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SECONDE PARTIE

A- L E CHOIX DE LA POLITIQUE : L’ AIDE D ’ UN ONCLE INFLUENT

Afin de parvenir à cette ascension politique, le bourgeois sait compter sur un entourage influent. Cette fois-ci il ne s’adresse pas aux Perier mais à sa propre famille du côté maternel : son oncle, comte de Champol, membre de la noblesse dès 1808, fait de son côté une escalade surprenante dans les hautes sphères politiques. Peu enclin à la tournure que prennent les événements de la révolution française, il soutient le coup d’Etat de Bonaparte et est nommé, en remerciement, Préfet de la Côte d’Or, conseiller d’Etat puis, sommet de sa gloire, ministre de l’Intérieur en 1807. Cependant, si Emmanuel Cretet l’oncle maternel, s’est retiré durant la révolution, déçu de ses effets, Hyacinthe-Camille y a de son côté participé activement ce qui n’est pas sans nuire à ses désirs de préfecture. Mais l’ambitieux Hyacinthe- Camille ne compte pas geler cette ascension si près du but espéré et compte, malgré les prises

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D’après une expression de Napoléon Bonaparte le 8 mai 1802 (18 floréal an X) à propos du projet de loi relatif à la Légion d’honneur « On a tout détruit, il s’agit de recréer. Il y a un gouvernement, des pouvoirs, mais tout le reste de la nation, qu’est-ce ? Des grains de sable. Nous sommes épars, sans système, sans réunion, sans contact. Tant que j’y serai, je réponds bien de la République, mais il faut prévoir l’avenir. Croyez-vous que la République soit définitivement acquise ? Vous vous tromperiez fort. Nous sommes maîtres de la faire, mais nous ne l’avons pas, et nous ne l’aurons pas, si nous ne jetons pas sur le sol de France quelques masses de granit. »

de position de son passé, sur le frère de sa mère pour l’aider à concrétiser ses ambitions politiques.

En effet, le poste de préfet est une ambition commune à toute la haute bourgeoisie politisée pour ce premier XIXe siècle. La loi du 28 pluviôse an II confie l’administration du département à des hommes nouveaux : le préfet et son ou ses sous-préfets, selon la taille et les difficultés de gestion liés au département. Cette décentralisation bien décrite par Marie-Cécile Thoral 103 confère aux nouveaux nommés une place de choix dans l’administration étatique. Créé en 1800, le poste de préfet est un but pour tout grand notable rêvant d’une carrière politique et Hyacinthe-Camille n’y fait pas exception.

a- UN PASSE MONTAGNARD DERANGEANT

Seulement, si son oncle a su se retirer assez vite de la révolution, Hyacinthe-Camille s’est battu avec virulence pour le régime des droits de l’homme et est de ce fait, jugé par l’Empire comme hostile à la politique contre-révolutionnaire qu’il mène. En effet, l’Empire français doit composer avec l’héritage de la révolution française s’il veut conserver sa légitimité. Mais, cet héritage symbolique conservé se heurte au choix d’un Etat fort, mis en place par Napoléon, seul garant selon lui de la paix intérieure en Europe. En effet, le général Bonaparte a tout d’abord œuvré pour la diffusion des idées révolutionnaires mais suite aux dérives de celle-ci en guerre civile, le futur chef de l’Etat s’est montré modéré face aux idées de la révolution et a mis en place le consulat à perpétuité puis l’Empire afin de garantir aux français la paix civile. Le futur Napoléon se présente donc comme un révolutionnaire qui rejette les violences dues aux idéalistes extrémistes et se place donc dans la continuité de 1789 bien qu’il rétablisse un Etat fort.

Les citoyens trop virulents sous l’Ancien Régime sont écartés des hautes fonctions alors que ceux qui se sont impliqués modérément, et n’ont donc pas participés aux dérives de la révolution sont promus par l’Empereur lui-même. En effet, il est important pour lui et sa légitimité sur le trône de faire croire à une continuité entre les combats de la révolution française et la mise en place, en son nom, de l’Empire.

103 THORAL Marie- Cécile, L’émergence du pouvoir local, le département de l’Isère face à la centralisation (1800

Les expériences passées et le statut de fervent patriote montagnard apparaissent donc comme un frein à la carrière politique de Hyacinthe-Camille Teisseire sachant que c’est l’Empereur lui-même qui nomme les préfets des départements français et des zones annexées. Les faits, actes, et dires de Hyacinthe-Camille que nous avons vus en première partie semblent trop violents pour ce régime qui se revendique de la paix en Europe et les populations veulent pour la plupart rompre avec les dérives révolutionnaires.

L’empereur devant nommer en 1800 quatre-vingt-dix-huit préfets et sous-préfets, confie à ses collaborateurs, notamment le consul Lebrun et son ministre de l’Intérieur Lucien Bonaparte, la réalisation de listes de candidats plausibles. Il affirme favoriser les hommes ayant déjà fréquenté les hautes sphères de l’administration étatique104 ce qui n’est pas tout à fait le cas de Teisseire. En effet, celui-ci n’a participé qu’au pouvoir local : la municipalité. Pourtant, Hyacinthe-Camille le sait, l’accession au poste de préfet est un chemin obligatoire pour se distinguer parmi la bourgeoisie et atteindre, par la suite, le haut de la pyramide politique, et par extension, sociale.

