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« ELITE DU PEUPLE »

B- D ES RENTREES D ’ ARGENT NOMBREUSES

La distinction sociale de la bourgeoisie se fait par les réseaux d’influences mais également par l’argent garant du succès de la famille. Pour Hyacinthe-Camille, la fortune étant déjà faite à sa naissance, son but est de la faire prospérer pour lui-même, pour sa femme mais aussi, pour sa descendance future. Ainsi, durant la fin du XVIIIe siècle, en plus de son engagement dans la vie municipale, Hyacinthe-Camille multiplie les rentrées d’argent, base de son pouvoir et de son influence. Malgré la révolution pour la liberté et l’égalité, la situation politique de la France étant encore incertaine, la bourgeoisie sait que la concentration d’argent peut être nécessaire pour l’avenir et se hâte donc à développer son patrimoine. A la fin de la révolution française, Pierre Barral estime que la fortune des Teisseire avoisine les 130 000 livres.94

a- UNE PATIENTE POLITIQUE D’ACQUISITION FONCIERE

Comme son père et son grand père, Hyacinthe-Camille Teisseire se lance dans une patiente politique d’acquisition foncière. La terre et le foncier sont des investissements nobles et rentables. En effet, la possession d’une terre fait référence aux domaines et seigneuries

94 BARRAL Pierre, Les Perier dans l’Isère au XIXe siècle d’après leur correspondance familiale, PUF, Paris, 1964,

nobles d’Ancien Régime et la terre est un bien transmissible de générations en générations et est donc un bien de famille qui renforce l’idée de dynastie. Le travail artisanal n’est plus, même pour les commerçants, la première source de revenus. Elle a été au cours du XVIIIe siècle largement dépassée par la rente, ce qui oblige les commerçants à se prêter au jeu s’ils veulent faire partie de l’élite économique.

Déjà riche de plusieurs terrains sur les marais de Saint Martin d’Hères, Poisat et Eybens, Hyacinthe-Camille possède également plusieurs maisons en centre-ville, place Grenette et sa maison principale est, d’après son contrat de mariage en 1794, place de la liberté, soit l’actuelle place Saint André.95 En plus de ce grand patrimoine immobilier Hyacinthe-Camille investit dans plusieurs terrains vers le sud de Grenoble. Sa volonté étant d’acquérir toute la zone des marais afin de les assécher puis, de les réhabiliter comme l’avait voulu son père. Cette démarche prend plusieurs années du fait de luttes de propriétés sur ces dits marais mais la politique d’acquisition est bien réelle et la plus-value espérée vaut, pour Hyacinthe-Camille Teisseire, le coût de ses multiples efforts.

Ainsi l’achat de nombreuses terres, d’immeubles et de maison dont le nombre appartenant à la famille Teisseire sera immense en 1830-1840 dénote bien cette volonté d’enrichissement mais aussi, et surtout de cette volonté de s’inscrire dans le temps et dans l’espace comme l’on fait avant lui les grandes familles nobles.

Parallèlement à cet enrichissement progressif, un évènement va multiplier le capital de Hyacinthe-Camille Teisseire de façon fulgurante et faire de lui et de son épouse de grandes fortunes, mais aussi de les inscrire définitivement dans le monde de l’industrie et de la finance, bien que les deux époux en soit très éloignés.

b- LE TESTAMENT DE CLAUDE PERIER

Claude Perier, son beau-père, fut pour Hyacinthe-Camille et ses autres beaux-fils toujours d’une grande aide et d’une grande disponibilité. Riche de conseils et d’expériences, il fut utile à l’époux de sa fille Marine Hélène jusqu'à sa mort et offrit même au-delà un

95 LL1 – folio 8 : « Les Amis de la Constitution ayant délibéré de faire planter un arbre de la liberté, on décide

que cet arbre sera planté sur la place Saint-André à la place de la croix qui y est actuellement. […] La place Saint-André prendra le nom de place de la Liberté. »

patrimoine considérable qui enrichit plus encore, et cette fois ci de façon plus matérielle que jamais le personnage de Hyacinthe-Camille.

En effet, en l’année 1801 mourut l’un des plus grands notables que connu le XVIIIe siècle et la révolution. Claude Perier s’éteint le 6 février 1801 à l’âge de cinquante-neuf ans laissant derrière lui un héritage colossal de presque six millions de francs également répartis entre ses dix héritiers. A titre de comparaison, le testament que nous avions jugé conséquent de Mathieu II était estimé entre 300 000 et 350 000 francs soit vingt fois moins que celui dont nous faisons l’étude actuellement.

