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Partie 2 : fonction cardiaque, sports de force et stéroïdes anabolisants

5. Asynchronisme intraventriculaire

La méthodologie employée dans la seconde étude de cette thèse a permis d’évaluer l’impact des AAS sur la fonction cardiaque appréhendée de manière fine par échocardiographie en mode « 2D-Strain ». Même si les déformations ont été évaluées, seule une analyse globale a été réalisée, sans tenir compte des différentes zones du VG. Toutefois, nos outils permettent une évaluation régionalisée afin de détecter une atteinte plus prononcée d’un ou plusieurs segments ventriculaires (Lang et al., 2015). Cette étude régionalisée est aujourd’hui accessible par échocardiographie et permet d’analyser finement le phénomène d’asynchronisme intraventriculaire qui réside en une contraction asynchrone des différents segments composant le VG. Dans cette partie, nous allons brièvement décrire l’architecture du VG ainsi que l’organisation des cardiomyocytes afin d’ensuite comprendre le phénomène d’asynchronisme présent chez les sujets sains et chez les sujets pathologiques.

5.1. Les cellules myocardiques

Au niveau des ventricules, les cardiomyocites sont de larges cellules cylindriques représentant 75% du volume total du myocarde. Une fibre myocardique est une unité fonctionnelle contractile, constituée d’un groupe de cardiomyocytes maintenues entre eux par un réseau de fibres de collagène. Chaque myocyte est limité par un sarcolemme et contient des protéines contractiles, des mitochondries et des faisceaux de myofibrilles. Les mitochondries fournissent l’énergie nécessaire pour l’activité contractile, sous forme d’adénosine triphosphate (ATP). Les échanges calciques sont facilités par les nombreux renflements du réticulum sarcoplasmique qui s’étend en un fin réseau à travers le myocyte. Le relargage du calcium dans le cytoplasme cellulaire permet de déclencher la contraction tandis que le recaptage engendre la relaxation. Les cardiomyocytes sont entremêlées ce qui permet une propagation rapide et harmonieuse du potentiel d’action. Néanmoins, comme nous allons le voir par la suite, la dépolarisation commençant au niveau apical et se terminant au niveau basal, un décalage temporel physiologique existe entre la contraction des cardiomyocytes de l’apex (qui se contractent précocement) et ceux de la base (qui se contractent plus tardivement).

100 5.2. Architecture du VG

Le VG peut se représenter par un cône qui se découpe, sur le plan sagittal, en trois parties distinctes : la base au niveau des valves mitrales, les piliers au niveau des muscles papillaires et l’apex au niveau de la pointe du VG. La paroi myocardique qui délimite le VG est composée de différents feuillets. L’épicarde représente le feuillet le plus externe, le mésocarde représente le feuillet médian tandis que l’endocarde représente le feuillet interne, qui est composé de nombreuses invaginations. Comme évoqué précédemment, les fibres myocardiques ont un agencement particulier qui est différent selon la zone appréhendée (Grenbaum et al., 1981). Pour rappel, les fibres musculaires endocardiques et épicardiques s’enroulent autour du VG suivant une double hélice. L’orientation des fibres musculaires au sein de la paroi myocardique varie de +60° au niveau de l’endocarde à -60° au niveau de l’épicarde. Une différenciation similaire est rapportée entre base et apex, conduisant à une rotation antihoraire de la base, tandis que l’apex tourne dans le sens horaire, lorsqu’on observe le VG depuis l’apex.

5.3. Activation électromécanique normale

Au niveau électrique, le faisceau de His est composé de cellules musculaires cardiaques spécialisées dans la conduction du signal électrique. Il transmet le signal électrique des oreillettes vers les ventricules, induisant la contraction ventriculaire. Le faisceau de His se termine par les fibres de Purkinje au niveau de la paroi interne des ventricules. Chez l’Homme, l’activation des cellules cardiaques débute au niveau du segment apical septal (Scher, 1995) et se propage au niveau endocardique entre l’apex et la base mais aussi de l’endocarde vers l’épicarde (Sengupta et al., 2006). Sengupta et al. (2006) ont montré que la conduction de la base vers l’apex était plus rapide que la conduction de l’endocarde vers l’épicarde, suggérant que les régions épicardiques basales étaient donc les dernières à être dépolarisées. Activation électrique et contraction mécanique étant liées, ce décalage temporel conduit donc à une contraction décalée des différents segments du myocarde.

