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II. Principes de modélisation en futaie régulière

II.2 Relation station-production, indice de fertilité

La prise en compte de la variabilité stationnelle dans les modèles de croissance débouche sur l'évaluation de la relation station - production. Cette dernière constitue, en principe, une partie fondamentale de la modélisation de la croissance. Dans ce qui suit, on introduit d'abord certains concepts de base tels que la qualité du milieu, la productivité, la production, la fertilité et la hauteur dominante. Ensuite, il convient d’expliquer succinctement les différentes méthodes d'évaluation de la relation station–production. Enfin, apparaîtra la méthode la plus souvent utilisée pour l’évaluation de la qualité stationnelle (l’indice de fertilité) dans les peuplements réguliers.

La qualité du milieu se définit par la capacité de la station à faire pousser les arbres ou autres végétaux. Il s'agit de la capacité de production de la station.

La production se définit comme ''la quantité de matières végétales fabriquée sur une surface et pendant une période de temps déterminée'' (Delpech et al. 1958). Cependant, la plupart du temps, une fraction de la production totale ; la production de bois, (exprimée en volume) est visée en foresterie (Franc et Houllier, 1989).

La productivité est une mesure de la capacité de production de la station. Elle se définit comme une production par unité de temps. Cependant, avec cette seule définition, elle ne serait que l'accroissement à la période actuelle (accroissement courant) ou depuis la constitution du peuplement (accroissement moyen). Dans la pratique, la productivité d’une station forestière est l'accroissement moyen en volume à un âge donné (souvent égal à 100 ans) exprimé en m3 /ha/an. Cependnat, l'accroissement périodique est généralement inférieur ou égal à la production périodique car il ne prend pas en compte le recrutement. Inversément, la production périodique est supérieure ou égale à l'accroissement périodique.

La notion de fertilité repose sur une autre possibilité de caractérisation de la production des peuplements forestiers qui n'est pas directement liée à la production mais qui se réfère à la croissance en hauteur (Franc et Houllier, 1989). Il s’agit de la hauteur dominante atteinte par le peuplement à un âge de référence (pris souvent égal à 100 ans) ou bien de la hauteur maximale atteinte. La hauteur dominante est la hauteur moyenne d’une sous-population des plus gros arbres d’un peuplement, appelée aussi dominante. Les dendrométriciens ont arbitrairement défini les arbres dominants comme étant les 100 plus gros arbres non endommagés par hectare (Houllier, 1994).

Il n'existe pas de méthode unique de l'évaluation de la relation station–production (Franc, Houllier, 1989). Evidemment, la façon dont on évalue la relation station-production dépend du choix des modes de caractérisation du milieu (synthétique ou analytique) et de la production (productivité ou fertilité) ainsi que du choix du type de relation qu'on cherche à établir. En général, il existe deux approches pour évaluer la relation station – production :

- Approche non dendrométrique - Approche dendrométrique

La première approche, appelée non dendrométrique, consiste à chercher une caractérisation écologique du milieu pour la prédiction de production par les variables explicatives du milieu. Elle repose la plupart du temps sur une caractérisation analytique du milieu dans le sens où il s'agit de l'ensemble des variables quantitatives et qualitatives du milieu, telles que les variables liées à la topographie, à la pédologie, au climat, etc. Ce type d'approche est largement utilisé pour les peuplements irréguliers (Lejeune,1994) mais également pour les peuplements réguliers (Seynave et al. 2006). Par exemple, Seynave et al. (2006) ont étudié les facteurs du milieu qui déterminent la production potentielle du hêtre en France. Basé sur plus de 800 placettes relevées par l’Inventaire Forestier National (IFN), ils ont mis en relation les conditions climatiques et le sol, d’une part, et la production potentielle, d’autre part.

La deuxième approche, appelée dendrométrique, privilégie une caractérisation synthétique du milieu, associant à chaque type de station, un indice de productivité, ou de fertilité moyenne. La productivité est la mesure la plus pertinente de la production mais difficile à mesurer alors que la fertilité est une mesure indirecte de la production mais facile à mesurer (voir plus loin dans le fondement théorique de l’indice de fertilité). Par conséquent, l’approche dendrométrique consiste le plus souvent à attribuer à chaque station un indice de fertilité défini comme étant la hauteur dominante, atteinte par le peuplement à un âge de référence, ou bien, en admettant une asymptote horizontale, la hauteur maximale atteinte. L’indice de fertilité constitue l’approche la plus simple, la plus souvent utilisée pour les peuplements réguliers, et la plus connue en foresterie.

