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Une fois l'information thermique détectée au niveau des neurones sensoriels périphériques, elle est convoyée vers des zones de traitement supérieures. Les neurones sensoriels, exprimant les différents récepteurs décrits précédemment, se projettent dans différentes zones du système nerveux central, qu'il s'agisse de la perception de faibles ou de fortes variations thermiques. Chez l’abeille, les zones du cerveau recevant et traitant l’information thermique sont encore presque totalement inconnues. Les principaux travaux existants ont été réalisés chez la drosophile et ils nous serviront à construire notre modèle de travail (Fig.3).

Entrée thermique antennaire

Une fois les neurones sensoriels thermo-sensibles de l’antenne (les hot cells et les cold cells) sélectivement activés, par le chaud ou le froid respectivement, ces deux classes de neurones transmettent, via leurs terminaisons axonales, l'information dans deux zones bien distinctes d'une structure du protocerebron : le lobe antennaire postérieur (LAP) (Gallio et al., 2011, Frank et al., 2015) (Fig. 3A). On trouve ainsi dans cette première structure centrale, une zone traitant l'information "froide", et une zone traitant l'information "chaude" (Frank et al., 2015 ; Liu et al., 2015). Des neurones de second ordre, les neurones de projection thermique (NPt), prennent leur source au niveau du LAP, se rassemblent en différents tractus, puis se projettent vers les aires supérieures, dans trois régions distinctes (Frank et al. 2015). La principale localisation de ces projections, est le protocérébron latéral, une zone peu étudiée, mais qui reçoit cependant des afférences de plusieurs systèmes sensoriels (Florence et Reiser, 2015). Les deux autres aires innervées sont les corps pédonculés et la corne latérale, deux structures où aboutissent aussi les neurones de projection olfactifs chez l'abeille (cf. introduction), et qui jouent un rôle essentiel dans l'apprentissage olfactif (Menzel, 2001 ; Giurfa et Sandoz, 2012). La mise en évidence de voies analogues du support de l'information thermique chez l'abeille, serait essentielle à la description de la voie de traitement du renforcement thermique. Il n’y a malheureusement que peu de données. Une étude mesurant l'activité d’un gène précoce immédiat (Acks), reflet de l'activation des neurones, chez des abeilles asiatiques Apis cerana exposées à une température de 46°C, a permis de suggérer l'implication de plusieurs aires cérébrales dans la perception thermique. L'expression de Acks était particulièrement importante dans une région située

entre le lobe dorsal et le lobe antennaire (Ugajin et al., 2012). Cette zone pourrait correspondre à une zone analogue au LAP de la drosophile et être un centre de traitement thermique dans le cerveau des abeilles.

Figure 3: Représentation théorique du traitement de l'information thermique au niveau du système nerveux central de l'abeille.. La voie thermique potentiellement impliquée dans la détection du SI dans notre

protocole de conditionnement est représentée et découpée entre la voie des hot cells (à gauche) et la voie impliquant les anterior cells (à droite). Les afférences sensorielles sont représentées en orange tandis que les neurones de projection sont en rouge. En pointillé est représentée une voie sensorielle ascendante, faisant remonter l'information thermique du reste du corps en passant par le ganglion sous-œsophagien (SOG). (à gauche) Les neurones hot cells (NCH), analogues à ceux décrits chez la drosophile, détectent la température et envoient l'information au niveau du lobe antennaire postérieur (LAP) dans la zone dédiée au traitement du chaud. De cette zone, des neurones de projection thermiques (NPt) projettent au niveau de trois aires supérieures, les CP, la corne latérale (CL) et le protocérébron latéral (PCL). (à droite) Des neurones positionnés à proximité de l'antenne exprimant le TRP pyrexia projettent au niveau des neurones anterior cells (NAC) (antérieurement par rapport au lobe antennaire). Les NAC projettent au niveau du protocérébron sous les corps pédonculés (CP). Les NCH et les NAC ont tous les deux des connexions avec certains glomérules du LA.

Chez la drosophile, un autre système que celui du LAP traite, lui aussi, les variations de température. Les neurones exprimant pyrexia (différents des hot cells) se projettent au niveau d'un groupe de neurones positionnés dans la partie antérieure du cerveau, les anterior cells (AC) (Hamada

et al., 2008 ; Tang et al., 2013 ; Galili et al., 2014) (Fig. 3B). En plus de recevoir ces afférences

dTRPA1 ce qui permet une perception interne directe de la température (Hamada et al. 2008). Les hot

cells et les neurones AC, innervent tous deux les glomérules VP2 et VP3 du lobe antennaire de la

