, 1961). Il considère les représentations comme un concept114

. C’est grâce à ses travaux que le concept de représentation est devenu un « objet de recherche privilégié » (Perrefort, 2001, p.36) en sciences sociales. Dorénavant, nous entendrons par représentation:

Tout système de savoirs, de croyances et d’attitudes, émanant d’agents collectifs, identifiant, justifiant, décrivant ou engendrant des pratiques socio-économiques, culturelles, religieuses ou politiques spécifiques. (Ferréol & Jucquois, 2003, p.304)

Les représentations constituent un concept carrefour, au croisement des sciences humaines et sociales. Le concept est intéressant pour de nombreux domaines de recherches et appelle à un travail pluridisciplinaire.

Tout se passe comme si les représentations de la langue d’étude chez les linguistes n’avaient pas grand chose à voir avec celles des psychologues. (Matthey, 1997, p.323)

E. Durkheim déjà, avait bien senti la nécessité de décloisonner les sciences et faisait appel sans complexe aussi bien à la sociologie qu’à la psychologie. Aujourd’hui l’étude des représentations est aujourd’hui attestée115 et la transversalité ne fait plus aucun doute :

Utilisée dans le champ de la didactique des langues, la notion de représentation brouille les cloisonnements disciplinaires, en donnant un objet commun aux enseignants de langues différentes, en installant des dimensions transversales qui mettent à mal les académismes et les traditions scolaires, et finalement les idées reçues. (Zarate, 1997, p.8)

Les représentations recouvrent un grand nombre de phénomènes et de processus. pour traiter de toutes sortes de problèmes sociaux116. Le concept reste à manipuler avec grande prudence, en raison de sa polysémie (Castellotti & Moore, 2002, p.7) : il est « difficile de parvenir à conceptualiser le terme » (Perrefort, 2001, p.37). Au niveau terminologique, nous parlerons de « concept de représentation », mais de « notion de représentation sociale » (Xie, 2008, p. 40-41). Nous verrons d’ailleurs dans notre cadre méthodologique comment nous avons fait du concept de représentation un véritable concept opératoire.

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Nous entendons par concept ce qui « correspond à une représentation mentale symbolique d’une classe d’éléments permettant des manipulations intellectuelles » (Galisson & Puren, 1999, p.37). S. Moscovici décrit les représentations comme « un concept perdu » en référence à cette éclipse. C’est pour détourner son expression que nous intitulons notre chapitre « un concept retrouvé » puisqu’en effet, depuis les années 1960, le concept a retrouvé une grande vitalité aussi bien en sciences sociales que dans d’autres champs.

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« Elle est tenue pour un objet d’étude aussi légitime que cette dernière (la connaissance scientifique), en raison de son importance dans la vie sociale » (Jodelet, 1989/ 1997, p.53) ; les représentations collectives sont des « objets d’intérêt scientifique » (Mannoni, 1998/ 2008, p.42).

116 Les champs disciplinaires d’application étant très nombreux, il est impossible de faire le tour de toute la

littérature scientifique touchant de près ou de loin aux représentations dans tous les champs disciplinaires. Nous allons devoir circonscrire l’objet de nos lectures théoriques et les orienter très tôt vers notre terrain, celui des futurs enseignants de langue étrangère du primaire en formation à Berne, et ce, en fonction de nos questions de recherche.

69 1.2 La représentation sociale : stable et évolutive à la fois

Les représentations qu’E. Durkheim nomme « collectives » ont donné naissance aux représentations dites « sociales ». Dans les deux cas, on considère les représentations comme étant le produit de collectivités, du « concours » des individus :

Les représentations collectives sont extérieures aux consciences individuelles, c’est qu’elles ne dérivent pas des individus pris isolément, mais de leur concours. (Durkheim, 1898)

S. Moscovici considère les représentations comme étant en constante évolution. Les représentations auraient un caractère dynamique, changeant et relèveraient plutôt d’un processus d’adaptation au monde. Ses travaux ont montré qu’une représentation est une grille de lecture du monde. En tant que processus, il leur reconnaît un caractère dynamique et évolutif (Moscovici, 1961). C’est là ce qui différencie les représentations collectives d’E. Durkheim, plutôt stables, des représentations sociales de S. Moscovici, à caractère évolutif. En fait, nous allons voir que les représentations sont composées à la fois d’une partie stable et d’une partie évolutive. Quant à l’adjectif « social », plutôt que « collectif », il accentue l’idée d’appartenance à un groupe aux prises avec des réalités en constante évolution, à travers la représentation :

Le rajout du qualificatif sociale à « représentation » implique la prise en considération des « forces et contraintes » émanant de la société. (Seca, 2001, p.40)

Les représentations sociales, dorénavant RS, sont donc le produit de groupes sociaux. Les représentations dites « naïves » étant justement les représentations « encore peu marquées par des stéréotypes socialement dominants » (Castellotti, Coste, & Moore, 2001, p.108). Il semble incontournable de replacer la production des RS dans le contexte historique et social du groupe qui les produit, le phénomène en évolution s’inscrivant forcément sur un axe diachronique.

