• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE I : REVUE DE LITTÉRATURE SUR LES DÉTERMINANTS DU RECOURS AUX SOINS

I. 2.4 Relation entre recours aux soins prénatals et recours à l’accouchement assisté

Les soins prénatals sont supposés promouvoir, selon différents mécanismes, le recours à l’accouchement assisté (Bloom et al. 1999). Premièrement, plusieurs études ont démontré que la qualité des services reçus accroit les chances d’utilisation de ses services (Akin et al. 1995; Haddad et al. 1998b; Lindelöw and Wagstaff 2001). Dans le domaine des soins prénatals, à un certain degré, la qualité peut être approximée par le contenu des

services reçus (Bloom et al. 1999). Ce contenu fait référence globalement à l’examen pour évaluer les facteurs de risques, à la fourniture d’information nécessaire aux femmes sur la grossesse, les complications et sur les préparatifs de l’accouchement, ainsi qu’au traitement d’éventuels problèmes ou complications (Bloom et al. 1999; Zanconato et al. 2006; Nikiema et al. 2009). Nikiéma et al. (2009) montrent ainsi que les femmes qui ont été sensibilisées sur les complications de grossesse lors de leur recours aux soins prénatals ont 35% plus de chances d’accoucher dans une formation sanitaire. Les résultats similaires sont obtenus au Mexique et en Inde, où une augmentation du contenu des soins prénatals s’accompagne d’un plus grand recours à l’accouchement assisté ou dans une formation sanitaire (Ram and Singh 2005; Barber 2006).

Deuxièmement, la consultation prénatale offre aux femmes la possibilité de se familiariser avec les systèmes de santé moderne ainsi qu’avec le personnel de soins, facilitant donc leur accès et réduisant les « coûts psychologiques » de leur utilisation future (Bloom et al. 1999; Barber 2006; Ahmed et al. 2010). Enfin, les soins prénatals peuvent créer des habitudes chez la femme, dans le sens où une femme qui recourt souvent aux soins prénatals peut difficilement se passer des services d’un personnel qualifié (Zerai and Tsui 2001).

Une série d’expériences randomisées (Cluster-Randomized Controlled Trial) menée au Bangladesh (Baqui et al. 2008; Azad et al. 2010; Darmstadt et al. 2010), en Inde (Kumar et al. 2008; Tripathy et al. 2010), au Népal (Manandhar et al. 2004) et une en implémentation au Malawi (Lewycka et al. 2010)8 ont donné des résultats mitigés de l’effet des soins prénatals (préparation à l’accouchement réalisée à la maison ou en groupe) sur le recours aux consultations prénatals ou sur l’accouchement assisté9. Dans ces études, la qualité des expérimentations est assez bonne avec moins de 10% d’attrition. Baqui et al. (2008) évoquent cependant dans leur étude la possibilité de contamination entre les individus/zones traité(e)s et de contrôles à cause de la participation des

8

Les résultats de cette dernière étude ne sont pas encore disponibles et ne seront donc pas traités ici. 9

Rappelons que le recours aux soins prénatals et le recours à l’accouchement assisté constituent pour l’ensemble de ces études un outcome secondaire dont le but premier est d’analyser l’effet des interventions éducatives en santé maternelle sur la mortalité néonatale (décès au cours des 28 premiers jours).

populations à la même mosquée, ou à cause de la contiguïté des zones de contrôle et d’intervention. Ces problèmes ne sont pas révélés dans les autres études.

Les résultats issus de ces expérimentations montrent que dans quatre études sur six (Manandhar et al. 2004; Baqui et al. 2008; Kumar et al. 2008; Darmstadt et al. 2010), les programmes ont pu engendrer une augmentation du recours aux soins prénatals : les risques relatifs (RR) estimés allant de 1,3 à 2,8 (Kumar et al. 2010). Les résultats concernant le recours à l’accouchement assisté sont par contre plus modérés puisque, dans seulement deux études sur cinq (Manandhar et al. 2004; Darmstadt et al. 2010) et une étude sur trois (Manandhar et al. 2004), avons-nous constaté une augmentation respectivement de l’accouchement dans une formation sanitaire (RR de 1,2 et 3,5), ou auprès d’un personnel qualifié - RR = 3,5 (Kumar et al. 2010).

