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Chapitre 4. La survie du champ des Gasc en f&l à la désintermédiation des années

1. La remise en cause de l’activité de Gasc en f&l pendant les années

1.1. Les piliers institutionnels pour expliquer l’origine de la désintermédiation f&l

1.1.1. Les pressions prix subies par les grossistes à l’issue des évolutions régulatrices Cette première section explique les forces institutionnelles qui ont favorisé le phénomène de la « plateformisation » par la grande distribution et engendré la remise en cause des Gasc en f&l dans les années 90. Nos résultats indiquent tout d’abord l’influence du pilier régulateur (Scott, 1995) vers un contrôle plus intense des prix des f&l. La dimension prix est centrale à l’activité des Gasc en f&l qui est comparée au métier de « trading » (produits à cours journaliers, cf. CHP3, 3.1.1) avec une liberté absolue pour fixer les prix. Ce fonctionnement évolue dans les années 80 et les marges de manœuvre se resserrent depuis l’apparition de réglementations commerciales en leur défaveur.

• Des réglementations en faveur de la grande distribution et au détriment de ses

fournisseurs.

Dans un premier temps ces réglementations ont un impact indirect sur l’activité de Gasc en renforçant le pouvoir de la grande distribution. Après avoir volontairement encouragé le développement de cette dernière avec la circulaire Fontanet de 1960 (Moati, 2001), les pouvoirs publics cherchent à rééquilibrer les rapports de force avec les fournisseurs par de nouvelles réglementations142. Cela démarre par la loi Royer en 1973, puis la loi Raffarin en 1996 pour n’en citer que deux majeures (cf. Table 4 pour des compléments). Seulement, l’effet sera controversé puisque la loi Raffarin par exemple, avec le gel des surfaces de plus de 300 m² (Chanut, 2009), a créé des barrières à l’entrée pour de nouveaux concurrents et renforce ainsi la croissance des enseignes existantes.

«[En 1996] la part de marché des grandes surfaces continue de s’accroitre : elle représente désormais plus de 40% des ventes du commerce de détail » (Etude Insee, Abramovivi, 1996).

Cette prise de pouvoir grandissante de la grande distribution (GD) conduit à une compétition de plus en plus rude entre les enseignes. Cette compétition se focalise sur les prix les plus bas en cherchant à prendre le contrôle de la distribution (Rapport Geode, 2005). Cette bataille entre enseignes se répercute alors plus fortement sur leurs fournisseurs (Chanut, 2009). Si les Gasc en f&l ont l’avantage de produits à cours variable, pour conserver la main sur le prix fixé, cela a tout de même pour effet d’intensifier l’importance des opportunités de prix plutôt que de la qualité.

142 La volonté réelle du gouvernement à freiner le développement de la GD est à nuancer selon le travail de Tristan. J (2013,

146 • Des réglementations commerciales inadaptées à l’activité des Gasc

Dans un second temps, les règlementations commerciales concernent plus directement les Gasc en f&l et le contrôle des prix dans le but de rééquilibrer les forces commerciales. La Table 4 présente certaines de ces réglementations (e.g. Loi NRE 2001 ; loi Dutreil 2003 ; circulaire Jacob-Dutreil, 2005 ; etc.) qui s’accumulent en la défaveur des Gasc f&l. Du côté des distributeurs, l’augmentation de ces réglementations renforce l’attention des enseignes du côté du prix lors de leur bataille (Rapport Geode, 2005) et par suite, leurs « pressions prix » vis-à-vis des fournisseurs. Ces réglementations ont donc des effets pervers puisqu’elles fragilisent les fournisseurs au lieu de les défendre. Par exemple, la loi Galland de 1996, qui modifie les règles de facturation pour interdire les reventes à perte, conduit à la notion de « prix abusivement bas » (Chanut, 2007, 2009). Cette loi est d’autant plus néfaste à l’activité des Gasc qu’elle contraint la pratique du prix après-vente qui leur est pourtant indispensable face au fonctionnement complexe en f&l (entretien, avocat spécialiste, 2012). Les effets pervers se retrouvent également du côté des consommateurs puisque les enseignes de la GD en profitent pour harmoniser leur prix de vente à la hausse en utilisant les marges arrières sur le dos de leurs fournisseurs. Cela entraîne ainsi une inflation excessive pour les consommateurs (Chanut 2007) dont la colère, face à des f&l excessivement chers, se retourne vers l’ensemble des distributeurs dont les grossistes. En raison de leur position de distributeurs, les grossistes sont souvent assimilés à la GD et opposés aux producteurs:

