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d) REP et RED : réponses mesurées et problèmes d'interprétation

Dans le cas des réponses d'extension du proboscis ou du dard de l'abeille évoquées plus haut, les réponses enregistrées sont très stéréotypées et fonctionnent principalement selon un mode 'tout ou rien', extension ou non du proboscis ou du dard (Bitterman et al., 1983; Vergoz et al., 2007), ce qui empêche de mesurer finement la progression de l’apprentissage. De plus, les associations appétitives et aversives sont étudiées sur la base de deux réponses comportementales distinctes, dont les seuils de déclenchement peuvent être différents. On peut donc se demander s'il serait possible de révéler le contenu d’associations appétitives et aversives grâce à une même réponse comportementale, et si possible, une réponse graduelle permettant de mesurer finement le contenu des associations.

Certains appendices des animaux peuvent montrer une grande mobilité et disposer d’une vaste gamme de mouvements possibles. Ils peuvent donc potentiellement véhiculer des informations riches sur l’état physiologique ou émotionnel des animaux ou sur la valeur intrinsèque positive ou négative de stimuli appris. C'est le cas des mouvements des oreilles chez les moutons (Reefmann et al., 2009) ou de la queue chez les chiens (Siniscalchi et al., 2013) et le cochon (Groffen, 2012). Chez les insectes, certaines structures comme les antennes, montrent des caractéristiques de ce type. Chez la plupart des insectes, les antennes sont fortement mobiles. Elles portent un équipement permettant de détecter un grand nombre de modalités sensorielles, ce qui en fait une interface majeure entre l’individu et son environnement. Ainsi, les antennes possèdent à leur surface des sensilles gustatives et olfactives ainsi que des mécanorécepteurs capables de détecter des stimulations tactiles (Erber et al., 1998). Au niveau du pédicelle, l’organe de Johnston, permettant la perception des ondes vibratoires et constituant ainsi un organe acoustique, est également impliqué dans la proprioception (Ai et Itho, 2012 ; Ai et Hagio, 2013). Les mouvements des antennes augmentent activement lors de l’exploration d’un nouvel environnement par les insectes, leur permettant de collecter de nombreuses informations sensorielles (Bell et al., 1995). Ainsi, les mouvements des antennes des criquets sont effectués activement et sont modulés en fonction des caractéristiques des différents stimuli perçus (Yamawaki et Ishibashi, 2014). Chez les blattes, les mouvements antennaires sont même influencés différemment en fonction de la valence (positive ou négative) d’un stimulus, un stimulus aversif provoquant une diminution de l’activité antennaire (Nishiyama et al., 2007).

Les antennes des abeilles, pourvues d’un grand nombre de récepteurs olfactifs, gustatifs, mécano-sensoriels et auditifs (Kirchner et al., 1991 ; Dreller et Kirchner, 1993) sont utilisées dans la ruche pour de nombreuses tâches, comme lors de la trophallaxie (Free, 1956 ; Korst et Velthuis, 1982),

durant le soin au couvain ou lors de la danse d’orientation (Rohrseitz et Tautz, 1999). Les abeilles montrent des mouvements antennaires spécifiques de scannage en réponse à des stimuli visuels, tactiles ou olfactifs (Erber et al., 1993 ; Erber, 2012). Elles utilisent également l’extrémité des antennes pour évaluer gustativement la qualité de la nourriture pendant sa récolte ou sa consommation (Haupt, 2004). Il semble que les mouvements antennaires puissent aussi refléter l’état physiologique de l’abeille, comme son état d’éveil, car des mouvements stéréotypés ont été observés pendant sa phase de sommeil (Sauer et al., 2003 ; Hussaini et al., 2009).

