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Ce chapitre est un passage obligatoire pour comprendre les dynamiques sociales qui existent au sein de la tribu. Ces dynamiques sont expliquées pour permettre de mieux comprendre la place de l’homme dans son environnement (il est un élément qui fait partie d’un tout) et vont de la relation de l’homme avec la nature, en passant d’abord par son éducation et allant jusqu’à la relation aux autres et à lui- même. Cela nous permet ainsi d’entrevoir les interactions et les impacts qu’entretient le kanak avec son territoire.

III – 1 Une relation horizontale

La notion présentée sur ce schéma est appelée le ribosome. Ce schéma est inspiré du « Livre des grands changements73 » de Mikael Krogerus et Roman Tschäppeler. L’idée de la représentation du

ribosome est utilisée uniquement pour essayer de montrer une vision de la culture kanak et de l’éducation de base que va recevoir un enfant, et comment ce dernier se placera par rapport à son environnement (naturel, culturel et personnel). Il montre les différentes relations influençant l’individu kanak. C’est un moyen de montrer de façon claire et précise les tendances quant à l’éducation du kanak dès sa naissance, et illustrer ainsi les « dires » du chef de clan.

73 Mikael Krogerus & Roman Tschäppeler, « Le livre des grands changements, 50 modèles pour comprendre les changements de notre société

Figure 15 : Exemple de ribosome montrant l'individu par rapport à plusieurs facteurs qui pourront l'influencer dans sa vie en tribu.

III – 1.1 Une relation liée aux valeurs, aux totems et aux esprits

Selon le chef de clan, dès la naissance de l’enfant, on lui inculque plusieurs notions importantes de la culture kanak, à savoir les valeurs, la nature et les esprits. On peut dire que ces notions corroborent le mythe qu’évoquent dans leurs œuvres Eric Rau, Maurice Leenhardt, Michel Naepels, etc. Ces trois notions de base sont prépondérantes et vont l’influencer tout au long de sa vie (éducation ancestrale sans l’influence du système occidental, attaché à la société de consommation et du bien-être individuel). Selon le chef de clan, les relations liées à l’invisible existent, car on éduque le nouveau-né sur ces principes. Cette relation à l’invisible est également approfondie par Maria Isaura Pereira de Queiroz, dans la préface de Do Kamo74 où elle cite « au cadre de leur vie un décor où ils lisent dans un

langage des formes les certitudes dont leur esprit s’assure, celle de la présence des invisibles et de leur communion avec eux ».

III – 1.1.1 Une éducation basée sur les valeurs

Les valeurs sont la base la plus importante de l’éducation dans le système kanak. On retrouve deux valeurs75 importantes : le respect et l’humilité. Dans le respect, l’individu va apprendre à respecter tout

ce qui existe, du minéral à l’humain, en passant par le végétal. Selon le chef de clan, tout ce qui provient de la terre a une essence et existe. Ainsi, dans la société kanak, les minéraux, les arbres, les animaux, la terre, le creek, la mer, etc. vivent et font partie de son environnement. Ses semblables humains sont aussi respectés d’où la grande tendance du monde kanak à respecter les anciens (les aînés).

Ce respect des anciens provient également de ce que Maurice Leenhardt nomme comme le culte des ancêtres76. On retrouve parfois sur les terres en tribu des crânes cachés, mais soigneusement

disposés où dans l’ancien temps, les kanak allaient prier leurs anciens afin de leur demander la force nécessaire pour accomplir leurs travaux.

À partir de la prise de conscience du monde qui l’entoure, le kanak va intégrer la notion d’humilité. Il apprendra à honorer et à respecter la nature, les esprits et les totems, mais aussi la terre qui le porte, le nourrit, et le fait grandir. Il ne verra pas son environnement comme un espace à conquérir et à dominer, mais plutôt un espace où vivre et évoluer dans le respect et l’harmonie de ses croyances. Les valeurs sont des notions purement liées à l’éducation.

Ces notions de valeurs apportent une composante purement subjective à son regard sur l’environnement et inversement. Cela lui permettra de vivre selon ses traditions et d’affirmer son identité. Les valeurs sont les bases inculquées à un enfant pour lui permettre de grandir et de vivre dans un environnement déjà organisé et maîtrisé par ses semblables et par la « coutume ».