« Le rôle des prix est essentiel dans la filière f&l car leur ajustement permet de vendre les produits périssables même en période de surproduction. Le débat que l'on observe depuis longtemps porte plus particulièrement sur les prix affichés par la grande distribution, qui sont tirés vers le bas par la grande distribution par la forte pression qu'elle exerce en amont grâce à sa situation d'oligopole (…) Ainsi que pour les pouvoirs publics, comme en témoignent les manifestations récurrentes de producteurs agricoles qui dénoncent la responsabilité des intermédiaires » (Rapport Géode, 2005)

L’incrimination des intermédiaires vis-à-vis du prix des f&l est influencée par une médiatisation en leur défaveur– avec des informations incomplètes (Berry, 2003). Par exemple, les médias soulignent que le producteur touche 20cts/kg de pêche alors qu’en magasin et chez le grossiste elle n’est pas à moins de 1.5€/kg. Les médias alimentent le débat de f&l excessivement chers (Berry, 2003) sans expliquer le coût des étapes intermédiaires (trier, laver, emballer, etc. Duchen et al. 2011).

Au final, ces réglementations ont un effet négatif pour les grossistes qui sont à la fois assimilés à des distributeurs et à la fois des fournisseurs - sans bénéficier des avantages de chacun offerts par les pouvoirs publics :

- Les distributeurs disposent d’avantages avec certaines réglementations parce qu’ils représentent un enjeu économique important pour les pouvoir publics.

147 - Les producteurs sont particulièrement protégés par les pouvoirs publics en raison de la

culture agricole française, au détriment des grossistes qui ont toujours été considérés, de tout temps comme leurs ennemis (Rapport Uncgfl, Cabinet Adrien, 1998)143.

La défense des producteurs s’élargit à l’échelle européenne avec la constitution des groupements de producteurs nommés Organisations de Production en 1998 (réglementation n° 1035/72 de l’Organisation Commune des Marchés Fruits et légumes). L’objectif est de favoriser la régulation des prix par la production en les amenant à se regrouper pour qu’ils puissent commercialiser eux-mêmes les produits. En plus de faciliter l’entente directe avec les enseignes de la GD en court-circuitant les grossistes, cette réglementation renforce le poids des lobbyings de producteurs cherchant à orienter les réglementations commerciales en leur faveur. Ainsi la bataille entre la production et la GD s’accélère, avec la multiplication des réglementations au niveau des prix, toujours au détriment des Gasc. Elles sont inadaptées à leur position d’intermédiaire, tel que nous le décrit l’avocat interviewé:

« C’était un affrontement permanent entre la production et la grande distribution. Le négoce lui, était tantôt d’un côté et tantôt de l’autre en fait non. Il était pris en tenaille ! Si vous regardez de près tous les textes qui sont sortis. Ils ont été pris pour répondre à l’affrontement : production et grande distribution et tous ces textes sont complètements inadaptés pour le négoce ; mais les pouvoirs publics s’en sont fichus mais royalement ! » (Entretien, Avocat spécialiste filière f&l, 2012)

Les Gasc restent confiants sur l’importance de leur activité d’intermédiaire parce que les f&l sont des produits frais trop complexes à gérer pour la GD. Cependant ce caractère « atypique »des f&l (cf. Table 4) s’amenuise avec la « normalisation » des f&l.

1.1.2. Passivité des Gasc en f&l face à l’évolution des produits normés

Le deuxième élément explicatif de la remise en cause des Gasc est la normalisation des fruits et légumes avec de nouveaux critères. Désormais ce qui compte c’est l’aspect, l’homogénéité, la résistance et la disponibilité des f&l toute l’année alors qu’il était coutume de les voir varier en qualité comme en quantité selon les saisons, sans normes particulières.

« On a un tropisme grande distribution, parce que ça fait 70% des volumes. Donc les stratégies ‘produits’ s’orientent nécessairement vers ces acteurs. On a plutôt nous des relations avec les acteurs organisés [OP] et ce sont plutôt eux qui parlent facilement à la GMS » (entretien, Représentant Interfel, 2012)

La principale origine, selon l’analyse, est l’emprise de la grande distribution sur la filière et sa volonté de la convertir à son fonctionnement plus industriel. Une emprise à travers son adhésion à l’interprofession des f&l « Interfel » qui est atypique, selon l’un des représentants « Interfel ». Il s’agit, en effet, de la seule interprofession agricole avec pour membre un acteur en aval de la filière (plus proche du consommateur final). Rapidement, la GD remplace les

143 Cette défense apparait également avec le fonctionnement de l’interprofession f&l, qui intervient dans le contrôle du

148 grossistes dans le rôle de gendarme de la filière f&l (e.g. poste de président) et oriente la stratégie de la filière en fonction de ses propres intérêts. A l’inverse des autres membres d’Interfel (producteurs, expéditeurs, grossistes), la GD n’a pas d’intérêts à défendre plus les f&l que d’autres produits (entretien 2, Dirigeant Poma, 2012).