De ce fait, le myocarde sain est caractérisé par un phénomène nommé « asynchronisme physiologique » intra-ventriculaire, qui peut se définir simplement comme le décalage de

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contraction entre les différents segments du VG au cours de la systole, et qui est en lien avec les différents points abordés ci-dessus. Cet asynchronisme physiologique présente des avantages, en effet le décalage endo-épicardique facilite la propagation de l’influx électrique des couches internes (sous-endocarde) vers les couches externes (sous-épicarde). Ceci est lié à une modification de l’orientation des fibres musculaires au cours de la systole ventriculaire, avec notamment un meilleur alignement qui pourrait favoriser le passage de l’influx nerveux entre les cellules via les jonctions communicantes (Ashikaga et al., 2007). La figure 15 démontre ce décalage temporel entre les différentes parties du VG (Sengupta et al., 2006).

5.4. De la fibrose aux troubles de la conduction

Le remodelage cardiaque de type pathologique est aujourd’hui reconnu comme étant lié à l’activation de voies de signalisations spécifiques qui conduisent à une augmentation de la mort cellulaire et de la fibrose. Beltrami et al. (1994) ont observé sur des cœurs natifs de patients transplantés que le nombre de cardiomyocytes était diminué, et qu’une modification architecturale des cellules myocardiques avait eu lieu. Plus précisément, ces cardiomyocytes présentaient une hypertrophie prédominante dans le sens de la longueur et étaient réorientées dans le sens longitudinal. Ce remodelage va progressivement altérer la fonction contractile du

Figure 15 : Exemple de séquences des déformations longitudinales (schéma de gauche) du segment apical au segment basal de la paroi latérale du ventricule gauche. Le pic de déformation (flèche noire) est plus précoce pour le segment apical et est retardé à la phase de relaxation isovolumique pour le segment basal. Phase 1= contraction isovolumique ; 2=éjection ; 3= relaxation isovolumique ; 4= protodiastole; 5= télé-diastole. A droite le schéma montre le gradient d’activation mécanique endo-épicardique avec notamment un épicarde (B) qui atteint son pic de contraction de manière retardée. Issue de Sengupta et al. (2006)

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myocarde mais peut aussi entraîner par le biais de la fibrose, des blocs de conduction électriques et entraîner un asynchronisme mécanique et des troubles du rythme par des phénomènes de réentrées électriques (Lim, 2010). Tokuhiro Kawara et al. (2001) a démontré une forte association entre fibrose et retard de conduction électrique.

Lorsque le myocarde est endommagé (pathologies), de petites cicatrices apparaissent et de la fibrose peut s’installer. Ces petites cicatrices sont souvent inhomogènes mais conservent la capacité de conduire une excitation électrique de manière fortement ralentie (Lim, 2010 ; Monney et al., 2018). Ces zones de conduction ralentie associée aux zones de conduction normales sont à l’origine des arythmies ventriculaires et donc à l’origine d’un asynchronisme segmentaire au niveau myocardique (Monney et al., 2018). Schématiquement, la figure 16A montre une excitation normale dans le myocarde « sein » (flèches jaunes, conduction normale et homogène). L’excitation ne peut pénétrer dans le tissu infarci (fibrocytes, représenté en blanc) même si entre les deux cicatrices myocardique un « couloir » de conduction ralentie est présent (flèches rouges). Malgré tout, le signal entrant ne ressort pas car la zone est totalement nécrosée ce qui ne pose aucun problème. En figure 16B, en revanche, un tel « couloir » de conduction ralenti mais viable permet au signal de ressortir de manière tardive et sert de substrat typique aux arythmies par réentrée (l’excitation retardée sortant du couloir est capable d’exciter à nouveau et de façon décalée le myocarde sain même si ce dernier est déjà sorti de sa phase systolique).

Figure 16 : perturbation de la transmission du PA en lien avec une zone cicatricielle fibrosée (Exit point : point de sortie du PA après ralentissement). A : conduction normale ; B : trouble de la conduction

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Concrètement, la présence de fibrose (tissu non contractile mais viable) pourrait engendrer un décalage de contraction des différents segments (différentes régions) du myocarde outrepassant le décalage physiologique et de ce fait affecter la fonction systolique. Ces troubles de la conduction et donc ces asynchronismes ont été largement étudiés en pathologie et donnent aujourd’hui lieu à la mise en place de thérapies de resynchronisation (Brignole et al. 2013). L’utilisation actuelle du 2D-Strain permet d’évaluer à la fois les déformations globales mais aussi régionales en scindant le VG en plusieurs segments équidistants sur son plan longitudinal (6 segments sur chaque coupe apicale 4, 3 et 2 cavités soit 18 segments au total) ou circonférentielle (6 segments sur chaque coupe parasternale petit axe à la base ou à l’apex, soit 12 segments au total). Cette analyse segmentaire permet de mettre en lumière un ou plusieurs segments touchés par l’asynchronisme et donc d’expliquer en partie les dysfonctions systoliques. En effet, Lim et al. (2008) ont démontré que les segments qui avaient un pic de contraction postérieur à la fermeture de la valve aortique ne participaient pas entièrement à l’éjection sanguine. Ces contractions segmentaires qui interviennent après fermeture de la valve aortique sont appelées contractions post-systoliques (PSS pour post systolic shortening en Anglais). La figure 17 ci-dessous représente la comparaison entre les contractions des segments de l’apex et de la base chez un sujet sain (figure 17A partie gauche) et chez un sujet post-infarctus (figure 17A partie droite). On voit très clairement sur cette figure que les segments de l’apex atteignent leur pic de contraction de manière retardée chez le sujet post-infarctus, alors que ce n’est pas le cas chez le sujet sain. La figure 17B illustre la présence de cette contraction post-systolique appréhendée par 2D-strain.

