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L A FIN D ’ UNE CARRIERE POLITIQUE ET LE DON DE L ’ ENTREPRISE

TROISIEME PARTIE

A- L A FIN D ’ UNE CARRIERE POLITIQUE ET LE DON DE L ’ ENTREPRISE

Mener une carrière politique dans ce premier XIXe siècle à travers les nombreux changements de lois et de régimes semble extrêmement difficile et Hyacinthe-Camille aux idées très prononcées a eu du mal toute sa vie à composer avec son passé révolutionnaire et ses ambitions politiques. En effet, au moins jusqu'à la seconde république que Hyacinthe- Camille ne connaitra pas puisqu’elle commence en 1848, les royalistes, qu’ils soient ultras ou modérés, sont encore très largement majoritaires et cela se ressent dans les élections législatives qui visent à élire les députés siégeant à l’Assemblée Nationale. Las de ces changements incessants, les populations qui peuvent voter semblent en majorité demander à nouveau un Etat fort garant d’une paix interne au pays et la monarchie semble avoir la capacité de répondre à ses demandes de stabilité.

La tendance politique à l’Assemblée est plutôt en défaveur de la gauche libérale et républicaine depuis la restauration et donc opposée aux idées de Hyacinthe-Camille comme nous l’avions vu dans la seconde grande partie. Ainsi, nous nous attachons à la fin de ses deux carrières politique et économique pour envisager ensuite les vingt dernières années de la vie de Hyacinthe-Camille Teisseire pour pouvoir saisir ensuite les valeurs qui l’animent et analyser si elles ont été modifiées, ou non, par le contexte historique.

a- LE DON DE L’ENTREPRISE

En 1820 alors qu’il voit sa carrière décoller grâce à une légère libéralisation de la Chambre, Hyacinthe-Camille Teisseire choisit un héritier pour l’entreprise familiale dans le but de pouvoir se consacrer totalement à ses fonctions.

En 1820, il reste au bourgeois seulement deux fils puisque deux sont décédés en bas âge. Parmi eux, Hyacinthe-Camille vit avec Charles, encore célibataire et mineur, il a vingt- trois ans et Emmanuel-Paul qui a seulement onze ans. Son choix se tourne donc vers son aîné Charles qui est émancipé et peut jouir dès lors de l’entreprise de ses aïeux. Il lui confie donc dès cette année-là, puisqu’il doit faire des allers retours nombreux entre Paris et la Province du fait de son statut de député nouvellement nommé, la responsabilité de la fabrique. Dès cette date, ils deviennent collaborateurs et l’entreprise porte leurs deux noms. L’entête du point de vente prend comme intitulé :

« Camille et Charles Teisseire, père et fils sont successeurs de Teisseire ainé, fabricants ce ratafia de cerises et autres liqueurs »178

Dans les années 1820 le père et le fils sont collaborateurs même si Charles est le principal gestionnaire puisque son père est à Paris. A cette époque la fabrique propose un très grand nombre de produits, en plus du ratafia l’atelier prépare plus de dix-neuf eaux-de-vie, huit sortes de vins et spiritueux, six liqueurs et vingt-quatre crèmes alcoolisées. Seul le ratafia est vendu plus de deux francs, exactement deux francs vingt-cinq et c’est pourtant d’après les bons de commandes que nous avons, le plus vendu.179 L’un des bons de commandes est même un carton envoyé à la capitale, preuve que les liqueurs Teisseire sont nationalement connues. Le ratafia jouit d’une réputation au sein des élites nationales. Il est encore considéré comme un produit de luxe destiné à une société de notables. Dans le sud-est de la France le salaire journalier d’un ouvrier oscille entre cinquante centimes et trois francs, pour la Drôme le salaire moyen étant de un franc cinquante180. Le prix du litre, toujours supérieur au salaire journalier moyen d’un ouvrier ne permet pas à la majorité de la population de l’acheter. Sa consommation est donc un signe extérieur de richesse si bien que les bourgeois n’hésitent pas à en commander sur tout le territoire.

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BMG R 9500 (Dossier Teisseire Camille et Charles).

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BMG R 9500 (Dossier Teisseire Camille et Charles).