Outre cette position centrale au sein de l’interprofession, la GD se sert également de son entente avec les nouvelles Organisations de Production (OP) commerciales pour faciliter la normalisation des f&l (cf. Table 4). Les OP* ont bien plus de points communs avec la GD, par leur système industriel par exemple, que n’en ont les grossistes (Rapport stratégique Uncgfl, Cabinet Adrien, 1998). Les groupements de producteurs développent des marques de f&l qui disposent des critères (d’aspect, de résistance, homogénéité et disponibilité) souhaitées par la GD (e.g. le groupement « Prince de Bretagne » et sa marque de f&l sous le même nom). L’important pour ces marques est de disposer de produits identiques toute l’année. L’aspect est également un enjeu principal (Entretien, Consultant spécialiste des f&l, 2012). Les Gasc ne sont pas étrangers à cette normalisation des f&l (cf. Table 4). Ils ont même accompagné ces changements de manière délibérée ou a minima, passivement. Cette participation des Gasc s’explique par leur culture « produit » et « GMS» qui les amènent à se croire indispensables malgré l’appauvrissement du produit et de l’approvisionnement. La culture GMS* présentée dans le CHP 3 (3.1.1) découle de la tradition relationnelle qui s’intensifie avec les partenariats formés avec un ou deux gérants de magasins principaux (cf. Table 4). Le dévouement pour ces magasins et la complicité créée avec leurs représentants les conduit à croire que jamais le représentant du magasin ne pourrait le trahir pour une centrale d’achat. C’est en raison de cette croyance que les Gasc auraient laissé la GD s’emparer de leur secret d’expertise en approvisionnement - sans anticiper l’utilisation de ce secret pour mettre en place les centrales d’achats de la GD :

« Après avoir aidé (imprudemment ?) la Grande Distribution à «apprendre le métier » et donc profité quelques temps de son intrusion, nous l’avons vu se mettre en mesure d’assumer seule sa fonction d’achat et progressivement nous exclure de ses volumes. » (Rapport Uncgfl, Cabinet Adrien, 1998, p. 18)

La culture produit, qui est également présentée en CHP 3 (3.1.1), les conduit à surestimer leur expertise d’approvisionnement, considérant que pour des produits si complexes (cours variable, météo, saisonnalité etc.) ils seraient les seuls capables à pouvoir s’en charger. Cette croyance est trop forte pour envisager que la GD puisse gérer elle-même ces produits malgré la simplification de l’approvisionnement avec la normalisation des f&l. Les Gasc ont ainsi laissé faire la remise en cause de leur activité due la mise en place des plateformes et centrales d’achats par la GD dans les années 90.

149 Table 4 Illustration des pressions institutionnelles défavorables à l’existence des Gasc en fruits et légumes

Pilier Régulateur Pilier Normatif Pilier Culturo-cognitif

Pressions : Prix- Produits

normés « Le rôle des prix est essentiel dans la filière F&L, car leur ajustement permet de vendre les produits périssables même en période de surproduction (à l'export ou pour l'industrie de transformation). Le débat que l'on observe depuis longtemps dans cette filière porte d'ailleurs plutôt sur le niveau des prix des transactions, et plus

particulièrement sur les prix affichés par la grande distribution. On dit souvent qu'ils ne reflètent pas toujours le marché » (Geode, 2005)

Prise de pouvoir de la GD :

Loi Royer n°73-1193 (1973, commission de contrôle pour freiner la création de grandes surfaces) ;

Loi Raffarin n° 96-603 (1996, Gel d’ouverture des surfaces supérieures à 300m²) qui intensifient le développement de la GD au lieu de le freiner (Chanut, 2009)

Loi Galland (1996) : fragilisation des fournisseurs et augmentation de l’inflation avec le nouveau seuil de revente à perte (Messeghem, 2005)

Conflits sur les prix entre producteurs et GD :

