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Analyses complémentaires : changement de structure de l’écosystème mis en évidence par les

Chapitre IV : Variabilités hydrologiques et impacts anthropiques depuis 3700 cal BP dans une basse

III. Analyses complémentaires : changement de structure de l’écosystème mis en évidence par les

1. Traitement numérique des données paléoentomologiques et carpologiques

Deux jeux de données ont été préparés pour le traitement numérique des données paléoentomologiques et carpologiques à partir d’une matrice initiale de 38 échantillons × 171 taxons d’insectes (Annexe II) et d’une matrice initiale de 38 échantillons × 29 taxons de plantes. Afin d’obtenir un corpus de données d’insectes fossiles statistiquement significatif, tous les échantillons et les taxons ne répondant pas successivement aux critères suivants ont été exclus :

(1) Les taxons qui apparaissent dans moins de 5 échantillons,

(2) Les taxons identifiés au niveau de la famille ou de la sous-famille et ceux n’apportant aucune information écologique précise,

(3) Les échantillons stériles ou comprenant moins de 10 taxons.

Les taxons aquatiques ou subaquatiques ont également été exclus préalablement au traitement numérique afin d’éviter une répartition des taxons le long d’un gradient d’humidité et de rechercher les autres facteurs influençant la composition des assemblages d’insectes terrestres. De cette manière, une matrice de 24 échantillons × 22 taxons d’insectes a été obtenue.

Parallèlement, une matrice de 34 échantillons × 11 taxons de plantes a été obtenue en excluant les plantes rares présentes dans moins de 5 échantillons, les plantes aquatiques et subaquatiques (Carex sp., Cyperus sp. et Lycopus europaeus) ainsi que les échantillons stériles.

Après avoir exclu tous les échantillons qui n’étaient pas communs aux jeux de données paléoentomologique et carpologique8, deux jeux de données finaux et significatifs de 23 échantillons × 22 taxons d’insectes et de 23 échantillons × 11 taxons de plantes ont été obtenus (voir Annexe III). L’abondance de chaque taxon (plante et insecte) a été calculée en pourcentage et transformée en racine carrée afin de stabiliser la variance.

Une analyse factorielle des correspondances « détendancées » (DCA) a ensuite été réalisée sur les matrices paléoentomologiques et carpologiques finales (Figure 13A, B). La DCA ordonne les échantillons en fonction de leur composition taxonomique et les taxons en fonction de leurs occurrences dans chaque échantillon. Ceci permet de déterminer les principaux facteurs qui influent sur les variables (Hill et Gauch 1980). Ces analyses multivariées ont été réalisées à l’aide des modules « ade4 » et « vegan » du logiciel R 3.3.0 (R Development Core Team 2011).

8 Afin de réaliser les analyses multi-variées souhaitées, les deux jeux de données doivent impérativement avoir le même nombre d’échantillons.

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Figure 13 : Analyse factorielle des correspondances « détendancées » (DCA) : (A) sur les taxons d’insectes et (B) sur les taxons de plantes de la carotte BAG-D. Les taxons sont répartis en fonction de leur score sur l’axe 1 de la DCA, les échantillons le sont en fonction de leur profondeur (voir le Tableau 3 pour les abréviations des taxons d’insectes et de plantes).

Tableau 3 : Liste des taxons d’insectes et de plantes déterminés à partir de la carotte sédimentaire BAG- D et sélectionnés pour le traitement numérique, avec les codes associés utilisés dans le texte.

