• Aucun résultat trouvé

Partie 1 : Adaptations morphologiques et fonctionnelles cardiaques du sportif : le « cœur

2. Remodelage cardiaque et sports d’endurance

Les sports d’endurance représentent l’ensemble des activités qui imposent aux participants le maintien d’une intensité modérée à importante (60 à 90% de la consommation maximale d’oxygène) durant un laps de temps important (de quelques dizaines de minutes jusque plusieurs heures, dépendant de l’intensité de l’effort). L’impact de ces activités sur la morphologie et la fonction cardiaque sera présenté de manière brève dans les paragraphes suivants.

2.1. Morphologie ventriculaire gauche

Comme évoqué précédemment, les études morphologiques ont quasi exclusivement étudié le VG par une étude de son diamètre en fin de remplissage (DTD pour diamètre télé-diastolique) ou en fin d’éjection (DTS pour diamètre télé-systolique) et par une étude de ses parois (SIV pour septum interventriculaire, paroi séparant le VG du VD et PP pour paroi postérieure, la paroi libre de ce VG). A partir de ces paramètres, les études ont très souvent évalué la MVG de manière brute (en g) ou indexée par la surface corporelle (MVGi en g.m²). Les exercices aérobies se caractérisent par une augmentation importante du 𝑄̇𝑐 associée à une augmentation modérée de la pression artérielle (Pluim et al., 2000). Ils vont engendrer une surcharge volumique au niveau du VG qui va avoir pour conséquence une augmentation de la pré-charge cardiaque qui peut se définir comme l’ensemble des facteurs qui induisent un étirement des fibres myocardiques en fin de remplissage (Norton et al., 2001) et ainsi conduire à une dilatation cavitaire sur le long terme (Naylor et al., 2008). Cette dilatation cavitaire se caractérise par une augmentation du DTD qui se fait de manière proportionnelle et harmonieuse

43

à un épaississement pariétal (SIV et PP) (Pluim et al. 2000 ; Fagard et al. 2003 ; Naylor et al. 2008 ; Nottin et al. 2008). Cette hypertrophie cardiaque excentrique semble aujourd’hui admise dans la littérature scientifique, avec des MVG souvent supérieures au seuil d’hypertrophie proposé par Lang et al. (2015) à 115 g.m² (Bekaert et al., 1981 ; Lo et al., 1990 ; Maufrais et al., 2014 ; Nishimura et al., 1980 ; Pluim et al., 2000). De manière complémentaire, une étude de Weiner et al. (2010) semble montrer que cette adaptation au cours du temps, est "biphasique". En effet, après 90 jours d’entrainement en endurance, leurs résultats démontrent une dilatation cavitaire sans épaississement pariétal. En revanche, chez des sportifs d’endurance élite (participation à des compétitions nationales ou internationales), Utomi et al. (2013) ont mis en évidence une augmentation de MVG liée à la fois à une dilatation cavitaire mais également à un épaississement conséquent des parois du VG. Ces résultats complémentaires tendent à montrer que dans les premières phases de l’entraînement, c’est le diamètre cavitaire qui est impacté, mais au bout de plusieurs années de pratique les parois s’épaississent également. A contrario, une étude plus récente s’est intéressée à cette adaptation morphologique biphasique suite à 12 mois d’entrainement et démontre des résultats opposés à ceux de Weiner et al. (2010) avec un épaississement pariétal sans dilatation cavitaire dans un premier temps (hypertrophie concentrique) suivi d’une dilatation cavitaire conduisant à l’hypertrophie excentrique (Arbab-Zadeh et al., 2014). La figure 3 présente les résultats de cette étude avec dans un premier temps (0 à 3 mois) un épaississement pariétal (B) accompagné d’une faible dilatation cavitaire (A) puis dans un second temps (de 6 à 12 mois), un épaississement pariétal qui s’arrête pour laisser place à une dilatation du VG.

Figure 3 : graphiques présentant (A) l’évolution du volume télédiastolique (indicateur de dilatation cavitaire) et (B) l’épaisseur des parois du VG au cours de 12 mois d’entraînement en endurance (issu d’Arbab-Zadeh et al. (2014)).

