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communicationnelle de la relation client

1.3.2. Emission de messages et mise en scène

Par ailleurs, en abordant la relation client comme un processus de signification complexe, notre problématique porte autant sur les formes et les dispositifs de la relation au client que sur la manière dont celle-ci est présentée, dite, par l’entreprise. Au-delà de la question de la nature de la relation, il est donc pertinent d’interroger la nature et le statut de ce processus de signification.

A la lumière des premiers éléments que nous avons évoqués plus haut, nous insistons tout d’abord sur l’idée d’une élaboration progressive du sens dans les interactions entre entreprise et client. Dans ces conditions, nous mobilisons la notion de « message » pour désigner ce que l’entreprise veut dire, ce qu’elle veut « faire passer », transmettre, faire retenir ou comprendre au travers des interactions qu’elle suscite. Comme le remarquent encore Bernard Lamizet et Ahmed Silem, « La différence entre le message et le discours est que le discours fait l’objet d’une énonciation, alors que le message fait l’objet d’une émission. Cela implique que le message est produit dans une situation sociale et par des formes institutionnelles d’émission. ».230

Bien que nous ayons montré les limites théoriques liées à la convocation d’une figure de l’émetteur, la notion de message suppose la prise en compte d’une intention plus ou moins précise au moment de la prise de parole de l’entreprise.

Mais le message n’est pas, à nos yeux, que l’affaire de l’émetteur. Comme cela est souvent souligné dans le champ des Sciences de l’Information et de la Communication,

230

« Personne n’est propriétaire du sens »231 , ce qui implique la prise en considération d’une activité perceptive et interprétative de la part du client, activité qui peu à peu se noue avec celle d’EDF dans un continuum de production de signification. Bernard Lamizet remarque ainsi qu’« A force d’échanger sur le sens, on construit du sens ensemble »232

. Une telle approche insiste sur l’importance de la perception mais ne nous affranchit en rien de la problématique de l’intention que nous avons mentionnée plus haut. Le continuum que nous évoquons ici engage donc la production, l’échange, la confrontation plus ou moins conscientisée d’images de la réalité qui sont autant de représentations en jeu dans l’interaction mise en place et vécue par les acteurs de la relation client.

A travers les différents types de messages qu’elle diffuse, EDF élabore et véhicule donc une certaine représentation du client et de la relation qu’elle entretient avec lui. Dans la lignée des travaux de Goffman233

, cette production de messages par une entreprise peut être appréhendée à travers la notion de mise en scène qui, en mobilisant la métaphore théâtrale, désigne une tentative de configuration et d’anticipation d’une perception, voire de contrôle de cette dernière. Si Goffman envisage la mise en scène principalement à l’échelle interindividuelle en évoquant une « présentation de soi », insistant sur la volonté qu’ont les individus de ne pas perdre la face dans les interactions, cette notion peut également être appliquée à la communication d’entreprise, dans la mesure où, à l’heure du marketing institutionnel, de nombreuses organisations tentent au quotidien d’entretenir et de développer leur image auprès de leurs différents publics.

Cependant, si nous considérons la notion de mise en scène comme centrale dans nos travaux et comme particulièrement pertinente pour faciliter la compréhension des processus de signification qui figurent au cœur de notre recherche, celle-ci ne peut se résumer à l’émission ponctuelle d’un ou de plusieurs messages orientés qui seraient susceptibles de produire un « effet » direct sur le public. Nous avons déjà tenté de montrer les limites d’une telle approche mécaniste et mis en avant la nécessité de penser

231 Wolton, Dominique, Informer n’est pas communiquer, CNRS Editions, 2009

232 Lamizet, Bernard, « Médiation et communication », in Chappaz Georges, Comprendre et construire la

médiation. Marseille : CRDP/Université de Provence, 1995

233 Goffman, Erving, La mise en scène de la vie quotidienne 1 : La présentation de soi. Paris : Editions de

la communication d’entreprise en termes d’interactions. Le concept de « récit d’entreprise », formulé par Nicole D’Almeida, semble en mesure d’apporter d’importants éléments de réflexion pour aborder cette question de la mise en scène de l’entreprise. Dans ses travaux de recherche234

, elle montre en effet la manière dont les différents messages diffusés par une entreprise s’ajoutent les uns aux autres, s’agrègent, pour finalement constituer des récits dont se dégagent des intrigues, des héros, des grandes causes et qui participent d’une définition, d’une institution de l’entreprise elle-même aux yeux du public, et donc d’une mise en scène. Quant à lui, Philippe Zarifian insiste sur le pouvoir de synthèse propre au récit. « Récit, cela veut dire intrigue qui associe et donne signification à l’assemblage des objets, personnages et suite de micro-situations que l’enquêteur raconte et qui lui permettent de penser de manière plus dynamique et synthétique (synthésique) qu’analytique, d’emprunter des raccourcis dans la profusion des signes de la réalité. Récit, cela veut dire usage de toutes les ressources du langage, métonymies, métaphores, jeux de signification qui sont source de liaisons nouvelles pour la créativité. Récit, cela veut dire voie privilégiée de la recherche de la singularité, de l’extra-ordinaire. Récit enfin, cela veut dire production et engagement de sens, dans et par un exercice orienté sur la vérité, et donc sollicitation de réactions vis à vis des autres acteurs.»235 Dans le cadre de cette recherche, nous retiendrons de cette entrée par le récit la nécessité d’une analyse qui tienne compte de la dimension à la fois itérative et synthétique des processus de signification qui aboutissent à la mise en scène des activités de l’entreprise et de l’entreprise elle-même.

Cependant, dans la mesure où la mobilisation de la notion de récit d’entreprise s’inscrit dans la continuité de nombreux travaux menés au sujet du récit dans le champ des études littéraires, cette approche narratologique nous semble difficile à mettre en œuvre dans le cadre de notre recherche. En effet, si nous avons envisagé d’introduire la notion de bifurcation narrative, développée Claude Brémond236

, pour rendre compte des évolutions du discours et des pratiques d’EDF, il nous est apparu que la mobilisation de la notion de récit aurait sous-entendu une certaine continuité dans la communication d’EDF, continuité qui constitue justement l’un de nos axes de questionnement. De même, parler de récit nous aurait conduit à considérer comme acquise une certaine

234

D’Almeida, Nicole, Les promesses de la communication. Paris : PUF, 2001

235 Zarifian, Philippe, Le travail et l’événement, Paris, L’Harmattan, 1995, p. 75

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persistance de ce que Jean-François Lyotard237 appelle les « foncteurs » du récit, à savoir le grand héros, les grands périls, les grands périples et le grand but. Encore une fois, cette persistance est au cœur de notre questionnement. Peut-on imaginer identifier dans la manière dont EDF communique et a communiqué, un héros qui aurait été au cœur du récit d’EDF de 1946 à 2010 ?

Finalement, dans la mesure où la mobilisation de la notion de récit aurait constitué dans le cadre de cette recherche un présupposé qui aurait menacé la valeur de nos hypothèses de travail, nous préfèrerons rendre compte de la dimension itérative et synthétique des processus de signification à l’œuvre dans la communication d’EDF en abordant ces derniers sous l’angle d’une mise en scène progressive de l’entreprise et de son rapport au client, plutôt que sous celui d’un véritable récit. Nous entendons donc bien par mise en scène un processus de signification engageant l’entreprise et son public dans un contexte social, culturel et technique, contexte ouvert à une diversité d’interactions, sans aucune connotation relative à un éventuel caractère dissimulateur ou manipulateur.