Taxons d’insectes Code taxon Taxons de plantes Code taxon

Acrotrichis sp. Acro Alnus sp. Alnus

Aleocharinae Aleo Erica sp. Erica (graine)

Anotylus sp. Ano Eupatorium cannabinum Eupatorium

Carpelimus sp. Carpe Mentha sp. Mentha

Diplapion confluens Diplaconflu Moehringia sp. Moehringia

Dolichoderus quadrimaculatus Doliquadri Potentilla sp. Potentilla

Gymnetron sp. Gymne Prunella vulgaris Prunella

Myrmecina graminicola Myrmegrami Rubus fructicosus –groupe Rubus

Onthophagus sp. Ontho Sambucus sp. Sambucus

Oxytelus sp. Oxy Viola sp. Viola

Percus corsicus Percucorsi Vitis vinifera Vitis

Philonthus / Quedius sp. PhiloQuedi

Ponera sp. Pone

Protapion sp. Prota

Pselaphini Psela

Ptininae Ptini

Scopaeus sp. Scopa

Sisyphus schaefferi Sisychae

Stenoscelis submuricata Stenosubmuri

Stenus sp. Stenu

Tachys sp. Tachy

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2. Résultats et interprétations des ordinations DCA

Une première DCA a été effectuée sur la matrice de données d’insectes fossiles (Figure 13A). Le pourcentage total de variation expliqué par le premier axe de la DCA est de 32,9 % et la longueur du gradient est de 3,1 σ, montrant une réponse unimodale des assemblages paléoentomologiques vis-à-vis du premier facteur écologique. L’axe 1 oppose du côté positif des coléoptères coprophages (Onthophagus, Sisyphus schaefferi), d’environnements ouverts (Gymnetron) et saproxylophage (Xyleborinus saxesenii) avec du côté négatif des fourmis communément trouvées sous les pierres en bordure de forêts (Myrmecina graminicola, Ponera) et des coléoptères (Acrotrichis, Anotylus) affectionnant les débris végétaux pourrissants (mais aussi les bouses). Excepté entre 95-90 cm, les scores obtenus sur l’axe 1 par les échantillons en fonction de la profondeur montrent une relative séparation entre les sédiments déposés avant et après le hiatus à 78 cm (Figure 13A).

La seconde DCA réalisée à partir du jeu de données carpologique final (Figure 13B) a mis en évidence une longueur de gradient de 2,9 σ pour l’axe 1 (Eigen value = 0,409), montrant également une réponse unimodale des macrorestes de plantes. L’axe 1 sépare du côté négatif les arbres et arbustes Alnus et

Sambucus et du côté positif Erica (probablement E. terminalis) et les herbacées Potentilla, Prunella vulgaris. Tout comme la DCA réalisée sur les fossiles d’insectes, l’axe 1 sépare globalement les

échantillons déposés entre 205 et 75 cm (IFU-2 à 4) et ceux déposés entre 65 et 30 cm (IFU-5). Ainsi, les échantillons prélevés dans la tourbe à Cyperaceae sont souvent associés aux scores négatifs, tandis que les échantillons composés de tourbe humifiée sont associés aux scores positifs.

La comparaison entre les deux DCA révèle que l’information dominante est commune aux données entomologiques et carpologiques. Elle oppose un environnement boisé dominé par Alnus, riche en matière végétale propice à une entomofaune détritiphage (e.g. Acrotrichis et Anotylus) et caractérisé par une tourbe à Cyperaceae à un environnement ouvert, dominé par une végétation herbacée (Potentilla,

Prunella vulgaris), une entomofaune indicatrice d’activités pastorales (Onthophagus, Sisyphus schaefferi) et caractérisé par de la tourbe humifiée. Ce changement d’environnement est communément

enregistré par les deux proxies environnementaux à partir de 700 cal. BP, en accord avec le découpage que nous avions proposé dans l’article 3.