Loi NRE 2001-420 interdiction de communiquer sur le prix des fruits et légumes

Coefficient multiplicateur 2005 (article 611-4-2 code rural) encadrement des marges sur les fruits et légumes pour limiter l’écart entre le prix d’achat et de vente. En 2007, une tentative d’application sur les pêches :

« Les grossistes furieux. S'il était appliqué, ce taux abaisserait la marge des grossistes sur marché de 14% à 8%. « C'est la marge d'une plate-forme logistique de GMS, ce n'est pas notre métier », dénonce Bernard Piton, président de l'UNCGFL.» (Les Marchés, 27/07/2007) Loi Galland 1996 et Circulaires Jacob-Dutreil 2006-2007 redéfinition du calcul du seuil de revente à perte

(modification de l’artc. L442-2 du code de commerce) qui a pour effet de diminuer les marges arrières en défaveur des grossistes.

Prise de Pouvoir et lobbying de la Production :

OMC réglementation n°1035/72 et n° 1200/96 : encourage la régulation des prix par la production

OMC réglementation n° 1200/96 qui encourage la mise en place d’organisations de producteurs (OP) commerciales.

Les producteurs membres d’une OP (commerciale) n’ont pas le droit de vendre leur marchandise sans passer par l’organisation. (Avocat expert de la filière F&L, Paris, 2012).

Nouvelles normes sur les F&L d’apparence, durabilité-homogénéité :

« Voilà 20 ans que les fruits et légumes étaient classés

en trois catégories selon leur forme, leur couleur et leur taille » (Forder S., 21/07/ 2009, disponible sur www.lepetitjournal.com)

« D’autres critères fondamentaux comme la couleur, la

taille, l’aspect etc. L’aspect est important. En France par exemple, les tomates vertes d’Italie c’était invendable.» (Expert, cabinet de conseil en F&L, Lyon, 2012).

Apparition des marques de producteur

(favorisées par l’OMC n°1200/96) et collaboration étroite avec la GD sur la définition de la production:

« Pour les grands flux de produits : oui il y a une forte intégration marketing des producteurs. » (Expert, cabinet de conseil en f&l, Lyon, 2012)

« 80% en moyenne des achats de fruits et légumes frais chez Système U sont faits dans le cadre de contrats (…) Chez Carrefour, les cahiers des charges avec les producteurs représentent une part importante des approvisionnements en fruits et légumes : 50% de la pomme de terre » (Geode, 2005)

Intégration de la GD au sein de l’Interprofession

« ce qui est à signaler c’est que c’est assez particulier pour une interprofession agricole d’avoir dans ses membres la grande distribution (…) ce qui nous donne en plus un tropisme très grande distribution ! » (Représentant 1 Interfel, Paris, 2012)

La complexité de la filière (qui la rend atypique)

« la spécificité des fruits et légumes : c’est des produits frais, non stockables, périssables, agricoles, avec une météo sensible à la production et à la consommation (…) Les fruits et légumes c’est plus compliqué [que les bidons de lait]» (Représentant 2 Interfel, Paris, 2012)

« C’est complètement différent des autres branches [du groupe]. Nous on est sur des produits vivants. On fait un bon achat une fois que l’on a encaissé le client parce qu’entre l’achat et la vente, le produit a pu s’abimer, cela peut ne pas correspondre à ce qu’il veut. On a une chance sur deux de se tromper sauf que les gens n’acceptent pas»

(Acheteur Orchade, Lyon, 2012)

Logique « Achat –vente » ; d’écoulement de la production

« Le gros enjeu de cette filière, c’est que c’est une filière agricole donc elle est beaucoup montée dans des stratégies d’écoulement. Donc ce n’est pas stockable, faut que ça dégage. Donc ils sont tous, globalement sur un système qui est : ‘moi la marge je la fais dans la proportion à mieux acheter’ » (Représentant 1 Interfel, Paris, 2012)

« on a une culture produit » (Commercial Orchade, Annecy, 2012) Tradition orale et opacité du métier de grossiste

« Je n’avais pas d’image du grossiste. J’avais un contact commercial mais après c’était très obscure» (ancien client du groupe)

« Parce que l’on a une tradition orale que l’on a toujours eu » (Représentant 1 Interfel, Paris, 2012)

Importance des relations humaines :

« Parce que c’est une fonction qui a toujours marché sur la confiance, sur la relation humaine et le négociant dans cette relation humaine c’est une pièce fondamentale» (Avocat expert de la filière F&L, Paris, 2012).

