2. Approche conceptuelle 2.4. Aspects normatifs des représentations sociales 2.4.5. Représentation sociale et modèles normatifs Parce que les représentations se construisent dans l’interaction sociale (Moscovici, 1961), il faut considérer, comme nous l’avons vu plus haut, que les pratiques ne sont pas le seul facteur impliqué dans la représentation. Le contexte social et plus particulièrement les phénomènes d’influence sociale sont à prendre en compte. Les recherches retracées par Mugny, Quiamzade et Tafani (2001) sur le groupe d’amis ont permis de déterminer les conditions dans lesquelles une source experte peut entraîner une modification du caractère central d’un élément, c’est-à-dire de la structure de la représentation. L’idée défendue est que l’exposition à un message infirmant la représentation, produit par une source experte n’entraîne pas forcément un changement dans la représentation sociale. Dans la droite ligne de ce que nous avons développé au chapitre précédent, on peut imaginer que cette question de l’influence sociale sur la représentation se doit d’être envisagée sous un autre angle. 62 Selon Gaymard (2014), le problème à propos des normes, réside dans le fait que l’on ne puisse pas envisager l’idée de changement sous l’angle du noyau central étant données ses caractéristiques absolues et non négociables. Toujours selon Gaymard (2014) ce constat vaut aussi dans le cadre des théories de l’influence sociale, qui ont engendré les premiers travaux sur les normes. On retrouve ces questions d’influences sociales sur les représentations dans les travaux sur les modèles normatifs de Flament (1999), dans lesquels des instructions spécifiques sont utilisés. Il s’agit ici de révéler la capacité des individus à se mettre à la place des autres en produisant des déclarations différentes de celles qui leurs sont propres (Campbell, Muncer, Guy & Banim, 1996; Gaymard, 2003b). Il s’agit surtout de mettre en évidence l'influence de groupes de référence sur les réponses individuelles (Flament, 1999; Gaymard, 1999, 2003, 2009). En utilisant une méthodologie spécifique, Flament a montré que dans la représentation, il existe différents modèles normatifs qui influencent les réponses des individus. Cela revient à dire que, «Dans notre esprit, nous ne nous limitons pas à nous représenter le monde, mais nous sommes aussi influencés par la façon dont nous pensons que les autres groupes qui sont importants pour nous se le représentent à eux-mêmes » (Gaymard, 2011 cité par Gaymard 2014). Dans cet article, Flament (1999) introduit, ce qui sera développé par Gaymard ensuite, c’est à dire une rupture avec l'idée que les normes appartiennent toutes au noyau central. Flament (1999), constatant que les situations de passations de questionnaire donnent lieu à un face à face entre le chercheur et le participant, s'interroge sur la normativité des 63 étude habituelle, reflètent largement les opinions « bien vues » (ou « mal vues ») par certaines instances de référence – non parce que les sujets se déclarent sous cette influence, mais parce que les opinions standard seront corrélées, dans la recherche, avec les opinions de référence » (Flament, 1999, p. 31). La recherche qu'il effectue alors vise à montrer comment les opinions exprimées par les participants sont sujettes aux influences des opinions d'un groupe de référence. S'interrogeant sur la représentation des études chez les étudiants, il met en place une étude visant à mettre en lumière l’influence chez ces derniers de deux groupes de références ; « les enseignants » et « les gens de la génération des parents ». Flament propose dans un premier temps aux sujets de répondre à un questionnaire en leur nom propre (consigne standard). Dans un second temps, il utilise une consigne de substitution, c'est-à-dire qu’il leur propose de répondre au même questionnaire, comme le feraient leur parents ou leurs enseignants. Il introduit des consignes du type « répondez pour être bien vu / mal vu par les enseignants ». Les résultats obtenus par Flament indiquent une corrélation entre les réponses standards des étudiants et les réponses obtenues avec les consignes normatives (« bien vu » par les enseignants, les autres étudiants et les parents). Il en conclut alors que « les réponses que l'on recueille habituellement dans les études de représentation sociale sont largement (sinon totalement) le reflet complexe de divers modèles normatifs pertinents pour l'objet de la représentation » (Flament, 1999, p.50). Néanmoins, le fait que la représentation reflète une norme n'induit pas forcément que celle-ci soit « complètement » partagée par les individus. Gaymard (2003a), s’intéressant à un 64 montre, grâce à une consigne de substitution et à une analyse de régression multiple, le poids important des modèles « biens vus par leurs parents » chez les étudiantes maghrébines. « Elles sont capables de distinguer les aspects absolus des aspects conditionnels chez les parents » (Gaymard, 2003a, p. 57). Les réponses des étudiantes en condition standard reflètent les réponses de filles bien vues par leurs parents. Cette position sous-tend une adhésion commune aux valeurs traditionnelles puisque qu’il apparaît que pour ces