L’acte passé devant maître Rey notaire à Grenoble le 6 février 1801 confère au gendre déjà richissime la somme de 580 000 francs soit presque six fois ce que lui avait laissé son propre père, qui rappelons le, l’avait très largement avantagé. Ce document conservé à la bibliothèque de Grenoble96 confère à Hyacinthe-Camille et à Adélaïde Marine Hélène Teisseire née Perier deux domaines, l’un à Laval, l’autre à Capette d’une valeur cumulée de 170 000 francs97 et contribue à leur vie rentière. De plus les époux héritent d’un neuvième des parts dans cinq sociétés appartenant à la famille ; le tout estimé à un peu moins de 200 000 francs98. A cela s’ajoutent les intérêts dans la société des mines d’Anzin d’une valeur de 105 000 francs et 121 666 francs de liquidité calculés en fonction de la dot donnée six années plus tôt.

Cet argent va être réutilisé par Hyacinthe-Camille et investi dans une politique d’acquisition foncière si chère à l’ordre bourgeois et déjà vu dans la partie précédente.

96 Document coté R 90 564 / 1 ; livret imprimé détaillant la succession complète de Claude Perier, d’après son

testament, enregistré par monsieur Rey, notaire à Grenoble le 6 février 1801.

97 Domaine de Laval estimé à 70 000 francs ; Domaine de Capette estimé à 100 000 francs.

98 Soit 1/9 des parts dans la société des outils de Vizille estimé à 11 111, 11 francs, 1/9 des parts dans la société

de l’entreprise d’indiennes estimé à 55 555,55 , 1/9 des parts dans la société Jacques Perier estimé à 22 222,22 francs, 1/9 des parts dans la société Perier père et fils estimé 66 666,66 francs et enfin 1/9 des parts de la société Chazel estimé 27 777, 77 francs.

Ainsi, à la fin de la révolution française Hyacinthe-Camille Teisseire est un homme aux multiples facettes qui illustre assez justement cette notion d’ « élite du peuple ». Considéré par plusieurs, dont Stendhal, comme un simple fils d’artisans et se représentant lui- même, dans ses discours, étranger aux grandes fortunes, la réalité est tout autre pour le trentenaire, fervent révolutionnaire. En effet l’héritage et l’entreprise laissés par son père lui offrent dès ses dix-sept ans une place de choix dans l’élite économique. A cela s’ajoute sa ferveur et son engagement révolutionnaire qui lui donne un nom dans les esprits grenoblois favorables ou non à la révolte. Son parcours dans la politique municipale lui permet de rencontrer des individus de sa condition et de ses idées. Ces rencontres permettent à Hyacinthe-Camille Teisseire de s’imposer dans ce statut de bourgeois sans pour autant renier ses origines qu’il juge modestes. L’entreprise est toujours active de par son travail, ses idées politiques se tournent en faveur des gens plus humbles et la politique d’acquisition foncière a pour seul but de subvenir, par ses profits, à ses besoins et à ceux de sa famille.

Mais Hyacinthe-Camille n’a jamais été à Grenoble un homme pauvre, il a dès son plus jeune âge évolué dans les hautes sphères et appartient plus qu’il ne le reconnaît à cette élite bourgeoise. Sa condition à la fin de la révolution est éclatante tant sur les biens économiques qu’il possède que sur la réputation dont il jouit. Comment cet homme qui donne l’impression de ne pas avoir conscience de sa position financière et sociale va-t-il évoluer à la fin de la révolution avec le rétablissement d’un Etat fort qui cherche à s’appuyer sur ses élites ?

A propos de ces deux familles, Charles de Montluisant décrit assez justement ce gain de notoriété gagné par les deux familles a cette extrême fin du XVIIIe siècle.

« Les familles Perier, Teisseire etc. sont d’origines dauphinoises. Elles jouissent d’une considération méritée avant la grande Révolution, mais ce fut surtout pendant le XIXe siècle qu’elles surent conquérir les situations les plus élevés et les plus importantes »99

99 DE MONTLUISANT Charles, La famille de Montluisant, recherches historiques et généalogiques, Imprimerie F.