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Évolution des paysages thermoméditerranéens de l’Agriate entre 5900 cal BP et l’actuel déduit

Chapitre V : Histoire des paléo-environnements littoraux du territoire de l’Agriate : impacts humains et

V. Discussion

2. Évolution des paysages thermoméditerranéens de l’Agriate entre 5900 cal BP et l’actuel déduit

Une première ouverture du couvert végétal favorable au figuier dès 5800 cal. BP ?

La confrontation des données entomologiques de Cannuta aux précédentes études polliniques d’autres sites côtiers permet d’apporter un éclairage nouveau sur les paléoenvironnements du territoire de l’Agriate et sur l’évolution de la végétation de l’étage thermoméditerranéen en Corse (voir Figure 29). Entre 5900 et 3950 cal. BP, les occurrences de coléoptères associés à Erica (Pachybrachis cf. scriptus et Stylosomus minutissimus) confirment que des formations de type maquis à Erica arborea dominaient localement le paysage. Toutefois, l’augmentation des pourcentages de Quercus ilex, de Cistus et la présence d’une faune de coléoptères d’environnements ouverts de l’UFI-1, constituent probablement les premiers signes du déclin d’Erica arborea durant cette période (Figure 29). De plus, un examen attentif des assemblages d’insectes durant cette transition entre Erica arborea et Quercus ilex révèle un fait intéressant : plusieurs spécimens fossiles d’Hypoborus ficus indiquent la présence ponctuelle de Ficus

carica13 entre 5770 et 4160 cal. BP (Figure 29). Dans l’article 1, une phase d’extension du figuier a déjà été déduite des enregistrements fossiles de ce scolyte entre 6100 et 5750 cal. BP. Celle-ci avait également eu lieu durant les premiers signes d’ouverture de la végétation d’Erica arborea. Le présent résultat renforce l’hypothèse faite dans l’article 1 selon laquelle le figuier a pu être recherché et favorisé par les populations néolithiques et chalcolithiques pour la qualité nutritive de ces fruits. En effet, le figuier, probablement aussi indigène dans la partie occidentale du bassin méditerranéen (Khadari et al. 2005), est connu pour avoir été domestiqué très tôt (Zohary et Hopf 2000). En Corse, des restes archéobotaniques attestent de la consommation de figues durant le Néolithique (7000-5000 cal. BP) sur le site de Scaffa Piana (St-Florent), situé à moins de 15 km de Cannuta (Ruas et Vigne 1995). Bien qu’elles doivent être interprétées avec prudence, les occurrences de coléoptères coprophages dans l’UFI-

13 Le pollen de cet arbre entomogame n’est généralement pas retrouvé dans les archives sédimentaires. Ficus carica n’est pas signalé des inventaires floristiques actuels des zones humides de Saleccia (Paradis et al. 2013)

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1 ainsi que les rares grains de pollen de Cerealia-type vont dans le sens d’une occupation humaine du territoire durant cette période dans laquelle l’exploitation du figuier aurait pu se faire. Toutefois seules de nouvelles études paléoentomologiques et carpologiques permettront de définir si F. carica se retrouve ailleurs en Corse à cette période, si cet arbre a connu des « phases d’expansion » et si elles sont là encore, synchrones avec la dégradation d’Erica arborea.

Figure 29 : Diagramme de comparaison entre des taxons sélectionnés d’insectes/groupes écologiques d’insectes du marais de Cannuta et de plantes d’après les données polliniques de l’étang de Saleccia (Reille 1992). NMI : nombre minimum d’individu. ZP : zone pollinique. UFI : unité faunique d’insecte.

De 3350 cal. BP à l’actuel : vers la mise en place des paysages actuels

Après 3350 cal. BP, les données polliniques de Saleccia montrent une forte expansion de Quercus ilex, Poaceae, Cistus, Asteroideae et une chute des taux d’Erica arborea jusqu’à environ 1300 cal. BP (Figure 29 ; Reille 1992). Malgré le problème taphonomique qui touche l’UFI-2, les occurrences isolées de coléoptères xylophages (Platypus cylindrus et Scolytus cf. intricatus) et d’environnements ouverts confirment aussi la présence de Quercus décidus et d’une végétation herbacée et buissonnante. Même si les indices entomologiques d’activités pastorales manquent entre 2600 et 1300 cal. BP, les données polliniques de Saleccia indiquent que cette ouverture de la végétation est d’origine anthropique (Reille 1992) (Figure 17). La microrégion de l’Agriate et du Nebbio présente des indices archéologiques

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attestant de la présence humaine puisqu’une dizaine d’enceintes fortifiées, occupées pour la plupart entre l’âge du Bronze et le Moyen Âge, y ont été recensées (Figure 14 ; Mazet 2006). C’est notamment le cas du site d’U Castellu, situé à 250 m de la mer et à moins de 3 km du marais de Cannuta (Leandri 2000) ou du site antique de Casta, situé à 1 km au sud de la plage de Saleccia (Figure 14 ; Broc 2014). Aussi, Reille (1992) a émis l’idée, reprise récemment par Vella et al. (2004), que les activités humaines de l’âge du Fer et de la période romaine sont à l’origine de la mise en place des paysages actuels de l’Agriate.