LVEDV: Left ventricular end diastolic volume

44

2.2. Fonction systolique ventriculaire gauche de repos

La systole correspond à la phase d’éjection durant laquelle le cœur se contracte pour chasser le sang du VG vers la circulation systémique. Plusieurs études rapportent un 𝑄̇𝑐 de repos identique à des sédentaires mais associé à une bradycardie (baisse de fréquence cardiaque) et à une hausse du VES (Caso et al., 2000 ; Galderisi et al., 2010 ; Monte et al., 2015 ; Santoro et al., 2014 ; Simsek et al., 2013). La fraction d’éjection (FE, qui représente la proportion de sang éjectée du VG à chaque battement), ne semble pas modifiée (Caselli et al., 2011 ; Fagard et al., 2003 ; Galderisi et al., 2010 ; Monte et al., 2015 ; Nottin et al., 2004). La vitesse de déplacement des parois pendant la systole (S’), évaluée à partir de l’utilisation du Doppler Tissulaire, (DTi, indice de contractilité myocardique régionale), demeure également inchangée chez les athlètes d’endurance (Nottin et al., 2008 ; Szauder et al., 2015).

Au sein de la paroi myocardique, un agencement très particulier des fibres musculaires au niveau endocardique (couche la plus interne du myocarde) et épicardique (couche la plus externe) a été mis en évidence par des études basées sur des dissections cardiaques d’animaux (Streeter et al., 1969) et d’humains post-mortem (Greenbaum et al., 1981). En effet, les fibres musculaires endocardiques et épicadiques s’enroulent autour du VG suivant une double hélice. L’orientation des fibres musculaires au sein de la paroi myocardique varie de + 60° au niveau de l’endocarde à -60° au niveau de l’épicarde (Figure 4).

Figure 4 : arrangement en hélice des fibres au sein de la paroi myocardique chez le porc. L’arrangement des fibres se fait suivant un plan circonférentiel – longitudinal et change d’un pas à gauche au niveau épicardique (A) à un pas à droite au niveau endocardique (B) et cela jusqu’au niveau des trabeculaes (petite saillies) au niveau de l’apex (C). A : Antérieur ; P : Postérieur. D’après Sengupta et al (2006) dans JACC

45

Cette particularité architecturale va avoir plusieurs conséquences, tout d’abord lors de la systole, le myocarde subit des déformations longitudinales, circonférentielles et radiales qui sont représentées en figure 5. Ces déformations dites normales peuvent être appréhendées depuis une dizaine d’années par l’échocardiographie en mode « 2D-Strain » (méthode de suivi des marqueurs acoustiques qui est détaillée dans la méthodologie générale de cette thèse).

Chez le sportif d’endurance, une récente méta-analyse démontre une préservation des déformations globales longitudinales (GLS), circonférentielles (GCS) et radiales comparativement à des sédentaires (Beaumont et al., 2017).

En marge des déformations normales décrites ci-dessus, l’hétérogénéité de l’orientation des fibres autour du VG engendre des déformations internes au myocarde appelées contraintes de cisaillement qui sont de trois types : circonférentielles-radiales, radiales longitudinales et longitudinales (figure 6A). Les contraintes de cisaillement circonférentielles-longitudinales entrainent un mouvement de torsion du VG (figure 6B), torsion qui est la résultante de rotations opposées des deux grandes parties du VG : la base (au niveau des valves mitrales) qui va tourner dans le sens antihoraire et l’apex (pointe du cœur) qui va tourner dans le sens horaire. Au cours de cette phase de torsion, de l’énergie élastique va être emmagasinée dans la titine, composé cellulaire interne aux cardiomyocytes et considérée comme étant l’élastique moléculaire) ainsi que dans d’autres structures conjonctives (Helmes et al., 2003).

Figure 5 : représentation des trois types de déformations « normales ». Au cours de la systole, la contraction des cardiomyocytes engendre un raccourcissement longitudinal (rouge) et circonférentielle (bleu) ainsi qu’un épaississement radial (jaune) du VG. Adapté de Doucende (2010).

46

Cette énergie élastique va être restituée de manière très précoce durant la diastole, pour créer un mouvement de détorsion qui sera détaillé par la suite.