Les représentations trouvent leur fondement dans les discours institutionnalisés ou non sur la (les) langue(s) (…), dans les textes littéraires, médiatiques. Ces discours s’inscrivent dans l’histoire de chaque communauté, sont transmis, traités, stockés dans la mémoire collective et contribuent, à travers l’histoire, à construire chez le sujet des représentations (…). (Perrefort, 1997, p.52) 117

Les groupes sociaux produisent des RS sur tout et les RS touchent de nombreux aspects de la vie (Pouliot, 1994). « Toute représentation est une représentation de quelque chose » (Moscovici, 1961, p.61). Toutefois, on ne forme pas de RS sur tous les objets qui se présentent à notre perception. Il y a un principe de sélection :

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Ces fameux discours préconstruits, stockés et transmis au sein des groupes nous rappellent par ailleurs la notion de « prêt-à-penser avec ses schémas, ses références et ses modèles pré-formatés et donc reproductibles » (Gohard-Radenkovic, 2012). Les RS sont en effet des notions rarement remises en question par les membres du groupe qui les considèrent comme des évidences.

70 Les objets de RS sont essentiellement générés suite à un manque relatif d’informations par rapport à leur référent et en fonction de l’existence d’un degré de consensus ou de dissension dans le groupe qui les élabore. De tels objets doivent être pluriels, complexes, polymorphes, inconnus ou peu connus. Ils peuvent aussi être très familiers mais sources de polémiques, de conversations, de rêves, de répulsions et d’une dynamique sociale. (Seca, 2001, p.60)

Ainsi, un groupe ne formerait de RS qu’au sujet d’objets qu’il ne maîtrise pas, soit par manque de connaissance, soit par absence d’unanimité à son sujet. Les RS seraient une forme de réponse à la difficulté de conceptualiser l’inconnu ou le mal connu118. Il s’agit dans

un premier temps d’une réaction naturelle que d’appréhender une réalité mal connue en fonction des ressources et des connaissances dont on dispose.

Allant des modes de connaissances les plus scientifiques aux plus anodins, tout est construit socialement et malgré les apparences, rien ne va de soi.

La brave mère de famille qui déclare constamment devant ses enfants à propos d’un commerçant plus ou moins malhonnête : « C’est un vrai Juif », n’a probablement aucune intention d’enseigner la haine ou le mépris des Juifs à ses enfants. Néanmoins, le résultat est identique : l’association suffit à créer une attitude « explicite ». (Mannoni, 1998/ 2008, p.25)

Le mécanisme de construction des RS se base sur une simple représentation mentale ou psychologique, qui est première, et donne ensuite naissance à une RS si elle est collective et reprise par un groupe. À son tour, la RS engendre des croyances, des clichés, des stéréotypes, des mythes, etc. (Mannoni, 1998/ 2008, p.40). Les stéréotypes et les préjugés sont ainsi présentés comme le résultat potentiel de RS. On voit ici que les RS sont au cœur de l’étude des attitudes, préjugés, stéréotypes, etc. et forment donc le fondement des idéologies.

Les RS sont constitutives des idéologies de groupe et circulent par le biais de discours institutionnalisés, médiatiques ou littéraires. « L’importance du discours dans la formation et la transmission des représentations sociales » (Matthey, 1997, p.320) ne peut qu’être soulignée:

C’est dans et par le discours que les représentations se construisent, se modifient et se transmettent. C’est aussi dans et par le discours qu’une représentation sociale est diffusée et circule dans un groupe social. (Moore & Py, 2008/ 2011, p.276)

C. Serra parle des RS qui se manifestent dans le discours comme d’une « impulsion discursive » dont les auteurs ne cherchent pas à remettre en question l’origine ou le bien- fondé et dont la nature est, fondamentalement, de circuler au sein des discours :

forme de citations parfois fragmentaires, aux contenus plus ou moins explicites, que les acteurs sont prêts à reconnaître comme propositions du savoir commun, sans s’interroger sur leur provenance. (Serra, 2000, p.78)

118 Ainsi E. Gülich explique le comportement stigmatisant des enseignants face à une maladie qu’ils connaissent

mal : « Faute de connaissance sur l’épilepsie, les enseignants cherchent à donner une interprétation en se référant à leur savoir quotidien » (Gülich, 2004, p.271).