Indice de fertilité, fondement théorique

Idéalement, la qualité de la station doit directement être mesurée par sa productivité. Cette méthode fonctionne bien en agriculture. En revanche, en foresterie où on a des révolutions très longues, la mesure directe d’un indice de productivité n’est généralement pas possible (Franc et Houllier, 1989). A défaut de cette possibilité, la loi de Eichhorn légitime une autre approche de l’évaluation de la qualité stationnelle en foresterie. Il s’agit d’une approche largement utilisée et bien connue en foresterie ; l’indice de fertilité. Avant d'expliquer cette méthode, faisons un petit rappel sur la loi de Eichhorn :

Dans sa formulation originelle, Eichhorn a établi que le volume sur pied (et non la production totale) des peuplements normaux (hyper denses), équiennes, monospécifiques et génétiquement homogènes était corrélée à la hauteur moyenne des arbres (et non la hauteur dominante), indépendamment de l’âge et de la station (Houllier, 1994, Franc et al. 1995, Dhôte, 2002). A l'origine, cette loi est définie dans une région climatique homogène, pour une essence donnée et pour un type de sylviculture bien déterminé (peuplement hyper dense conduit avec des éclaircies faibles ou sanitaires par le bas). Divers travaux ultérieurs ont permis de constater que cette loi s'applique à d'autres peuplements réguliers ou homogènes denses, et qu'elle pouvait être étendue à d'autres variables que le volume sur pied, telles que la surface terrière, la production cumulée, le diamètre moyen, mais toujours en fonction de la hauteur moyenne, indépendamment de l'âge et de la station (Gehrardt, 1909, Mohler, 1945, Johnson, 1967 et Bartet et Pleines, 197215).

Divers travaux ultérieurs ont également permis de constater que la qualité de la relation production-hauteur moyenne peut être améliorée en remplaçant la hauteur moyenne par la hauteur dominante, car la hauteur dominante est moins sensible à la sylviculture du peuplement, que la hauteur moyenne. Cependant, en toute rigueur, la liaison entre production totale en volume et hauteur dominante est certes indépendante de l'âge et de la fertilité, mais non de la sylviculture.

Par extension, selon la littérature, cette loi s'applique également dans une large gamme de sylvicultures (ayant souvent une densité supérieure à 0,5 en termes de RDI) pour tous les peuplements équiennes, monospécifiques et génétiquement homogènes. La forme actuelle de cette loi se définit comme suit: ''

dans une région climatique homogène, pour une essence donnée et

pour une large gamme de sylvicultures (peuplements pleins), la production totale en volume d'un

peuplement équienne, monospécifique et génétiquement homogène ne dépend que de la hauteur

dominante du peuplement quel que soit l'âge et la station

'' (Franc et Houllier, 1989). La figure 1.2 présente schématiquement la loi de Eichhorn.

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Figure 1.2 : Courbes hauteur dominante-âge, production en volume-âge et courbe schématique de la loi de Eichhorn pour trois classes de fertilité (d’après Dhôte, 2002).

Le graphique de gauche et de droite de la figure 1.2 présentent respectivement l'évaluation de la qualité stationnelle par la hauteur dominante et la production. Le graphique au centre présente la loi de Eichhorn pour trois classes de fertilités (faible, moyenne et riche). On s'aperçoit, sur le graphique au centre, que la relation entre la production du peuplement et sa hauteur dominante est indépendante de la l'âge et de la station. Ainsi, dans un large intervalle de densité, la hauteur dominante est une mesure indirecte de la production du peuplement depuis son origine (Franc et Houllier, 1989). En revanche, à la différence de la production totale en volume, la hauteur dominante est une grandeur facile à mesurer. Ainsi, il est possible d’évaluer la qualité stationnelle par la hauteur dominante, plutôt que par la production totale.