Figure 17 : représentation d’une contraction post-systolique avec en (A) la comparaison entre contraction des segments de la ase et de l’apex entre sujet sain (partie gauche) et patient post-infarctus (partie droite), et en (B) l’évaluation de cette contraction post-systolique par 2D-strain. AVC : aortic valve closure ; PSS : post-systolic shortening. Adapté d’Asanuma et al. (2014).

AVC AVC

104 5.5. AAS et asynchronisme intraventriculaire

Comme évoqué précédemment, le remodelage myocardique spécifiquement lié à l’utilisation d’AAS se caractérise par une augmentation importante de la fibrose myocardique comme constaté dans les études post-mortem ou échocardiographiques de Montisci et al. (2012) et de Baggish et al. (2017). L’augmentation de la fibrose myocardique a été démontrée comme ayant des conséquences néfastes sur la contraction cardiaque en engendrant notamment un asynchronisme segmentaire (Lim et al., 2008). Si chez les sportifs de force qui utilisent des AAS, plusieurs études ont rapporté une diminution de FE (Baggish et al., 2010 et 2017), résultat confirmé dans l’étude n°2 de cette thèse, aucune étude ne s’est intéressée à cet asynchronisme ventriculaire gauche dans cette population. Pourtant, comme évoqué précédemment, Lim et al. (2008 et 2010) ont démontré qu’un retard de contraction d’un ou plusieurs segments pouvait contribuer à diminuer la FE. Au vu des résultats de notre étude n°2, il apparaît comme pertinent d’étudier la contraction du myocarde de manière régionalisée afin de voir si la baisse de déformations longitudinales est diffuse (globale au VG) ou localisée. De plus, plusieurs études post-mortem indiquent une présence de fibrose principalement au niveau du septum et dans la zone sous-endocardique (Fineschi et al., 2001 et 2007 ; Montisci et al., 2012) chez des sportifs décédés d’une surconsommation d’AAS. Au vu des relations entre fibrose et troubles de la conduction, des différences entre les différents segments ainsi qu’entre les différentes sous-couches myocardiques sont envisagées.

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Étude 3: objectifs et hypothèses

2D-Strain regional analysis of cardiac dyssynchrony in young bodybuilders

using anabolic androgenic steroids

Antoine Grandperrin, PhD ; Iris Schuster, MD, PhD ; Pierre Moronval, MD, PhD ; Philippe Obert, PhD ; Stéphane Nottin, PhD

L’objectif de notre troisième étude a été d’évaluer l’asynchronisme intra-ventriculaire ainsi que l’occurrence de contractions post-systoliques chez des culturistes utilisant des stéroïdes anabolisants. Afin de s’affranchir des effets de l’entraînement, nous avons une nouvelle fois décidé de comparer ces culturistes à une population de sédentaires sains mais également à des sportifs entraînés en musculation ne consommant pas de stéroïdes anabolisants. Nous avons réalisé une analyse régionalisée des déformations myocardiques, en considérant pour chaque segment l’amplitude (analyse des pics de déformation) ainsi que les temps (délai du pic de déformation, différence de délai d’atteinte de ces pics entre les segments, etc.). Ceci nous a permis d’étudier des paramètres clés qui ont aujourd’hui été validé comme indicateurs d’asynchronisme intra-ventriculaire. Nous avons émis l’hypothèse que les dysfonctions cardiaques relatées précédemment chez les culturistes étaient en partie liées à une augmentation de l’asynchronisme avec notamment présence de contractions post-systoliques (PSS), et que certaines régions du myocarde, tel que le septum interventriculaire, seraient plus impactées que d’autres.

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Partie III

Comparaison entre le remodelage

cardiaque de l’athlète utilisant des stéroïdes

anabolisants et celui de l’athlète souffrant

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Partie 3 : Comparaison entre le remodelage cardiaque de l’athlète utilisant des AAS et