drosophile, ce qui fait du lobe antennaire un troisième lieu potentiel de traitement de l’information thermique (Tang et al., 2013 ; Galili et al., 2014). De manière intéressante, chez les fourmis, l'information thermique, envoyée par les neurones sensoriels logés dans les sensilles coeloconiques, est traitée au niveau du lobe antennaire (Ruchty et al., 2010). Parmi ces trois structures/régions recevant une entrée sensorielle thermique (LAP, NAC et lobe antennaire), seul le lobe antennaire reçoit de manière concomitante l’entrée sensorielle olfactive. Il en découle, que cette structure représente un premier centre potentiel permettant l’association aversive entre une odeur et le renforcement thermique, quand ce dernier est appliqué au niveau des antennes (voir plus bas). Pour soutenir ce propos, une étude récente chez la drosophile a montré que les neurones AC, qui se projettent dans le lobe antennaire, jouent un rôle prépondérant dans l’association odeur-température (température de 34°C, Galili et al., 2014).

Entrée thermique non-antennaire

Nous avons proposé que chez l’abeille, des neurones homologues aux neurones MD de classe IV détectent les fortes variations de température lorsqu’elles sont appliquées sur le corps (et non sur les antennes). Chez la drosophile, les neurones MD de classe IV se projettent dans la partie ventrale et médiale de la corde ventrale, au sein des ganglions relatifs aux organes qu'ils innervent (Grueber et al., 2007). Un ensemble d'interneurones locaux, les neurones bassins et Goro, traitent le signal localement, avant que l'information ne soit convoyée vers le système nerveux central, par des neurones ascendants, les neurones A00c (Ohyama et al., 2015). On peut imaginer que chez l’abeille, des voies similaires permettent à l’information nociceptive thermique de remonter vers le cerveau. Pour l’instant, la région du cerveau de drosophile qui reçoit toutes ces afférences et traite l'information nociceptive thermique reste encore à déterminer. On peut imaginer, mais ceci devrait être étudié précisément, que certaines de ces voies convergent sur les centres thermiques décrits plus hauts.

Traitement de l’information thermique et sensibilité à la température

Que l’information thermique soit détectée au niveau du corps ou des antennes, les centres thermiques du cerveau doivent opérer à un certain traitement de l’information, de sorte que, ce n’est que lorsque l’augmentation de température perçue atteint un certain seuil par rapport à la température ambiante, que des voies induisant la RED sont activées. On peut penser que la sensibilité individuelle des abeilles envers la température, que nous avons mesurée à de multiples reprises (Chapitres I, II et III), dépend de ce traitement local. De précédentes études, s'appuyant sur le choc électrique comme renforcement, ont montré que cette sensibilité au stimulus aversif était sous le contrôle de certaines amines biogènes. Ainsi, l'injection intra-ocellaire d'antagonistes des récepteurs à la dopamine et à la

sérotonine, entraîne une augmentation de la sensibilité des individus aux stimulations électriques (Tedjakumala et al., 2013). Ces neurotransmetteurs agissent ainsi comme suppresseurs de la sensibilité aversive. L'implication de ces neurotransmetteurs (dopamine, sérotonine), dans la perception d'autres stimuli aversifs, comme les stimuli thermiques que nous avons utilisés, permettrait de démontrer leur rôle fondamental, dans la transmission de l'information aversive, au sens large du terme. De manière analogue à l'étude de Tedjakumala et al. (2013), nous pourrions injecter les abeilles avec du flupentixol, un antagoniste du système dopaminergique, possédant une forte affinité pour les récepteurs de type D1 et D2, et les soumettre, ensuite, à une procédure de sensibilité thermique de la RED (Kokay et Mercer, 1996 ; Vergoz et al., 2007). Des injections de cyproheptadine, un inhibiteur non-compétitif des récepteurs à la sérotonine (Howarth et al., 2002 ; Vleugels et al., 2013; Thamm et

al., 2013), permettraient de démontrer l'implication de la sérotonine dans la perception des fortes

températures. D’une manière générale, ce pourrait être au niveau de ces centres thermiques qu’un déterminisme génétique puisse influencer la sensibilité individuelle des abeilles, par l’intermédiaire d’une signalisation dopaminergique ou sérotoninergique (voir chapitre III).

Au niveau central, le traitement de l'information thermique semble pouvoir emprunter différentes voies, une voie passant par le LAP et une au niveau des NAC. De futures recherches devront chercher à définir l'existence de ces différentes zones de traitement chez l'abeille et leur implication possible, implication dans le conditionnement aversif thermique du SER. De plus, l'utilisation de chocs électriques a permis de mettre en évidence l'implication d'amines biogènes comme la dopamine et la sérotonine, cependant il nous faudra aussi confirmer son implication dans le traitement d'un stimulus inconditionnel aversif thermique.