La culture « GMS » :

« Je parle de mes directeurs de succursales, qui ont vécu l'histoire d’Orchade et donc sont plutôt des gens teintés » (Directeur Branche f&l, Orchade, 2012)

Croyance sur les prix en f&l :

Croyance de la GD : les F&L sont des produits « d’appel » (Geode 2005) : « le rayon

fruits et légumes c’est la vitrine » (Avocat expert de la filière F&L, Paris, 2012), le prix est le 1er critère (Messeghem, 2005)

Croyance des individus sur des prix « anormalement élevés » alimentés par les médias (Coffy et al. 2007)

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1.2. Les effets négatifs de ce nouveau contexte pour les Gasc en f&l au regard de la légitimité

Les effets de ces évolutions institutionnelles sont interprétés au travers de la position légitime des Gasc en f&l par essence et sa variation « en action » selon les dimensions pragmatique, normative et culturelle (Suchman, 1995) présentées avec le cadre conceptuel de la thèse.

1.2.1. Une légitimité cognitive fragile « par essence » (Suchman, 1995)

Cette thèse a démarré par le constat d’une légitimité fragile par essence des grossistes (cf. CHP1, 1.1.2), tous domaines confondus, qui souffrent depuis plus d’un siècle d’une représentation négative. Cette assimilation à « mangeurs de marge » (Dugot, 2000) et « parasites de la société » (MacKeown, 2007) est même retranscrite par les médias :

« Quand j’étais petit, déjà à la télé on voyait des reportages aux infos disant que les grossistes s’en mettent pleins les poches. » (Entretien, Commercial 3 Orchade, 2012)

Ce constat est d’autant plus avéré vis-à-vis des grossistes en f&l que la culture agricole française a conduit historiquement à défendre les producteurs en considérant les grossistes comme leurs ennemis. Le grossiste en fruits et légumes « n’est pas apprécié de la Société » et ne dispose d’aucun allié naturel, selon le rapport stratégique élaboré pour l’Uncgfl (Adrien, 1998). Depuis des décennies, il est mal perçu des producteurs, ignoré de l’Etat voir même exposé aux vindictes des pouvoirs publics qui défendent les producteurs et plus largement, considéré comme « le ventre mou » de la filière: (Extrait du Rapport, Adrien 1998) :

« Cette fonction d’interface nous a créé peu d’alliés. Au sein des villes tout d’abord, nous avons dû vivre la suspicion du « peuple » : notables nous serons jalousés ; chargés des approvisionnements nous serons un bouc émissaire facile, profiteurs de prix jugés toujours trop élevés. Ajoutons que notre allié naturel, le commerce de détail, ne s’est jamais privé de faire chorus avec nos censeurs. Peu populaires dans les bourgs, nous avons souvent été détestés dans les campagnes. On nous a fait grief : de cours toujours trop faibles, du refus de commercialiser des productions trop médiocres, de mettre en balance des productions locales avec des sources plus lointaines (…) Ajoutons enfin que nous n’avons jamais été aimés de l’Etat (…) nos législateurs, voués à la défense du faible - le paysan - contre le fort - l’intermédiaire »

La représentation des grossistes en f&l est donc loin d’être perçue comme désirable, convenable et appropriée pour la société et semble alors traduire une légitimité fragile par essence (Suchman, 1995). Ces représentations sont devenues si naturelles, à travers le levier cognitif, qu’elles semblent avoir favorisé les accusations envers les grossistes comme étant les premiers responsables de l’inflation excessive des f&l et de la perte de la qualité des f&l. Ces accusations, en retour, intensifient les représentations cognitives négatives et fragilisent de surcroît, les dimensions morales et pragmatiques de leur légitimité.

151 1.2.2. La baisse de légitimité pragmatique et morale « en action » (Suchman, 1995) Légitimité morale fragilisée du fait de l’opacité de l’activité des Gasc

La légitimité morale porte sur l’évaluation de l’activité (du résultat, des procédés et de la structure) à partir de critères socialement construits (Suchman, 1995, p. 579). Les procédés des Gasc étaient déjà discutables puisqu’ils reposaient sur une tradition orale et opaque. Toutefois, les résultats positifs en termes d’approvisionnement, pour des produits complexes, suffisaient à justifier le bienfondé de cette activité.

Le fonctionnement opaque leur porte préjudice à la suite des pressions prix et de f&l qui perdent leur goûts. Tout d’abord, cela encourage la GD et les groupements de producteurs à vouloir éviter les Gasc dont l’activité « opaque » les empêche de contrôler les prix. Ensuite, ce