180 Paul Paillat, « Les salaires et la condition ouvrière en France à l’aube du machinisme (1815-1830) », revue

Même si le nom de Hyacinthe-Camille Teisseire apparait encore dans les papiers officiels de l’entreprise, la majorité des papiers sont signés de la main de Charles et non plus de Camille qui se détache complètement de l’entreprise, au profit de son successeur.

A partir de 1825, l’entreprise est même louée à deux liquoristes messieurs Rivière et Cocat qui se présentent comme successeurs de l’entreprise Teisseire, en collaboration avec la famille. Ainsi, pour utiliser le nom et l’entreprise, les bourgeois-artisans payent un loyer à Hyacinthe-Camille Teisseire. En 1839 l’un de ces deux liquoristes est toujours locataire dans cette distillerie très reconnue.

« D’un autre coté le comparant est débiteur envers monsieur Hyacinthe-Camille Teisseire, propriétaire domicilié à Grenoble ici présent d’une somme de 2327 francs pour arrérages du prix du loyer des magasins et du logement appartenant à Monsieur Teisseire » 181

b- UN ECHEC POUR LE DEPUTE LIBERAL DE L’ISERE

Suite à la donation de son entreprise Hyacinthe-Camille Teisseire peut se consacrer pleinement à son mandat de député pendant quatre ans. Au terme de celui-ci il choisit de se représenter sous les mêmes couleurs. Il compte être apprécié pour la virulence qu’il a manifestée précédemment et sur ses nombreuses interpellations contre une Assemblé très conservatrice. L’homme de gauche se représente en 1824, mais du côté des électeurs leurs intérêts et priorités se modifient et cela se ressent dans les urnes. Dans les années 1820, la révolution française semble être une lointaine illusion et les votants aspirent à un état stable. Pour eux, seule la monarchie est capable de contenir les révoltes et de maintenir durablement un régime. Cette année-là, c’est donc un échec total pour les libéraux qui n’obtiennent que dix-sept sièges, soit plus de quatre fois moins qu’aux élections précédentes. Mais c’est surtout un score total, extrêmement faible d’un peu moins de 4%, face à des royalistes coalisés sous la figure de Villèle, ministre ultra royaliste appelant à un retour à l’ordre. Les royalistes recherchent la légitimité du pouvoir alors que les libéraux encore peu nombreux à la Chambre soutiennent la liberté de chacun.182

Ainsi, le mandat de Hyacinthe-Camille Teisseire n’est pas renouvelé et cet échec ne lui donne pas l’envie de continuer dans la voie politique. En effet l’écrasante majorité des

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3 E 9737 (acte 2017) : Demande de paiement du 11 juin 1839.

182 REMOND René, Le XIXe siècle, Introduction à l’histoire de notre temps, Tome 2, Editions du Seuil, Paris,

ultras royalistes chez les votants semble une impasse pour le mouvement libéral. Le resserrement du système censitaire sur les grandes fortunes, souvent issues de l’ancienne noblesse ou de la très haute bourgeoisie nouvellement anoblie ne laisse pas apparaitre la libéralisation du pays et laisse très peu de place à la réalité du poids de l’opposition, du moins dans les urnes. L’homme politique qu’est Hyacinthe-Camille Teisseire voit alors ses idéaux libéraux et démocratiques s’effondrer au profit d’une élite royaliste et aussi fermée, voire plus, que sous l’Ancien Régime. Pourtant malgré cet échec au scrutin, Hyacinthe-Camille et le cercle politique grenoblois et français dont il fait partie n’a pas totalement échoué. Si la majorité l’emporte très largement dans les urnes, les discours de l’opposition ont eu un impact important à l’Assemblée et le pays se libéralise même si cela n’est pas encore visible.

En 1830, des émeutes violentes éclatent à Paris et durant trois jours, la capitale est assiégée. Le roi Charles X, qui s’était octroyé de plus en plus de liberté face aux contre- pouvoirs, notamment l’Assemblée Nationale, est renversé. Les revendications s’articulent autour d’un regain de liberté vis-à-vis du pouvoir royal et rappellent les principes fondamentaux de 1789. Aux côtés d’une jeunesse engagée, les anciens révolutionnaires voient en 1830 la continuité et l’accomplissement de leurs combats. Hyacinthe-Camille Teisseire, à nouveau plein d’espoirs, s’engage alors qu’il s’était retiré de la vie politique. C’est un échec total pour le candidat qui n’obtient que 34 voix sur 785 votants. A soixante-six ans l’ancien montagnard est complétement décalé par rapport à la politique de l’époque. La jeunesse au pouvoir n’a pas connu ou n’a pas participé à la révolution et son héritage semble complétement désuet et inquiétant. Hyacinthe-Camille, auparavant fervent défenseur des droits de l’homme et reconnu en tant que tel apparaît dès lors entrer dans un combat d’arrière- garde par nostalgie de la période révolutionnaire. Les jeunes politisés le considèrent comme un vieillard décadent attaché à une illusion. Même son gendre Achille Chaper comprend son échec en politique en cette année 1830 :

