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communicationnelle de la relation client

1.3.3. Représentation(s) : le rapport au monde comme construction

Dès lors, une fois dépassée l’idée déterministe d’une mise en scène qui provoquerait des effets sur un public passif, il devient nécessaire de préciser la manière dont nous abordons le processus de perception, de traduction, d’appropriation des messages par les clients, processus que nous n’avons pour l’instant que pointé du doigt. Si l’entreprise produit des messages, des images, pour se mettre en scène, elle cherche aussi, d’un point de vue opérationnel, à toucher les représentations du client, à leur faire écho pour le fidéliser, à les consolider ou à les conduire à se transformer pour l’intéresser à des offres. On désigne alors par le terme « représentation » des images mentales construites par les individus concernés, celles-ci constituant à la fois des modes d’appréhension et des productions de sens en termes d’interprétation de la réalité. Dans la mesure où une entreprise comme EDF communique sur et à travers des représentations du service, de la qualité, de la proximité, etc., il apparaît nécessaire de cerner les contours de ce concept auquel nous allons recourir dans nos investigations et nos analyses du fait qu’il

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nous semble essentiel à la compréhension des processus par lesquels des individus ou des groupes élaborent du sens au cœur des interactions.

Selon Jean-Claude Abric, le concept de représentation désigne le « processus et le produit d’une activité mentale par laquelle un individu ou un groupe constitue le réel auquel il est confronté et lui attribue une signification spécifique"238

. Il semble ainsi faire écho aux travaux de Piaget sur la perception du monde par les enfants239

et à la posture constructiviste de Herzlich240 et de Watzlawick que ce dernier résumait ainsi : « La réalité n’existe pas, c’est une construction mentale. »241

. Cette acception intéresse tout particulièrement nos travaux dans la mesure où elle pose l’hypothèse d’un « réel constitué » à travers la perception propre à un individu ou à un groupe. En le définissant ainsi, Abric aborde le concept de représentation dans sa dimension plus cognitive, ce dernier terme devant être entendu à la fois dans sa perspective de processus de raisonnement ou de traitement d’information et sous l’angle de connaissances produites vis-à-vis du réel. Il insiste ainsi sur la résultante de ce processus, à savoir « une signification spécifique » et c’est bien cette signification produite au cours des interactions entre EDF et ses clients qui nous intéresse ici.

En outre, nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer dans cette première partie de notre recherche (cf. p. 52) le concept de « représentations sociales », formalisé par Serge Moscovici242 et repris par Denise Jodelet. Pour Jodelet, « les processus d’élaboration cognitive peuvent être dits sociaux dans un premier sens, quand ils se produisent dans l’interaction et la communication avec les autres. Ils renvoient alors à une activité conjointe des partenaires qui construisent une certaine interprétation ou vision partagée d’un objet d’intérêt commun. (…) Quant aux contenus de la connaissance, ils sont dits sociaux, non seulement en raison de leur mode de production, mais également parce qu’ils sont opérants dans la société.»243

Denise Jodelet aborde ainsi les représentations

238 Abric, Jean-Claude, Pratiques sociales et représentations. Paris : PUF, 1994

239 Piaget, Jean, La représentation du monde chez l’enfant. Paris : PUF, 1926

240 Herzlich, Claudine, Santé et maladie. Analyse d’une représentation sociale. Paris : Mouton, 1969

241 Watzlawick, Paul et al., Une logique de la communication. Paris : Seuil, 1972

242 Moscovici, Serge, La psychanalyse, son image et son public. Paris : PUF, 1961, cité par Jodelet

Denise, « Les représentations sociales – Regard sur la connaissance ordinaire », in Sciences Humaines, 1993, n° 27

243 Jodelet, Denise, « Les représentations sociales – Regard sur la connaissance ordinaire », in Sciences

en mettant l’accent sur l’élaboration sociale de ces images, notamment en termes d’interaction et d’influence contextuelle.

Pour sa part, Sandra Jovchelovitch244 insiste sur la nécessité d’appréhender conjointement les dimensions cognitive et sociale des représentations, en tenant compte des « circonstances psychosociales et historiques » dans lesquelles elles émergent. Elle critique en cela des travaux tels que ceux du philosophe américain Richard Rorty245

qui les aborde en termes de re-présentation du monde, comme une tentative de refléter le monde extérieur. Si Jovchelovitch reconnaît aux représentations une fonction « épistémique » visant à connaître le monde, elle voit dans la démarche de Rorty un prolongement de celle des philosophes du 18ème

siècle, tels que Locke ou Descartes qui, dans la perspective d’une valorisation de la Raison, abordaient les phénomènes cognitifs de manière « désincarnée » et « a-sociale ». A l’inverse, Jovchelovitch insiste sur la nécessité de tenir compte des apports de la psychologie du développement et de la psychologie sociale. Elle met ainsi en exergue les processus dialogiques qui président à l’élaboration et à l’expression des représentations et aborde ces dernières comme une construction symbolique complexe entre ego, alter et objet et, en cela, comme des vecteurs et des produits de significations.

Les travaux de Claude Dubar246 fournissent d’autres éléments de compréhension particulièrement intéressants quant à cette articulation des dimensions subjective et intersubjective des phénomènes représentationnels. En effet, selon lui, la notion de représentation se trouve parfois trop exclusivement abordée en termes d’images quasi-finies et non au plan de leurs processus d’élaboration, de circulation et de co-construction, ce qui a tendance à les priver de leur caractère dynamique et à nuire à la prise en compte de la complexité qui caractérise leur production et leur perception. Cette remarque vient finalement conforter l’intérêt de l’emploi, par Sandra Jovchelovitch, de l’expression « processus représentationnels » et c’est bien de ce point de vue que nous ancrons nos analyses : aborder les questions de production, d’échange

244 Jovchelovitch, Sandra, « La fonction symbolique et la construction des représentations : la dynamique

communicationnelle Ego/Alter/Objet », in Hermès, 2007, n° 41, La fonction symbolique et la

construction des représentations. Paris : CNRS Editions

245 Rorty, Richard, Philosophy and the Mirror of Nature. Princeton : Princeton University Press, 1973,

cité par Jovchelovitch Sandra (2007), op. cit. p. 54

246 Dubar, Claude, La socialisation – Construction des identités sociales et professionnelles, 2ème édition.

et de réception des signes concourant à la relation client à la fois selon une perspective sociale et cognitive, et également en tant que procès d’élaboration d’une signification plus ou moins partagée par les acteurs de cette communication. Par ailleurs, au-delà d’un nécessaire cadrage conceptuel de notre démarche de recherche, la notion de représentation revêt également pour nous un caractère particulièrement fécond au plan méthodologique.

1.3.4. Attributions causales, valeurs, et identité : une approche du