Concernant la torsion du VG chez les sportifs d’endurance, des divergences existent une nouvelle fois. En effet, deux études longitudinales ont montré une augmentation de pic de torsion après 3 mois (Weiner et al., 2010) et 6 mois (Aksakal et al., 2013) d’entrainement en endurance chez des jeunes adultes. A contrario, après plusieurs années d’entraînement chez des athlètes d’endurance, cette torsion a été démontrée comme significativement réduite au repos en lien avec une baisse des rotations apicales (Maufrais et al. 2014 ; Nottin et al. 2008 ; Santoro et al. 2014) alors que d’autres études ont rapporté une torsion inchangée chez des rameurs de haut niveau (Galderisi et al., 2010) ou des marathoniens (Vitarelli et al., 2013).,

A B

Figure 6 : (A) schématisations des déformations myocardiques radiales (Err), circonférentielles (Ecc) et longitudinales (Ell) ainsi que des contraintes de cisaillement circonférentielles-radiales (Ecr), radiales-longitudinales (Erl) et circonférentielles-radiales-longitudinales (Ecl). D’après Rosen et al. (2004). B : schématisation des rotations basales et apicales induisant le mouvement de torsion du VG. D’après Bansal et Kasliwal (2013).

47 2.3. Fonction diastolique de repos

La diastole représente la phase de remplissage du VG. Elle se distingue en deux grandes phases : une phase passive (E pour Early filling) liée à la relaxation ventriculaire et une phase active (A pour Atrial filling) liée à la contraction de l’OG. Elle est influencée par plusieurs paramètres. Tout d’abord la détorsion ventriculaire qui va permettre de créer de manière précoce (durant la phase isovolumique c’est-à-dire avant ouverture des valves mitrales) un gradient de pression intraventriculaire puis atrioventriculaire et ainsi favoriser l’afflux sanguin à l’ouverture des valves mitrales. Vient ensuite la relaxation qui fait appel à la capacité qu’ont les fibres myocardiques à se relâcher de manière précoce. Enfin les pressions de remplissage qui représentent les pressions régnant dans le VG en télédiastole et qui vont favoriser le remplissage de ce dernier. Ces différents paramètres sont présentés de manière schématique en figure 7.

Figure 7 : représentation schématique des facteurs influençant la diastole pendant la relaxation isovolumique (A) puis le remplissage (B). Avec les pressions de remplissage (rouge), la relaxation (bleu) et la détorsion (noir).

La plupart des auteurs rapportent une onde E (indicateur du remplissage passif) similaire entre sujets entrainés en endurance et sujets sédentaires (King et al., 2008; Pluim et al., 2000 ; Simsek et al., 2013 ; Tümüklü et al., 2008 ; Utomi et al., 2013 ; Vinereanu et al., 2002; Zocalo

+

-

+

VG OG Valve Mitrale Fermée Ouverte

-

A B

48

et al., 2008). L’onde A (indicateur du remplissage atrial) est quant à elle diminuée chez des athlètes d’endurance en lien avec une FC de repos plus faible qui augmente le temps de diastole (remplissage) et nécessite une moindre contribution atriale (Fagard et al., 2003 ; Santoro et al., 2014). Par conséquent, le ratio E/A (remplissage passif sur actif) semble augmenté chez les sportifs d’endurance et témoigne donc d’une fonction diastolique globalement améliorée (Caso et al., 2000 ; Charfeddine et al., 2016 ; Nottin et al., 2008 ; Santoro et al., 2014).

L’évaluation par DTi permet de mesurer la vitesse de l’onde E’ sur la paroi latérale du VG (indicateur de relaxation validé par Nagueh et al., 2009), et là encore les résultats varient entre onde E’ inchangée (Caso et al., 2000 ; Galderisi et al., 2010 ; Monte et al., 2015 ; Nottin et al., 2008) ou augmentée (D’Ascenzi et al., 2011 ; Santoro et al., 2014 ; Vitarelli et al., 2013). L’avènement du « 2D-Strain » a permis d’accéder à des paramètres moins sensibles aux conditions de charge et qui rendent compte de la mécanique du VG. Le LSrd (strain rate au niveau longitudinal pendant la diastole) ne semble pas modifié au repos (Nottin et al., 2008 ; Simsek et al., 2013). En revanche, le pourcentage de détorsion pendant la relaxation isovolumique (phase précoce de la diastole pendant laquelle le VG se relâche sans modification de volume puisque la valve mitrale est fermée) est plus important chez des athlètes d’endurance comparativement à des sédentaires (Maufrais et al., 2014). Cette part de détorsion précoce plus importante chez les athlètes d’endurance pourrait favoriser le remplissage puisque plusieurs études rapportent un lien entre détorsion ventriculaire précoce et diastole (Burns et al., 2008 ; Kovacs et al., 2014). Toutefois, le pic de vitesse de détorsion global ne semble pas modifié selon une récente méta-analyse (Beaumont et al., 2017).