71 Depuis S. Moscovici les RS sont considérées comme changeantes et en évolution. Cependant il est bon de distinguer deux niveaux : un niveau de RS effectivement en évolution, négocié dans chaque interaction sociale, mais également un niveau de base stable, hérité à l’intérieur du groupe (Gajo, 2000, p.40).

Toute représentation est organisée autour d’un noyau central. Ce noyau central est l’élément fondamental de la représentation car c’est lui qui détermine à la fois la signification et l’organisation de la représentation. (Abric, 1989/ 1997, p.215)

La représentation mentale119 que l’on nomme « noyau central » (Abric, 1989/ 1997, p.226), ou bien encore « principe organisateur » (Doise, 1986), serait donc la base première de toute représentation. Ce noyau central serait la partie la plus stable de la RS, celle dont on hérite et que l’on se transmet au sein d’un groupe. Le système périphérique de la RS serait quant à lui composé d’éléments plus mobiles, changeants et en constante évolution. On distingue deux étapes à la production de RS :

Une représentation sociale s’élabore selon deux processus fondamentaux : l’objectivation et l’ancrage. (Moscovici, 1961, p. 107)

Par « objectivation », on entend le fait de poser quelque chose comme « objet » de représentation. Il y a dans un premier temps une sélection de noyau dur à effectuer, parmi les divers objets inconnus ou mal connus120. Quant à l’ancrage, le second processus, il sert à rendre fonctionnelle la RS :

Ancrer une représentation consiste dans l’activité de l’enraciner dans l’espace social afin d’en faire un usage quotidien. L’ancrage permet une utilisation concrète et fonctionnelle de l’objet de RS. (Seca, 2001, p.65)

On peut d’ailleurs effectuer un judicieux parallèle entre le fonctionnement de l’ancrage qui s’insère dans le contexte social en se greffant sur des schèmes déjà établis au sein du groupe et le fonctionnement de « l’habitus »121 qui se réajuste lui aussi en permanence sur

fond d’acquis (Xie, 2008, p.53). Si la RS permet aux membres d’un groupe de manier des notions complexes, inconnues ou mal connues, alors l’ancrage comporte forcément un aspect prototypique de simplification de l’objet. Cette réduction semble nécessaire à la maniabilité quotidienne du complexe.

Il s’agit de rendre intelligible ce qui est nouveau ou étranger et de permettre une meilleure communication en offrant des outils communs. (Castellotti & Moore, 2002, p.9)

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Selon la définition: « Les représentations mentales, c’est-à-dire les actes de perception et d’appréciation, de connaissance et de reconnaissance, où les agents investissent leurs intérêts et leurs présupposés ». (Bourdieu, 1980a, p.135)

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Cette étape d’objectivation se divise en sous-étapes successives: la sélection de l’objet, la schématisation et la naturalisation. Le phénomène d’objectivation, citons la célèbre analyse effectuée au sujet d’une publicité pour les pâtes Panzani (Barthes, 1957), où la fonction de relais qu’exerce l’objet est bien démontrée.

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Nous allons revenir sur le concept d’« habitus » développé par P. Bourdieu (Bourdieu, 1979a, p.112) dans notre chapitre sur la formation des enseignants, partie 3.

72 La finalité des RS est de permettre la communication. Les RS déterminent aussi bien leur mode de production que leur fonctionnement. Elles sont des productions collectives plus ou moins subjectives qui ont un effet sur le monde social : définir/ produire les croyances, les mythes, les stéréotypes, etc. propres au groupe. Ainsi, nous adoptons la définition suivante :

C’est une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social. (Jodelet, 1989/ 1997, p.53)

La RS est « forme de connaissance » en cela qu’elle permet d’aborder l’inconnu/ le mal connu/ le polémique. Elle est « socialement élaborée et partagée » : elle est le produit de l’interaction sociale et utilise cette interaction pour se diffuser. Elle est à « visée pratique » puisqu’elle remplit des fonctions sociales. Enfin, elle « concour(t) à la construction d’une réalité commune » en cela que, construite socialement, elle participe également à la construction du monde social.

La représentation sociale, comme toute représentation, est une manière de catégoriser des situations, des évènements, des individus, pour interpréter l’environnement (…) et pour y agir. (Coste, 1997, p.109)

Les RS remettent en présence mentalement les objets à l’origine de la représentation, mais produisent en même temps des phénomènes qui influencent les objets, des représentations. Il s’agit d’une des caractéristiques fondamentales des RS.

Objets socialement construits, les représentations sociales participent donc, en retour, à la construction du social qui les a produites. (Mannoni, 1998/ 2008, p.122)

Les RS produisent des RS. Elles sont à la fois un produit et un processus de production. On parle ainsi de la double nature des RS.