jeunes femmes, que pour être bien vue, il vaut mieux être traditionnelle. De fait, certaines valeurs perçues comme importantes pour les parents, comme la religion par exemple, apparaissent non-négociables et respectées par les étudiantes. Grâce à la connaissance de ce modèle parental, les étudiantes peuvent se conformer aux éléments non-négociables de la représentation et négocier avec leurs parents sur le reste, « chaque partie tirant son épingle du jeu » (Gaymard, 2003a, p. 56). C’est grâce à l’utilisation d’un test des choix alternatifs, que Gaymard (2003) a révélé que les étudiantes étaient plus respectueuses de la tradition et que leurs parents, en contrepartie, toléraient plus de libertés au quotidien. Comparant des étudiantes et des jeunes filles en rupture, Gaymard (2003) à montré que la logique de négociation constatée chez les premières laisse la place à unelogique de conflit chez les secondes. Les non étudiantes se démarquent par un poids plus important du modèle mal vue par les parents ainsi que du modèle occidental. Elles se démarquent notamment sur le plan de la religion et de l’adhésion aux valeurs traditionnelles qui est moins saillante que chez leurs homologues étudiantes. 65 Gaymard (2003) interroge ses sujets sur des thèmes variés tels que la religion, les sorties, la virginité ou les rapports hommes/femmes et il est fort intéressant de constater dans ses travaux que les sujets, sur certains thèmes plus que d’autres, se montrent « capables en condition de substitution, de distinguer les aspects absolus des aspects conditionnels » (Gaymard 2003b p25) selon la modalité de substitution (par exemple les parents). Il apparaît alors que « la condition de substitution oriente les sujets en priorité vers l’évaluation de la normativité du thème suggérée par l’emploi de ces consignes » (Gaymard 2003b p25). La représentation apparaît ainsi moins figée que telle qu’on ne la présente habituellement dans son approche structurale puisque poreuse à l’influence sociale de modèles précis sur des thèmes parfois présentés comme très normatifs (i.e la religion). Si la représentation sociale contient une forte dimension normative qui semble communément admise dans la littérature, et qu’il y a plusieurs façons d’être dans la norme comme le montre les travaux de Gaymard (2003) alors le noyau apparaît effectivement « trop rigide » et trop peu adaptatif (Gaymard 2014) pour répondre à ce jonglage entre les modèles normatifs. La coexistence des aspects absolus et conditionnels associés à leur variabilité en fonction des modèles normatifs intégrés par les sujets ne peut être assumée alors que par la périphérie, plus adaptative et conditionnelle (Gaymard 2003). Avec la même approche et dans le domaine routier, Gaymard (2009) demande à des jeunes conducteurs de compléter un questionnaire (Gaymard, 2007) portant sur les transgressions du code de la route en condition standard et de substitution. Les résultats montrent que les réponses en condition standard sont influencées par le modèle « bien vu par les pairs ». 66 L’influence des pairs chez les jeunes dans d’autres domaines comme la consommation de stupéfiants notamment est mise en évidence dans plusieurs travaux. Il ressort de ces travaux que l’entourage du consommateur exercerait une pression normative à consommer (Parker, Williams et Aldridge, 2002; Gutiérrez et Palacios, 2004). Cette pression pouvant toutefois, selon Graham, Marks et Hansen (1991), être active (impliquant des propositions explicites), ou passive (par imitation des pairs consommateurs ou par surestimation des consommations de l’entourage). L’effet de l’entourage s’exercerait également dans le sens de la non-consommation. L’impact des pairs n’avait cependant jamais été mesuré au travers de l’établissement de « profils » normatifs en relation avec la représentation de la drogue. C’est ce que Gaymard (2009) a proposé avec les transgressions du code de la route chez les jeunes conducteurs. Il ressort de ces travaux que chez les jeunes conducteurs, le système de normes légales que constitue le code de la route, cohabite avec un système de normes sociales qui sont liées aux pratiques de conduite effectives des sujets. Les résultats de Gaymard (2009) montrent par exemple que les limitations de vitesse ou certaines règles comme le stop sont perçues comme des règles conditionnelles. Il apparaît ainsi que les règles, si elles sont connues, ne sont pas assimilées comme telles, c’est à dire comme des règles absolues. Le constat de cette conditionnalité montre ainsi que les comportements transgressifs, dans certains cas, sont reconnus par les sujets comme des comportements valorisés par leurs pairs. Ils s’en trouvent de fait socialement légitimés. Le modèle de réponses « bien vu par les pairs » s’avère ici être un bon prédicteur des réponses des sujets en condition standard. Gaymard dégage donc que le modèle des pairs constitue un groupe de référence normative qui impactera directement les pratiques de conduite des sujets. 67 3. ADOLESCENTS ET CYCLOMOTEURS, Dans le document L’impact des modèles normatifs sur la représentation sociale du cyclomoteur chez les adolescents : la transgression comme vecteur d’intégration (Page 62-68)