Finalement, entre 1050 cal. BP et l’actuel, Reille (1992) suggère que l’absence de pollen de Cerealia- type et la ré-expansion d’Erica arborea au détriment de Quercus ilex sont les conséquences d’une diminution des pressions anthropiques. Pourtant les occurrences quasi-continues de coléoptères coprophages ou coprophiles (e.g. Aphodius, Onthophagus taurus, Anotylus nitidulus, A. tetracarinatus) depuis 990 cal. BP attestent l’existence de pratiques pastorales dans le secteur. De plus, les données polliniques et les faunes d’insectes de l’UFI-3 confirment à la fois la présence d’une végétation herbacée (notamment de Fabaceae) et celle de maquis incluant Erica arborea et Myrtus communis. Il est donc probable qu’un changement de pratique ait eu lieu et que localement le pastoralisme et les produits de la cueillette (voir paragraphe suivant) aient été favorisés par rapport à l’agriculture. En effet, de nombreux sentiers de transhumance datant du Moyen Âge et de l’époque moderne ont été identifiés dans la région (Vella et al. 2014). Ils confirment que la petite plaine alluviale sur laquelle se situe Cannuta, l’une des seules de l’Agriate, a dû fournir depuis longtemps une aire de pâturage hivernale. Aussi, les données polliniques et entomologiques semblent à la fois refléter la persistance d’un pastoralisme extensif et transhumant mais aussi l’abandon de certaines zones probablement anciennement cultivées. Toutefois, cet abandon ne semble pas généralisé à l’ensemble de l’Agriate puisque Vella et al. (2014) ont montré une continuité des activités agropastorales avec la mise en culture des versants autour du Monte Revincu entre environ 800 et 150 cal. BP. Le paludisme qui sévissait au cours du Moyen Âge dans les zones côtières basses comme à St-Florent (Broc 2014) est certainement l’une des causes de l’occupation saisonnière des milieux de moyenne latitude (Pieretti 1951), et c’est aussi sans doute l’une des raisons des travaux de drainage du marais de Cannuta entrepris au cours du XIXe siècle.

La place historique de Myrtus communis dans le territoire de l’Agriate

Actuellement, Myrtus communis est un élément caractéristique des maquis thermophiles littoraux de Corse. Pourtant ce taxon présente une faible diversité génétique en Corse, ce qui suggère une propagation assez importante par l’homme sur l’île (Migliore et al. 2012). D’ailleurs il n’apparaît qu’à partir de ca. 2880 cal. BP dans le diagramme pollinique de Saleccia (Figure 29 ; Reille 1992) et au cours du dernier millénaire dans celui de Spizicciu (Vella et al. 2004). Cette apparition tardive n’est pas propre au territoire de l’Agriate puisque les premières occurrences du pollen de Myrtus dans l’étang de Crovani sont postérieures à 4300 cal. BP (Reille 1992). Au Fango, elles remontent à un peu plus de 1400 cal.

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BP, et elles sont généralement datées de la période Subatlantique en contexte littoral, comme à Palombaggia, Ostriconi ou Ste-Barbe (Reille 1984, 1992). C’est d’ailleurs l’absence apparente de cette plante et d’autres éléments thermophiles (e.g. Olea, Phillyrea, Tamarix, Pistacia) au sein de la végétation de Corse durant des périodes plus anciennes qui a amené Reille (1984) à s’interroger sur l’existence d’une sécheresse estivale le long du littoral oriental durant l’Atlantique (ca. 8000-5000 cal. BP). Toutefois, la présence locale de Myrtus communis est attestée à Cannuta par des charbons et du bois datés de 5283-4882, 4423-4239 et de 4061-3781 cal. BP (Tableau 4). Cette présence, plus ancienne que ne le suggéraient les données polliniques de Reille (1992), dénote une faible capacité de dispersion pollinique. Ceci expliquerait son absence dans les spectres polliniques de sites où il est pourtant présent dans la végétation actuelle comme à l’étang del Sale et de Terrenzana (Reille 1984 ; Currás et al. 2016). Il est donc vraisemblable que Myrtus ait été présent en Corse dès l’Atlantique en mélange avec la végétation dominante d’Erica arborea, mais sans que sa production pollinique n’ait été enregistrée dans les sondages des marais et étangs littoraux. Au contraire, comme l’avait justement remarqué Reille (1992), l’altération des maquis thermophiles littoraux sous l’action humaine a pu favoriser l’apparition récente de Myrtus dans les spectres polliniques des sites côtiers. En effet, le pollen de Myrtus est généralement enregistré lorsque le taux de boisement passe en-dessous de 60 % ; c’est le cas à l’étang de Palombaggia, de Palo, à Ostriconi, Saleccia et Sagone (Reille 1984, 1992 ; Ghilardi et al. 2016). Il ne faut pas non plus négliger le fait que le commerce d’exploitation du myrte à St-Florent et au Nebbio durant l’époque génoise est bien connu des archives historiques du XVe-XVIe siècle (Broc 2014). La cueillette des baies de myrte se faisait au mois d’août à Saleccia et l’Agriate constituait l’une des plus grandes zones de production de la Corse.

3. Changements hydro-sédimentaires depuis 2000 ans et potentielles influences