III – 1.1.2 Le totem et les esprits

Le totem est considéré comme l’essence même de la création d’une famille ou d’un clan, ceci est rappelé dans les travaux de Maurice Leenhardt et Eric Rau. Parfois de forme animale, végétale, parfois un relief dans le paysage, un phénomène météorologique, etc., le totem permet à des clans et à des familles de s’identifier à leurs ancêtres communs, et d’en faire le récit des jours de genèse aux jours les plus récents.

75 Ses valeurs ont été formulées dans la 9e déclaration de la « Charte du Peuple kanak, Socle commun des valeurs et Principes fondamentaux

de la Civilisation Kanak » en 2013. Dans le Chapitre I « Valeurs fondamentales de la civilisation kanak », on déclare que : « Les valeurs de respect, d’humilité et de fierté permettent à chacun, à chaque famille, à chaque clan de se situer à l’intérieur de son groupe, dans ses deux systèmes relationnels paternels et maternels, dans sa chefferie et dans le discours inter-générationnel et généalogique ».

Le totem est vu comme l’entité invisible spirituelle la plus importante dans la société kanak, c’est grâce à lui que l’homme va retirer sa force et son identité. Chaque kanak possède un totem précis sur lequel sa vie est basée et orientée. Le totem est respecté, vénéré mais aussi redouté et craint. Par exemple, des familles possédant le requin pour totem, ne le chasseront pas pour le manger, mais plutôt, le vénèreront comme l’un des leurs. Dans cette même famille, le défunt reprendra la forme de son totem pour rejoindre les siens dans l’autre monde. Un autre animal totémique comme le lézard sera vénéré et respecté. Par exemple, lors de la création d’un champ, on construira un chemin en zigzag pour le lézard, afin qu’il y vienne pour le succès de la fécondité77.

Dans certains cas, le totem peut aussi être un événement climatique comme le tonnerre, un élément du ciel comme le soleil, ou encore un lieu, comme le lieu de naissance du clan. Souvent, le clan s’appropriera le nom de ce lieu pour se rappeler d’où il vient.

Une autre entité invisible parallèle au totem est l’esprit78. Dans le système traditionnel, les Kanak

pensent que la forêt, l’eau, la terre, etc. sont habitées par des esprits ou génies et qu’ils vivent avec eux. Parfois des sècheresses longues, une mauvaise chasse, une mauvaise récolte, etc. sont interprétées comme la colère de ces esprits. Souvent, avant d’aller chasser, pêcher, etc. des cérémonies peuvent être accomplies pour demander la bénédiction de ces êtres (les totems et les esprits).

III – 1.2 Une relation liée à la Nature, aux autres et à lui-même

Ici, il est important de souligner la différence perçue par le chercheur et les faits présentés par les différentes recherches effectuées lors des lectures sur la notion de l’ancien kanak et du kanak moderne (à cheval entre le monde occidental et tribal). Ce n’est pas une vérité, juste un constat sur une perception différente entre un monde coutumier ancien et celui vécu et perçu par le monde coutumier d’aujourd’hui.

III – 1.2.1 La Nature

Dans cette notion, l’enfant est éduqué pour prendre conscience que tout ce qui l’entoure vit et joue un rôle important dans son évolution. Maurice Leenhardt utilise le mot cosmomorphique79 pour rappeler ce

lien où l’homme est un élément de la nature et qu’il vit avec elle. Ainsi avec cette éducation, un lézard

77 Maurice Leenhardt, Do Kamo, Gallimard, 1947, p. 126.

78 Eric Rau, Institutions et coutumes canaques, L’Harmattan, 2005, p. 29.

Eric Rau rappelle les travaux de R.P Lambert sur la croyance des kanaks concernant les totems, esprits et divinités (P.Lambert, op.cit., p. 41.)

79 Maurice Leenhardt affirme que le mélanésien n’a pas un point de vue anthropomorphique sur la Nature mais plutôt il cite « Quand l’homme vit

dans l’enveloppement de la nature, et ne s’est pas encore dégagé d’elle, il ne se répand pas dans celle-ci, mais il est envahi par elle, et c’est au travers d’elle qu’il se connaît.»

peut être perçu comme un totem (interdiction de le toucher, de le déranger, etc.), un sapin sur la montagne peut marquer une limite entre deux clans ou encore être considéré comme tabou (interdisant ainsi de s’en approcher et obligeant de le respecter). On peut énumérer quelques exemples de lieux tabous possibles comme des forêts sacrées, des lieux de sépulture, des embouchures, des grottes, etc. C’est grâce à l’éducation reçue lors de son enfance, que l’individu pensera que toute forme sur terre vit.

