Chapitre 4. Détermination des acteurs ciblés et acquisition des données de
4.3. Représentation graphique de la perception et cartographie mentale
Une partie du questionnaire consistait à mesurer les niveaux de perception de divers
facteurs ayant un rôle dans la formation ou la propagation des coulées boueuses puis à demander
une représentation cartographique des zones perçues comme risquées par le biais d’une carte
mentale (figure 4.4 - sous-section 8 et 9).
Ces deux outils nous permettent de : (i) déterminer les facteurs considérés comme importants
par les enquêtés dans la formation des coulées boueuses et (ii) comprendre comment les enquêtés se
représentent les espaces soumis au risque (y sont-ils associés ? quels sont les éléments qui
structurent leurs cartes mentales ? où situent-ils les zones à risque ?).
4.3.1. Les facteurs influençant les coulées boueuses et leur système de mesure
Nous avons conçu une technique permettant de représenter graphiquement les degrés
d’importance accordée à des facteurs de risque (figure 4.4, sous-section 8), à un moment précis et
pour une localisation précise (échelle de la commune). Cette représentation de la perception a déjà
fait l’objet d’un calage et d’une validation lors du travail de DEA (Heitz, 2005). Dans le but d’utiliser les
éléments ainsi sondés dans la définition des indices de perception des risques (Chapitre 6), nous
avons suivi deux étapes : (i) la détermination de facteurs perçus comme ayant une influence sur le
risque et (ii) la détermination d’une technique de mesure de ces facteurs.
Les facteurs concernent :
1. et 2. les structures agricoles (agencement des parcelles et type de cultures) ;
3. l’urbanisation ;
4. le niveau de sensibilisation des enquêtés aux problèmes générés par les coulées boueuses ;
5. le sentiment de protection induit par les ouvrages de protection de type « aménagements
hydrauliques » (bassins de rétention, par exemple).
Le rôle des structures agricoles a été distingué selon l’importance accordée aux techniques de
travail du sol et à l’organisation du parcellaire. En effet, les parcelles peuvent être cultivées de façon
traditionnelle et ne pas présenter de risques grâce à une organisation cohérente des assolements
pratiqués. Des alternances entre cultures de printemps (sensibles au ruissellement) et cultures d’hiver
sur un même versant peuvent avoir un rôle sur la diminution de ruissellement et de ce fait limiter les
risques de coulées boueuses.
Nous avons estimé que ces cinq facteurs sont pertinents car ils reviennent le plus souvent
dans le discours des enquêtes et ils peuvent être estimés par chacun des acteurs assez facilement.
D’autres indicateurs de vulnérabilité et d’aléa peuvent être adaptés à cette configuration de la
perception : sociaux, économiques (le coût estimé d’un événement dans une commune), physiques
(les propriétés physiques du milieu, etc.).
Pour mesurer cette perception, nous avons crée une échelle, sur le modèle d’échelles de
douleur. Ce concept est très connu, le principe de notation en est le suivant : l’échelle est graduée de
0 à 10. Ce type d’outil permet le chiffrage des données (en pourcentage, en valeur absolue), mais
aussi la détermination des niveaux de manière relative (peu, moyen, beaucoup). Les enquêtés ont
placé des traits sur l’échelle, symbolisant le niveau de perception qu’ils jugeaient leur convenir. Nous
avons alors mesuré chaque écart et attribué un chiffre à ce trait de manière proportionnelle (par une
règle de trois).
Les questions ont été rédigées afin que les enquêtés n’aient aucun doute sur les déterminants
que nous voulions évaluer : les mots utilisés n’étant pas trop techniques. Les questions sont les
suivantes :
- Selon vous, les structures agricoles actuelles sont-elles responsables du risque de coulées
boueuses ? (0 = pas du tout responsables ; 10 = très responsables) ;
- Selon vous, l’urbanisation joue t-elle un rôle dans le risque de coulées boueuses ? (0 = aucun
rôle ; 10 = un rôle très important) ;
- Sur cette échelle, pouvez-vous placer votre niveau d’information concernant le risque de coulées
boueuses ? (0 = aucune information ; 10 = beaucoup d’informations) ;
- Selon vous, quel niveau de protection offrent les aménagements hydrauliques (de type digues ou
bassins de rétention) ? (0 = aucune protection ; 10 = une forte protection) ;
- Le type de cultures a-t-il, selon vous, un rôle dans la naissance des coulées boueuses ? (0 =
aucun rôle ; 10 = un rôle très important).