Les représentations sont foncièrement sociales (…). Cette dimension sociale se manifeste autant dans la forme (en tant que reflétant un processus) des représentations que dans leur contenu (objet). (Gajo, 2000, p.39)

Il y aurait ainsi deux types de RS, celles dites « préfabriquées » que l’on se transmet, c’est- à-dire le produit, et les RS « en construction » qui s’élaborent au moment de leur énonciation, c’est-à-dire en processus de production (Moore & Py, 2008/ 2011, p.276). E. Durkheim déjà avait bien vu au 19e siècle la double nature des RS et décrit alors le fonctionnement de leur reproduction:

Une fois qu’un premier fond de représentations s’est ainsi constitué, elles deviennent (…) des réalités partiellement autonomes qui vivent leur propre vie. Elles ont le pouvoir de s’appeler, de se repousser, de former entre elles des synthèses de toutes sortes (…). Les représentations nouvelles, qui sont le produit de ces synthèses, sont de même nature : elles ont pour causes prochaines d’autres représentations collectives (…). (Durkheim, 1898)

En plus de pouvoir se reproduire, les RS ont pour particularité de s’auto légitimer. Elles répondent donc à un processus de formation en partie autonome.

73 On peut noter que les stéréotypes peuvent altérer la perception de la réalité pour construire des images compatibles avec les représentations du stéréotype. (Moore, 2001, p.14)

Circulant au sein d’un groupe dans et par le discours, les RS préfabriquées et en construction sont indéniablement des produits d’interactions.

1.3 La représentation sociale comme le produit d’interaction(s)

Par opposition aux représentations individuelles, les représentations « sociales » sont le produit de collectivités ou plus précisément de groupes. Elles sont forcément aux prises avec des conventions sociales, des normes, des traditions de groupes :

N’importe qui ne fait, ne pense et ne dit pas n’importe quoi, n’importe comment, à n’importe qui, n’importe quand, n’importe où, dans n’importe quelle situation, à n’importe quelle fin, avec n’importe quel effet. (Windisch, 1989/ 1997, p.193)

Les RS sont codifiées et des dimensions affectives en découlent. Les RS touchent en effet l’affect et les émotions. E. Durkheim avait d’ailleurs bien vu lui aussi que les RS étaient le produit d’interactions sociales quand il parlait du nécessaire « concours » des individus dans leur production. Il affirme même que les RS sont le propre du groupe :

Un homme qui ne penserait pas par concepts ne serait par un homme ; car ce ne serait pas un être social, réduit aux seuls percepts individuels, il serait indistinct et animal. (Durkheim, 1912, p.626)

C’est l’idée que S. Moscovici défend également lorsqu’il parle de la métaphore du « chœur » que forment les membres d’un groupe : c’est le propre d’une société ou d’une culture que de former un « chœur » et d’avoir des RS (Moscovici, 1961)122

. La représentation est donc aussi bien un produit social qu’un reflet de la société qui le produit et des liens qui unissent ses membres. Il semble néanmoins nécessaire de dépasser la simple opposition entre représentation individuelle et représentation sociale. Les représentations individuelles ne concourent-elles pas à la production des RS ? Les RS n’influencent-elles pas justement les représentations individuelles ? Il paraît beaucoup plus fécond de voir par quelles dynamiques elles s’enchevêtrent et s’autodéterminent entre elles. Au final les RS, reprises et véhiculées par les individus, sont toujours des interprétations individuelles de RS. Il y a en effet une tension permanente entre la part d’individuel et la part de collectif dans toute représentation :

122 Cette dynamique semble aujourd’hui établie : dans « la force des représentations » (Bourdieu, 1980a, p.135-

148), P. Bourdieu démontre que les RS forme l’identité et l’unité du groupe ; G. Zarate affirme qu’il n’y a pas de groupe sans RS : « il n’y a de réalité sociale qu’à travers les représentations qui y circulent » (Zarate, 1997, p.7) et S. Hall écrit : « Representation is the process by which members of a culture use language to produce meaning » (Hall, 1997, p.61).

74 La position d’une représentation sociale n’est donc ni entièrement du domaine social, ni entièrement du domaine individuel et ce sont les mises en écho entre ces différents niveaux d’articulation qui informent la vitalité (au sens de mouvement) des représentations. (Moore, 2001, p.16)

Il paraît vain d’opposer RS et représentations individuelles qui ne sont qu’interprétation, détournement, exagération, contre-pied, etc. des RS et qui se définissent donc forcément par rapport aux RS. Il s’agit au contraire de considérer leur dynamique, leur mouvement, leur vitalité, au sein des allers retours qui s’opèrent entre les unes et les autres. Si les RS sont bel et bien un phénomène social, elles se situent à mi-chemin entre l’individuel et l’interaction. La perception, l’interprétation, l’utilisation et la transmission de notions élaborées collectivement se trouvent bien au croisement des deux.