Hyacinthe-Camille essaie donc au tout début du XIXe siècle d’appliquer une politique un peu plus modérée même si le spectre de son activisme passé auprès des montagnards est toujours bel et bien présent. Au cours de la révolution française, en 1796, Hyacinthe-Camille Teisseire se retire de la vie municipale et cherche à se consacrer à des responsabilités et à un pouvoir politique plus grand et plus en adéquation avec ses nouvelles ambitions. En seulement dix ans, la perception que Teisseire a de lui-même s’est peu à peu transformée. Si dans les années 1790 il se sentait violemment opposé aux grandes fortunes, dans les premières années de l’Empire il se bat avec virulence et opportunisme dans l’espoir d’obtenir un poste de préfet, point d’orgue de sa carrière.

b- UN POSTE DE SOUS- PREFET OFFERT PAR UN ONCLE HAUT PLACE

En plus des très hauts salaires dont bénéficient ces hommes de l’Empire, le statut de préfet est des plus honorables et est envié des notables, tant nobles que grands bourgeois. Parmi les préfets et sous-préfet que connait l’Isère, la grande majorité est de famille aisée dont

104 SAUTEL Gérard, Histoire des institutions publiques depuis la révolution française, Dalloz, Paris, 1974

le père aurait occupé un poste de fonctionnaire.105 Le sous-préfet a pour mission d’assurer un lien entre la préfecture, qui elle-même est lié à l’état, et les municipalités. Cette nouvelle fonction tend à se rapprocher des citoyens eux-mêmes et permettrait à l’Etat de mieux administrer ses régions, dans un pays ou l’administration est nouvellement décentralisée. Le sous-préfet doit également surveiller les maires dans la gestion de leur commune et inspecter les routes et bâtiments publics.

Par son oncle en effet ministre de l’Intérieur, Hyacinthe-Camille Teisseire réussit à bénéficier de sa notoriété et de ses pouvoirs afin d’obtenir le poste de sous-préfet de l’Ardèche, à Tournon. Le poste de sous-préfet est souvent offert à des hommes testés par l’Empire, en début de carrière et leur passage à la sous-préfecture est une étape nécessaire vers la possible nomination au poste de préfet106. Sa nomination a été permise grâce à ses relations et cela lui est reproché, notamment par Stendhal qui considère Hyacinthe-Camille Teisseire comme un opportuniste :

« Ce fou de Camille Teisseire […] qui en 1811 lui étant sous-préfet par la grâce de monsieur Cretet son cousin »107

Pour Hyacinthe-Camille Teisseire la nomination à ce poste est une opportunité considérable : s’il parvient à gérer de façon convenable la sous-préfecture, son oncle plaidera pour lui en faveur d’un poste supérieur. Hyacinthe-Camille occupe donc dès 1808 le poste de sous-préfet et s’installe donc en Ardèche pour administrer le département. Depuis le 14 thermidor an X (2 aout 1802) les compétences attribuées au sous-préfet se sont amoindries au profit du préfet ce qui n’est pas sans réaffirmer les désirs de Hyacinthe-Camille de monter dans la hiérarchie administrative. Pourtant, d’après les biographies de ses contemporains, il ne semble pas s’être dûment impliqué dans son poste de sous- préfet :

« Il fut nommé, sous le gouvernement impérial sous-préfet de Tournon, mais il exerça peu cet emploi, que lui rendaient pénibles les mesures commandées par les lois sur la circonscription. »108

105

THORAL Marie-Cécile, L’émergence du pouvoir local, le département de l’Isère face à la centralisation (1800

– 1837), PUG- PUR, Grenoble, Rennes, 2010, p. 63.

106

SAUTEL Gérard, SAUTEL Gérard, Histoire des institutions publiques depuis la révolution française, Dalloz, Paris, 1974 (Troisième édition), p.299.

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c- LA MORT D’EMMANUEL CRETET, COMTE DE CHAMPOL : UN REVE D’ASCENSION MIS A MAL

Le 28 novembre 1809 soit un an après la nomination de son neveu au poste de sous- préfet, Emmanuel Cretet, comte de Champol, décède à l’âge de soixante-deux ans. En plus de la perte d’un oncle c’est l’opportunité d’une brillante carrière politique qui s’éteint aux yeux de Hyacinthe-Camille. En effet, s’il devait sa nomination en grande partie à son oncle, il sait que la poursuite de sa carrière ne pourra se faire sans cette pièce maitresse qu’il était, ministre de l’Intérieur et proche de Napoléon. Son passé révolutionnaire nuit encore trop à sa potentielle nomination à un poste de préfet et une seule année dans ses fonctions n’a pu prouver ses compétences.

Cette situation met en évidence la force du cercle d’influences dans la politique et l’utilité du réseau social dans le mode d’ascension bourgeoise et d’accession au pouvoir. Nous voyons donc très précisément que les solidarités familiales sont à la base du mode de vie bourgeois et de la promotion vers les plus hautes charges politiques. Au-delà du talent et des compétences en matières administratives, le réseau social est donc à la base d’une éventuelle carrière politique. Hyacinthe-Camille Teisseire voit donc dès 1809, par la mort de son oncle influent, son avenir politique menacé par son passé révolutionnaire. Ses relations ne contrebalancent plus son activisme passé auprès des montagnards.

Après quatre années comme sous-préfet, ne voyant pas d’amélioration dans sa carrière, il démissionne de son poste à Tournon sur Rhône, sous-préfecture de l’Ardèche, en 1812, et retourne à Grenoble où il espère, malgré ce premier échec relatif, avoir de meilleures opportunités politiques dans sa ville natale qui le connait bien et l’a porté à la popularité.