L’indice de fertilité se fonde donc sur les trois principes suivants :

- La production est la mesure la plus pertinente de la qualité de la station, mais reste difficile à mesurer.

- Dans un large intervalle de sylviculture, il est possible d’étudier séparément les effets de la sylviculture et de la station, sur la production.

- La hauteur dominante est une mesure indirecte de la production, mais facile à mesurer.

Ainsi, dans les peuplements réguliers, l’indice de fertilité constitue l'approche la plus simple et la plus souvent utilisée de l’évaluation de la qualité stationnelle. Cette approche postule que la sous-population des plus gros arbres d’un peuplement, appelée "dominantes", est invariante par rapport à la sylviculture et intègre les facteurs stationnels. C’est pourquoi les arbres dominants ont été appelés les arbres stationnels ("site trees") dans le sens où ils intègrent et mesurent la qualité stationnelle.

Indice de fertilité, méthodes d’estimation

L’évaluation de la qualité stationnelle par l’indice de fertilité consiste à établir des modèles de croissance en hauteur dominante en fonction de l’âge, modèles qui rendent compte de la

variabilité des courbes de croissance selon la station. Pour chaque couple espèce-région, la forme générique de ces modèles est la suivante (Houllier, 1994) :

[

, ( )

]

100 fh t station

H = θ (1.17) avec

H100 : Hauteur moyenne des 100 plus gros arbres à l'hectare

f h : Fonction de type sigmoïde

t : Age du peuplement

θ : Vecteur de paramètres supposés dépendre de la station, pour une essence et une région donnée

C’est le vecteur θ qui rend compte de l’effet de la station sur la croissance en hauteur. Il existe deux hypothèses sur la dimension du vecteur θ. La première consiste à considérer que l’étude de la variabilité des courbes de croissance en hauteur dominante, en fonction de la station, peut être ramenée à l'étude de variabilité d'un seul paramètre, comme l’indice de fertilité. Sous cette hypothèse, il est possible d’évaluer la qualité de toutes les stations d’une espèce quelconque, par un faisceau de courbes uniformes de croissance en hauteur, étagées suivant leurs indices de fertilité. Cette hypothèse simplificatrice est souvent appelée monomorphisme des courbes hauteur dominante-âge. Elle est largement utilisée et validée en foresterie (Franc et Houllier, 1989). Cependant, elle est parfois contredite par l'expérience (Dhôte, 1987). Par exemple, selon Houllier (1986) pour l'ensemble des peuplements résineux du Rhône, la variation stationnelle influence non seulement l'indice de fertilité mais aussi plus fortement la vitesse de croissance à l'origine, et la forme de la courbe de croissance en hauteur dominante. Ainsi, la deuxième hypothèse considère que la variabilité stationnelle affecte à la fois, le niveau (indice de fertilité) et la forme, des courbes hauteur dominante-âge. Cette hypothèse est souvent appelée polymorphisme des courbes hauteur-âge. Peu fréquente, elle complexifie et limite l’emploi de l’indice de fertilité. Par conséquent, la plupart des études sur la croissance en hauteur, et l’évaluation de la fertilité, se fonde par expérience ou par commodité, sur l’hypothèse de monomorphisme. De ce fait, on réduit la variabilité stationnelle des courbes de croissance en hauteur dominante à un seul paramètre scalaire qui est souvent un paramètre déterminant la hauteur maximale (en admettant une asymptote supérieure horizontale) ou le niveau relatif des courbes, à un âge de référence (en admettant une asymptote supérieure oblique) (Franc et Houllier, 1989). Sous les deux hypothèses de monomorphisme et de l’existence d'une asymptote horizontale pour les courbes de croissance en hauteur, les modèles classiques de croissance tels que modèle de Maugé, Chapman-Richards et celui de Lundqvist-Matern intègrent la fertilité comme le paramètre asymptotique Hmax. Ainsi, suivant le type de données et la méthode

statistique utilisée, les modèles de croissance en hauteur dominante, et donc l’indice de fertilité, peuvent être construits et ajustés par plusieurs approches (Carmean et al. 1989, Franc et Houllier, 1989).