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Remontée relative du niveau marin holocène et évolution géomorphologique des zones humides

Chapitre V : Histoire des paléo-environnements littoraux du territoire de l’Agriate : impacts humains et

V. Discussion

1. Remontée relative du niveau marin holocène et évolution géomorphologique des zones humides

La comparaison des données polliniques du marais de Saleccia (Reille 1992) avec les analyses géochimiques et entomologiques du marais de Cannuta issues du présent travail permettent de reconstruire l’évolution de la plaine alluviale littorale en lien avec la transgression marine depuis 7000 cal. BP (voir Figure 28).

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Figure 28 : Comparaison des données (A) paléoentomologiques et (B) géochimiques du marais de Cannuta avec d'autres archives paléoenvironnementales : (C) courbes sélectionnées du diagramme pollinique du marais de Saleccia (Reille 1992) ; (D) courbe du niveau marin relatif au nord-ouest du bassin méditerranéen d’après les données du sud-est de la France (Laborel et al. 1994 ; Morhange et al. 2001; Vella et Provansal 2000) et du nord de la Corse (Laborel et al. 1994) corrigées d’après Vacchi et al. (2016). NMI : nombre minimum d’individus. UFI : unité faunique d’insectes.

De manière synthétique, le rapport du titane sur le calcium (Ti/Ca) peut être considéré à Cannuta comme un bon indicateur de la variation relative des apports terrigènes et marins : dans la Figure 28, de faibles valeurs de Ti/Ca correspondront à des dépôts salins, à l’inverse des concentrations plus importantes en matériel terrigène seront indiquées par des fortes valeurs. Par conséquent, les valeurs minimales de Ti/Ca et les précipitations gypseuses observées à la surface du sédiment entre 401 et 314 cm (5900-5000 cal. BP), indiquent que le milieu de dépôt était fortement influencé par la mer (Figure 28). Dans la première partie de l’UFI-1, entre 5900 et 4980 cal. BP, malgré la présence de tributaires d’eau douce (indiqués par des taxons d’eau courante), la faune de coléoptères halotolérants terrestres (e.g. Bembidion

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cuspidatus, Ochthebius gr. meridionalis, Paracymus aeneus) atteste des conditions de salinité qui

régnaient localement à cette époque. De plus, l’abondance de Plinthisus longicollis s.l. et d’Apionidae entre 5900 et 4160 cal. BP confirme la présence de zones sableuses et de milieux ouverts à flore herbacée à proximité directe de Cannuta (Figure 28). L’actuel marais de Cannuta devait correspondre à un environnement lagunaire dans lequel des entrées d’eau de mer se produisaient. Cette connexion avec la mer se faisait probablement par infiltration d’eau salée puisqu’aucun dépôt sableux n’a été trouvé dans la séquence sédimentaire. Les données disponibles dans le delta du Rhône (sud-est de la France) indiquent que le niveau relatif de la mer est remontée de –3,8±0,5 à –2,8±0,5 m NGF entre 5900 et 5000 cal. BP (Vella et Provensal 2000 corrigé d’après Vacchi et al. 2016) (Figure 28), soit à une altitude comparable aux dépôts gypseux (présents entre –2,4 à –1,5 m NGF).

À partir de 5000 cal. BP, les valeurs du rapport Ti/Ca augmentent brusquement, indiquant une déconnection rapide entre le marais de Cannuta et les apports marins. Compte tenu de la position géographique du site, cette déconnection a pu se faire, soit par le nord-ouest au niveau de l’actuel étang de Padulella, soit par le nord-est par l’actuel étang du Loto (Figure 16B). L’archive sédimentaire du marais de Padulella12 est majoritairement composée de tourbe et ne présente depuis 7000 cal. BP aucun changement lithologique qui pourrait témoigner d’une telle rupture (e.g. dépôt important de sable marin) (Figure 18). Au contraire, l’abondance d’Olea enregistrée entre 6505±210 et 5924±260 cal. BP, correspond selon Reille (1992), à l’édification d’un cordon dunaire à proximité de Saleccia en lien avec la transgression marine (Figure 28). Si cette hypothèse est juste, alors cet événement est antérieur à ce qui est enregistré à Cannuta. Il paraît donc plus probable que l’actuel étang du Loto ait été une lagune ouverte sur la mer jusqu’à 5000 cal. BP environ, date à laquelle le cordon dunaire du Loto a dû se former, diminuant ainsi l’influence marine dans le marais de Cannuta. Toutefois, le fait que les valeurs du rapport Ti/Ca présentent un palier entre 314 et 250 cm (5000-4150 cal. BP) suggère la présence de gypse à ces niveaux malgré l’absence d’aiguilles macroscopiques. Des échanges d’eau salée avec la mer se sont donc maintenus, probablement par remontée du biseau salé.

Entre 3600 et 1050 cal. BP, alors que la salinité décroît dans le marais de Cannuta (comme l’indique l’augmentation des valeurs de Ti/Ca), le développement de zones de sansouires, au moins en bordure du marais de Padulella (Saleccia), est suggéré par les forts taux polliniques d’Amaranthaceae (Figure 28). Ce développement est probablement lié au dernier ralentissement de la transgression marine enregistrée en Méditerranée depuis environ 4000 ans (Vacchi et al. 2016) mais aussi à la diminution du couvert forestier durant cette même période qui a pu libérer des terrains propices aux Amaranthaceae (Reille 1992). Finalement, plusieurs changements majeurs sont enregistrés postérieurement à 1050 cal. BP : l’augmentation des taux de sédimentation (Figure 21) et des abondances des insectes aquatiques dont les trichoptères Limnophilidae à Cannuta, et l’accroissement des taux d’Isoetes et Selaginella

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(probablement S. denticulata, la seule sélaginelle indigène de Corse) à Saleccia (Figure 28). Un développement des zones humides sur la plaine alluviale voire une extension de la plaine elle-même ou une plus forte influence des apports alluviaux du Liscu pourraient expliquer ces assemblages polliniques et entomologiques. En effet, de tels processus géomorphologiques de progradation des deltas sont couramment enregistrés durant les 2500 dernières années à l’échelle du bassin méditerranéen (Maselli et Trincardi 2013 ; Anthony et al. 2014). Ils peuvent résulter de l’expansion des sociétés humaines (augmentation des apports sédimentaires générés par la déforestation et l’intensification de pratiques agro-pastorales), de changements climatiques rapides et de la stabilisation du niveau marin relatif (Vacchi et al. 2016). Le rôle respectif de l’homme et du climat sur ces derniers changements hydro- sédimentaires à Cannuta sera discuté plus loin.

2. Évolution des paysages thermoméditerranéens de l’Agriate entre 5900 cal. BP et