Quelques remarques peuvent être formulées à la suite de ces expérimentations. D’une manière générale, la participation aux programmes éducatifs en santé maternelle n’entraîne pas automatiquement des changements de comportements chez les femmes (Aboud and Singla 2012). Il faut en plus que certaines conditions soient réunies en ce qui concerne notamment la qualité de ces programmes et la prise en compte des contraintes structurelles et normatives dans le milieu. Baqui et al. (2008) ont montré à cet effet une influence plus incisive des programmes tournés vers l’individu, jugés de plus grande qualité que les programmes de groupe. À la fin de leur expérimentation, ils ont trouvé que 72% des femmes qui ont participé à la formation à la maison ont eu au moins une consultation prénatale, contre 62% chez les femmes qui ont eu des formations de groupe et seulement 49% dans le groupe de contrôle (aucune formation). Pour leur part, Azad et ses collègues (2010) expliquent les échecs de leur expérimentation entre autres par les normes de genre défavorables aux femmes quant à leur participation aux groupes de formation et à leur recours aux soins. Ils évoquent aussi les conditions climatiques qui les ont empêchés d’atteindre plus efficacement les populations.

Par ailleurs, si les expérimentations sont utiles pour estimer l’effet d’un programme en l’absence des problèmes méthodologiques (variables confondantes et biais d’endogénéité), elles ne permettent pas toujours de tirer des conclusions sur l’efficacité ou non d’un programme quand celui-ci vient à être implanté dans la population générale

(Azad et al. 2010). Autrement dit, ce n’est pas parce qu’une expérimentation a fonctionné dans un projet pilote que le programme en question donnera des résultats escomptés une fois élargie à l’ensemble de la population (Babalola and Kincaid 2009). En d’autres termes, en situation non contrôlée, la fidélité de traitement serait réduite. Une des raisons est qu’il n’est pas évident que toutes les caractéristiques des participants sont bien contrôlées au cours du projet pilote (Babalola and Kincaid 2009; Aboud and Singla 2012). De plus, dans le cas particulier des expérimentations qui nous concernent et qui portent toutes sur les pays d’Asie du Sud-Est où le niveau de mortalité maternelle et infantile est plus faible que dans la plupart des pays africains, il est difficile de tirer des conclusions de l’effet qu’auront de tels programmes sur le recours aux soins en Afrique. Leur validité externe peut être limitée. Citant d’autres raisons dont les problèmes de contamination, de disponibilité de groupe de contrôle, de validité externe, de coûts et de questions éthiques qui rendent difficiles le recours aux expérimentations, Babalola et Kincaid (2009) estiment que les expérimentations ne donnent pas toujours de meilleurs résultats que les autres méthodes d’évaluation comme les approches économétriques (voir aussi Heckman 2008).

En recourant à des analyses économétriques sur des données transversales, les résultats de plusieurs études réalisées dans différents pays indiquent souvent un effet positif de l’utilisation des soins prénatals sur le recours à une assistance formelle lors de l’accouchement (Bloom et al. 1999; Barber 2006; Rani et al. 2008; Nikiema et al. 2009; Rockers et al. 2009). Barber (2006) a relevé dans ses travaux que la fréquence de recours aux soins prénatals a un effet positif sur l’accouchement médicalisé au Mexique; un résultat confirmé dans d’autres études menées au Burkina Faso par de Allegri (2011) et dans une vingtaine de pays d’Afrique au sud du Sahara par Nikiema et al. (2009) . De plus, les travaux de Stephenson et al. (2006) dans six pays africains, de Gage (2007) au Mali et de Sepehri (2008) au Vietnam valident ces résultats dans le cadre des modèles multiniveaux.

Ces résultats sont à prendre avec précaution du fait que le recours aux soins prénatals n’est pas une variable indépendante comme les autres, car elle est intimement liée à la variable dépendante du recours à l’accouchement assisté (Gabrysch and

Campbell 2009). Ces deux recours peuvent se comprendre comme les deux extrêmes d’un continuum d’utilisation des services de santé que la femme entreprend et qu’elle ajuste au fur et à mesure des réponses qu’elle reçoit du prestataire, de son entourage et de ses propres espérances. De ce fait, il n’est pas possible de comprendre l’effet du recours aux soins prénatals sur le recours à l’accouchement assisté si on ne tient pas correctement compte de cette simultanéité et des interrelations entre les deux phénomènes. L’estimation de l’effet des soins prénatals sur le recours à l’accouchement assisté demande dès lors de faire appel à des méthodologies appropriées pour une étude à partir de données transversales, afin de faire face aux problèmes qu’évoque une telle relation (Babalola and Kincaid 2009). Nous décrivons ces approches méthodologiques dans le chapitre IV et au chapitre VII, une estimation est proposée sur la base des données du Ghana, du Kenya, de l’Ouganda et de la Tanzanie.

I.3- Limites des précédentes études