«Ses idées religieuses sont un repoussoir. La vivacité quelquefois irréfléchie de ses paroles et de ses actes lui fait du tort. Notre génération commence à vouloir faire ses affaires elle – même » 183

Ce constat amer d’un retour en arrière laisse cet homme de soixante ans sans grande illusion et il se retire de la vie publique abandonnant ses grandes ambitions autour d’une carrière politique. Ainsi, l’homme semble même d’après ses proches dont Rémusat se

183 Achille CHAPER, octobre 1830 (G. MOREL – JOURNEL, p.128) cité dans BARRAL Pierre, Les Perier dans l’Isère

modérer et rejoindre le conservatisme. A la fin de sa vie, il est en effet possible que le bourgeois se soit recentré vers des valeurs très conservatrices qui ont remplacé peu à peu la fougue et la virulence révolutionnaire qu’il avait à trente ans. Stendhal dit même de lui qu’il a fini par « plus tard brûler ses livres de Voltaire et Rousseau » figures symboliques de la révolution et des idées pour lesquelles il s’est longtemps battu.

c- LE RECENTRAGE VERS UNE VIE DES RENTES ET DES HONNEURS

A l’âge de la retraite, le sexagénaire Hyacinthe-Camille Teisseire après avoir légué son entreprise à son fils et abandonné sa carrière politique, se recentre sur son patrimoine immobilier et sur sa famille. A soixante ans il n’est plus un homme jeune surtout quand on sait que l’espérance de vie est bien moindre qu’aujourd’hui, bien qu’il vécut pour sa part longtemps. Il mourut à soixante-dix-huit ans soit vingt-deux ans de plus que son beau-père Claude Perier qui mourut lui aussi de vieillesse à cinquante-six ans.

Ainsi, pour Hyacinthe-Camille la gestion de ses terrains, maisons et leurs locations devient sa priorité, comme nous le disions dans l’introduction de cette dernière grande partie. Il se rend très régulièrement chez son notaire maitre Mallein afin de gérer les terres, de s’assurer de leurs ventes ou de leurs locations, d’éventuels achats et d’obtenir quittances auprès des acquéreurs. La politique d’acquisition foncière a toujours été un aspect de l’ascension de la famille Teisseire depuis qu’elle s’est établie dans le Dauphiné, puisque la propriété est à la base de la liberté et de l’honorabilité de chacun. Les valeurs de la révolution française ne sont-elles pas axées sur la propriété privée ?

Toute sa vie, Hyacinthe-Camille s’attache à obtenir différentes terres et à en tirer profit pour honorer sa famille de son statut de rentier. Cette politique d’acquisition semble prendre de l’ampleur au vu du nombre de passages croissants de Hyacinthe-Camille Teisseire chez son notaire lorsqu’il est à la retraite. Il est aisé de penser que la fin de sa vie active lui laisse davantage de temps et a favorisé la bonne gestion de son patrimoine surtout qu’il s’établit alors définitivement à Grenoble.

Dans sa ville il est alors un homme éminemment reconnu et multiplie les honneurs même quand il est à la retraite. Il fait partie intégrante des cercles bourgeois, est toujours membres du Lycée et de l’Académie et prononce des discours comme celui déjà énoncé lors

du passage de Lafayette à Grenoble. L’homme à la retraite est alors bien occupé. Il et est décoré dans les années quarante de la Légion d’Honneur pour service rendu à la nation. Cela est inscrit sur tombe et dans le dictionnaire des députés mais il n’apparait pas, à notre étonnement, dans la base de donné LEONORE. A la fin de sa vie il est un homme méritant et occupé mais sa priorité reste tout de même, depuis qu’il est père, de mener sa descendance vers la succession.