À cette forte similitude des réponses des deux proxies, il est également intéressant de noter que :

 Les variables Gymne, Ontho et Sisychae (voir Figure 13A) indiquent que des ouvertures de la végétation liées à du pastoralisme à proximité du site se sont produites durant les périodes 3700- 3650 et 3000-2900 cal. BP alors que les variables des macrorestes de plantes ne montrent pas de changements significatifs ;

Les variables Alnus et Sambucus sont prédominantes entre 3700 et 1700 cal. BP et traduisent la présence de la ripisylve et du couvert forestier sur toute la période (Figure 13B) ;

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Le fait que les occurrences de coléoptères coprophages entre 3400 et 3300 cal. BP (article 3) soient représentées dans la DCA par des scores négatifs suggère que le pâturage des animaux a pu se faire à cette période au sein d’un environnement boisé ;

 Les scores positifs de la DCA réalisée sur les macrorestes de plantes à 110-105 et à 140-135 cm correspondent à des ouvertures fugaces du couvert forestier ; ces niveaux sont communs ou adjacents à des pics de flux de charbon mis en évidence dans l’article 3 ;

Ainsi, l’expression régionale des activités anthropiques est plus nettement enregistrée par les assemblages paléoentomologiques terrestres à la différence des macrorestes de plantes qui, à Bagliettu, enregistrent les dynamiques strictement locales de la végétation.

IV. Conclusion

Dans le Chapitre IV, les sédiments de la tourbière de Bagliettu ont permis d’étudier la réponse d’une zone humide de moyenne altitude au cours des 3700 dernières années en lien avec des changements hydrologiques et des activités humaines. En particulier, la comparaison des analyses paléoentomologiques, des macrorestes végétaux et les précédentes données polliniques a révélé des dynamiques progressives et régressives de la végétation. Parallèlement, les données radiométriques ont permis de mieux caler l’origine et la chronologie de cette tourbière par un modèle d’âge cohérent. Certaines des dynamiques progressives sont liées à des changements hydro-morphologiques : ce sont les divagations du cours d’eau torrentiel de l’Asco dans la plaine alluviale qui ont vraisemblablement permis le développement de la tourbière dans un bras mort, déconnecté du chenal principal il y a environ 3700 ans. Il s’en est suivi une maturation des écosystèmes avec notamment une expansion rapide de l’aulnaie à partir de 3650 cal. BP qui semble perdurer jusqu’à 2900 cal. BP. Toutefois, l’analyse des macro-charbons suggère que l’aulnaie tourbeuse a été plusieurs fois impactée par des feux, notamment à 3400, 3100 et 700 cal. BP.

L’augmentation des bioindicateurs témoignant d’activités agro-sylvo-pastorales dans la vallée à partir de 1700 cal. BP et durant la période génoise, suggère une dynamique régressive de la végétation avec un développement des prairies pâturées nitrophiles. La forte expansion d’Erica terminalis qui n’avait auparavant aucun rôle majeur dans la végétation constitue également un changement inédit dans l’histoire de la tourbière.

Depuis une cinquantaine d’année, dynamique de la tourbière s’inscrit dans un contexte de déprise agricole favorable au développement du couvert forestier. Cette évolution de la végétation va demander des choix de conservation afin de savoir quelles espèces et quels paysages doivent être préservés tout en maintenant les services écosystémiques qu’offre la tourbière (réservoir d’espèces protégées, pâturage pour le bétail, réserve cynégétique, sortie éducative, etc.). Alors qu’une aridification du climat

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méditerranéen est attendue dans le siècle à venir, ces choix seront d’autant plus cruciaux que la déconnection de Bagliettu avec la rivière de l’Asco rend la tourbière hydrologiquement dépendante des eaux de ruissellement et des résurgences latérales qui l’alimentent.

Finalement, c’est aussi la présence du hiatus dans l’archive sédimentaire de Bagliettu qui a soulevé des interrogations quant à son origine : est-ce que ce hiatus est lié à une interruption des processus de turbigénèse en lien avec une période climatique plus sèche ? Est-ce qu’une intensification des activités agro-pastorales a provoqué une érosion de la tourbière et de son bassin-versant ? En définitive, nous ne pouvons pas exclure une synergie entre ces deux facteurs.

C’est précisément les rôles respectifs du climat et des activités humaines dans les processus érosifs que nous tenterons de mettre en évidence dans le Chapitre V à travers l’analyse des sédiments du marais de Cannuta.

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