Les connaissances actuelles sur les caractéristiques de la réponse antennaire chez l’abeille sont encore limitées, car dans la plupart des études, les mouvements antennaires n’ont pas été quantifiés précisément et de manière systématique. Parmi les premiers chercheurs à s’intéresser aux mouvements antennaires de l’abeille, Suzuki (1975) a montré par une approche électrophysiologique une augmentation de l’activité du muscle fléchisseur de l’antenne en réponse à une odeur. Il a aussi décrit qualitativement (sans aucune quantification), une "avancée" des antennes en direction d’un stimulus olfactif. L’utilisation d’un électromyogramme s’est cependant avérée problématique car elle nécessite la fixation d’une partie de l’antenne et empêche de mesurer l’activité antennaire naturelle de l’insecte. Erber (1993, 2012) a, quant à lui, utilisé un système de photodiodes afin de détecter le passage des antennes à certaines positions autour de la tête de l’abeille. Il a ainsi pu mesurer des fréquences de passage d’antennes libres en présence de différents types de stimuli. Cet auteur a décrit un comportement de scannage, caractérisé par des mouvements de balayage en réponse à un stimulus sucré, ainsi qu’en réponse à une odeur. Une étude postérieure s’est basée sur une capture vidéo des mouvements antennaires pour montrer que la vitesse angulaire des antennes pouvait représenter un bon indice de la détection d’une odeur (Lambin et al., 2005). Cette technique permet une analyse moins invasive que l’utilisation d’un électromyogramme et plus précise que l'utilisation de diodes. Elle pourrait permettre une étude précise des mouvements antennaires en fonction de l'expérience appétitive ou aversive des abeilles. Cependant, même si de tels systèmes ont été développés récemment (Mujagić et al., 2012) aucune étude sérieuse n'a cherché à mesurer la plasticité des mouvements antennaires après un apprentissage olfactif. Une telle mesure pourrait véritablement apporter une mesure fine des associations appétitives et aversives, ainsi que de leur intégration par l’abeille.

V) Objectifs

Ce travail de thèse vise à mieux comprendre les bases comportementales, nerveuses et génotypiques de l'apprentissage aversif chez l’abeille domestique Apis mellifera ainsi que les relations existant entre apprentissages aversif et appétitif. Pour ce faire, nous avons défini quatre objectifs fondamentaux :

 L’étude de l’apprentissage appétitif en contention repose sur un protocole bien établi, le conditionnement de la REP (Bitterman et al., 1983). Récemment, un protocole équivalent a été développé pour étudier l’apprentissage aversif, le conditionnement de la RED (Vergoz et al., 2007). Cependant, dans ce protocole le stimulus inconditionnel consiste en un choc électrique, stimulus peu naturel pour l'abeille, et pour lequel il est peu probable que des voies sensorielles périphériques dédiées existent. Nous avons donc cherché à développer un nouveau protocole de conditionnement aversif de l'extension du dard utilisant la température comme renforcement.

 Les bases nerveuses du conditionnement olfactif aversif sont très mal connues chez l’abeille. Le remplacement du choc électrique par la température permettrait de rechercher l’implication de récepteurs thermiques dans la détection périphérique du renforcement aversif. Les travaux récents ont décrit HsTRPA comme candidat crédible pour un tel rôle (Kohno et al., 2010). Nous avons donc cherché à comprendre la détection périphérique de la température par les abeilles et l’implication potentielle d’HsTRPA.

 La colonie d’abeilles possède une structure génétique complexe. Il a été démontré que la ruche composait un équilibre génétique permettant aux individus issus de différentes lignées paternelles de s’engager préférentiellement vers différentes taches (Estoup et al., 1994). Nous avons émis l’hypothèse d’un trade-off existant entre les capacités cognitives aversives et appétitives des abeilles. En utilisant des marqueurs génétiques comme les microsatellites, il est possible de définir l’origine paternelle des individus et de relier le génotype au comportement (Garnery et al., 1993). Nous avons donc cherché à comprendre la dépendance génotypique des performances d’apprentissage aversif et appétitif des abeilles et avons étudié un éventuel trade-off dans ces capacités.

 Les réponses d’extension du proboscis et du dard sont des réponses dichotomiques de type « tout ou rien ». Nous avons cherché si une réponse plus graduelle pouvait refléter la valence hédonique acquise par une odeur. Les antennes représentent une interface majeure entre l’environnement et le milieu interne, et de plus, des modifications de mouvements antennaires

en réponse à une exposition à des odeurs intrinsèquement appétitive et aversive ont été observées chez la blatte (Nishiyama et al., 2007). Nous avons développé un système d’enregistrement vidéo des mouvements antennaires pour tenter d’estimer dans quelles mesures, les antennes des abeilles pouvaient refléter les performances d’apprentissage aversif et appétitif d’un individu.

Ces quatre objectifs ont été abordés au sein des quatre chapitres, pour lesquels nous listons ci-dessous les questions précises auxquelles nous avons tenté de répondre :

Chapitre I : Développement d’un conditionnement aversif de la RED utilisant la