En résumé, l’hypertrophie excentrique observée chez les athlètes d’endurance semble associée à des fonctions systolique et diastolique normales voire améliorées. L’évaluation de la mécanique régionale ventriculaire gauche a permis de mettre en lumière une amélioration de la fonction diastolique par l’étude de ses paramètres intrinsèques. Toutefois, la disparité des populations utilisées dans les publications (différentes disciplines qui apparaissent parfois comme différentes au regard de leurs contraintes) peut expliquer les résultats parfois contradictoires et amène à la plus grande prudence en termes de conclusions.

49

2.4. Morphologie et fonction de l’oreillette gauche

Même si la majorité des études se sont centrées sur l’évaluation du VG, il apparaît aujourd’hui comme intéressant de se questionner sur le remodelage de l’OG. En effet, l’OG joue un rôle très important dans la diastole ventriculaire de par ses fonctions de réservoir (« stockage » du sang durant la systole ventriculaire), de conduit (OG traversée par le sang en provenance de la circulation pulmonaire pour remplir le VG pendant le remplissage passif) et de « booster pump » (contraction atriale pour terminer le remplissage du VG). Chez le sportif d’endurance, de nombreuses études ont évalué la morphologie de l’OG et démontrent une augmentation de son diamètre comparativement à des sujets sédentaires sains (méta-analyse de Iskandar et al., 2015), de l’ordre de 4,6 mm comparativement aux sujets sédentaires. Néanmoins, l’utilisation du diamètre de l’OG exprimé de manière brute (sans être rapporté par la surface corporelle) semble limitée et c’est aujourd’hui le volume de l’OG indexé par la surface corporelle (LAVI, left atrial volume index) qui figure dans les recommandations car démontré comme plus précis pour rendre compte de la morphologie de l’OG (Lang et al., 2015 ; Rodevan et al., 1999). Plusieurs études ont utilisé le LAVI pour comparer des sportifs d’endurance à des sujets sédentaires, et l’ensemble de ces études rapportent une augmentation chez les sportifs d’endurance (D’Andrea et al., 22013 ; D’Ascenzi et al., 2011 ; Mansencal et al., 2007 ; Moro et al., 2013 ; Oxbourough et al., 2012). Les mécanismes expliquant cette dilatation de l’OG sont encore peu compris, mais il semble qu’elle soit liée à une dilatation du VG et pourrait s’expliquer par la surcharge volumique induite par les sports d’endurance (Peliccia et al., 1999). De manière complémentaire, cette dilatation de l’OG chez le sportif d’endurance questionne, puisqu’une association forte entre dilatation de l’OG et risques de fibrillation auriculaire a été démontrée dans des conditions pathologiques (Abhayaratna et al., 2006 ; Tsang et al., 2006). Concernant la fonction de l’OG, Mc Clean et al. (2015) ne semblent pas démontrer de modifications chez des sportifs d’endurance. A l’inverse, une récente méta-analyse rassemblant 403 athlètes a démontré une diminution significative de fonction de l’OG (évaluée par « 2D-strain ») chez les sportifs d’endurance comparativement aux sujets sains, et ce au regard des trois composantes fonctionnelles de l’OG évoquée ci-dessus (Cuspidi et al., 2017). Si les auteurs évoquent un potentiel lien entre ces diminutions et la diminution de l’onde A chez les sportifs d’endurance, ces résultats amènent une nouvelle fois à se questionner puisque la baisse de fonction de réservoir est associée à une augmentation du risque de fibrillation atriale chez des patients atteints d’insuffisance cardiaque (Chirinos et al., 2018).

50