4.3.2. La représentation mentale des zones à risques : méthode d’analyse
Les géographes ont commencé utilisent les cartographies mentales dans le but d’extraire des
informations relatives à la représentation cognitive de l’espace des individus (Montello, 2002). Dans ce
cas, la représentation cognitive inclut les connaissances, les processus d’apprentissage et de
réflexion, la mémoire et les systèmes de communications utilisés par l’individu (Pinheiro, 1998). Ces
données sont propres à chaque personne : la perception de l’environnement varie de ce fait d’un
individu à l’autre et les cartes mentales comptent parmi les vecteurs par lesquels nous pouvons
obtenir des informations spatialisées de cette perception. Ces méthodes sont couramment mobilisées
en géographie mais aussi en psychologie : les deux disciplines cherchant à comprendre : (i) comment
les informations géographiques sont acquises et intégrées par les individus, (ii) comment ils utilisent le
support cartographique et (iii) comment ils structurent leurs repères spatiaux (Tkacz, 1998). Comme le
soulignent Golledge et Stimpson (1997), les cartes mentales sont des modélisations propres à chacun
du monde dans lequel nous vivons.
Nous avons choisi d’utiliser la représentation mentale des espaces soumis aux risques par les
acteurs directement concernés dans le but de caractériser la représentation spatiale des zones à
risques. Nous articulons notre réflexion autour de trois questions :
- les individus enquêtés localisent-ils les différentes zones de ruissellement (les zones « sources »,
« cibles », de « transition » et « non concernées ») ? ;
- de quelle façon ces zones sont-elles représentées ? ;
- les distances représentées des zones sinistrées par rapport aux lieux d’habitation des enquêtés
ou par rapport aux zones d’aléa sont-elles sur- ou sous-estimées ?
Nous essayons ainsi de mettre en évidence l’espace cognitif (l’espace d’activité) tout en
introduisant l’importance de l’organisation spatiale des éléments et de leurs attributs « subjectifs ». La
méthode consiste ici à demander aux enquêtés de dessiner et localiser sur une feuille blanche (sans
aucune information, figure 4.4 - sous section 9), les zones qu’ils considèrent à risque dans leur
commune.
La méthodologie d’interprétation s’appuie en grande partie sur les travaux développés par
Bailly (1990). Cet auteur établit un référentiel reliant les éléments présents sur les cartes : éléments
physiques, d’orientation, symboliques, sociaux ou culturels, etc. et leurs liaisons (nœuds, routes). Les
informations extraites sont des repères spatiaux relevés entre les zones identifiées et dessinées
(figure 4.5).
Ainsi, dans un premier temps, le classement des cartes s’organise selon un niveau de
spatialisation. Il est attribué par l’évaluation de la distribution des éléments dans le dessin :
éléments éparpillés, en mosaïque, reliés ou en réseau, présence d’une échelle ou d’une orientation
(Nord, par exemple). Puis, pour déterminer l’état de connaissance de cet espace, les éléments
suivants ont été évalués : présence d’axes, relations entre eux, repère de bâtis, présence de limites
(administratives par exemple), de propriétés symboliques (quartiers, champs) ou de fonctions (mairie).
L’analyse consiste à comparer le nombre d’éléments structurants présents dans les dessins puis de
mesurer les distances « subjectives » entre ces éléments. Le dépouillement montre des
ressemblances et des dissemblances dans la structure générale des dessins. Les classes de cartes
obtenues créent des groupes aux repères spatiaux similaires. Ces résultats sont associés aux
caractéristiques sociales afin de déterminer les facteurs influençant les représentations cognitives des
espaces par les individus qui les habitent.
L’exploitation des travaux débouche sur une comparaison des cartes et fait surgir la
subjectivité des relations des enquêtés à leur environnement proche. Toutefois, cette analyse est
restée au stade méthodologique : les quelques 200 réponses obtenues nécessitent un travail de
digitalisation que nous n’avons pas eu le temps de mener à bien pour cette thèse. La méthode de
traitement a été déterminée dans ces grandes lignes et les analyses seront effectuées dans le cadre
d’une future publication.
Figure 4.5 : Les éléments structurants à prendre en compte dans l’analyse des cartes mentales
Eléments fonctionnels
Limites et repères
(administratifs)
Propriétés symboliques
éparpillé repère de bâtis
mosaïque propriétés symboliques (quartiers, champs)
relié propriétés fonctionelles (la mairie, par exemple)
en réseau propriétés sociales ou culturelles
Orientation Nord ou point de repère présence de limites (administratives, par exemple)
nœuds présence des places, intersections
routes présence d’axes, de rues (nommées ou non)
Distribution des éléments
Liaisons entre les éléments Eléments présents sur le dess in Comptage du nombre d'éléments dans le dessin. Puis mesure des distances "subjectives" entre les éléments
Dans le document
La perception du risque de coulées boueuses : analyse sociogéographique et apports à l'économie comportementale
(Page 116-120)