De plus, Maurice Leenhardt souligne ce lien80 entre Homme et Nature. On le retrouve dans les langues

kanak et on peut citer : le mot « kara » qui signifie peau et écorce, « piè » qui signifie le muscle et le noyau du fruit, « ju » qui signifie les os longs et courts ainsi que le cœur du bois ou les débris de coraux. On remarque donc que ce lien entre l’Homme et la Nature est aussi transposé dans le langage. La relation la plus objective que l’on peut percevoir entre l’Homme et la Nature est le lien qui lie le kanak à l’igname. Ce lien est expliqué par Maurice Leenhardt dans le cycle de l’igname81 mais aussi

dans le livre d’Alain Saussol82 qui évoque cette relation de l’homme à la terre par la genèse de

l’Homme, à l’image de la reproduction des plantes. Pour simplifier, c’est la projection de l’existence de l’Homme sur la croissance de l’igname. Une ancienne igname mise en terre, va être nourrie par la terre des ancêtres pour donner de nouvelles pousses d’ignames, qui vont fortifier la chair et vivifier le corps des Hommes. Maurice Leenhardt exprime aussi que « ce sentiment profond qu’il éprouve de son identification avec la Nature lui confirme que ce cycle correspond à la réalité ».

On peut trouver d’autres liens de relations entre le Kanak et la Nature (végétaux, éléments physiques, etc.), mais parfois, ce sont aussi des interdits dans la vie quotidienne qui lient l’homme à la nature. Par exemple, l’interdiction de consommer les crevettes fraîchement pêchées, de faire un feu au bord du creek (pour limiter les feux de brousse), ou encore de rentrer avant le coucher du soleil (car c’est le moment où les esprits sortent), etc. Ce sont plusieurs interdits liés à l’environnement et à la nature qui influencent depuis des centaines d’années la société traditionnelle kanak.

L’existence des totems et des esprits au sein de la communauté kanak jouent un rôle important dans leurs croyances. Les totems, les esprits et la nature ne font qu’un dans la société kanak.

80 Maurice Leenhardt, Do Kamo, Gallimard, 1947, p. 61. 81 Maurice Leenhardt, Do Kamo, Gallimard, 1947, p. 124.

82 SAUSSOL, Alain. L’héritage : Essai sur le problème foncier mélanésien en Nouvelle-Calédonie. Nouvelle édition [en ligne]. Paris : Société des

III – 1.2.2 Une relation liée àl’Homme

Toujours à l’aide du ribosome présenté au début de cette partie, nous associons en second lieu l’individu à ses semblables et enfin à lui-même. Dans une autre mesure, on peut comprendre que chaque individu de la société kanak vivra aussi les mêmes influences marquées dans ce ribosome. III – 1.2.2.1 Une relation liée aux autres

Ce sont les valeurs acquises dans son éducation qui permettent au kanak de se placer dans une société où chacun joue déjà un rôle. Grâce à l’éducation qu’elle a reçue, cette personne va se placer en fonction des dynamiques existantes. Chaque personne est vue comme une entité à part entière complétant la famille et son clan. Maurice Leenhardt rappelle ce lien83 aux autres : « Le mélanésien est

attaché par toutes les fibres de son être à son groupe, il ne vaut que par lui et par la place précise qu’il y occupe. Il est qualifié par cette place, il n’a pas de réalité que par elle et le rôle qui lui est attaché. Il est un des personnages du grand jeu du groupe. Et ce jeu est celui qui doit assurer la perpétuation du groupe et sa gloire. »

Lors des travaux au sein du clan liés aux mariages, aux décès, à la création de cases, à la mise en place de champs d’ignames, etc., l’individu participera au travail pour le bien de la communauté. Ses semblables ont également les mêmes intentions que lui, les plaçant en fonction de ceux qui existent déjà dans la communauté.

Dans le système occidental cette vision peut être perçue de façon négative84, pourtant dans la société

kanak, cette vision est plus que bien perçue. L’individu est éduqué à ne pas penser à son bien-être personnel, mais d’abord à celui de sa communauté. Il n’est pas le seul à penser à son bien, car ses semblables vivent et pensent de la même façon. Ainsi, même s’il n’est pas son propre bienfaiteur, quelqu’un dans son clan le sera pour lui. Comme lui, est le bienfaiteur de quelqu’un d’autre. C’est une roue d’échange plaçant son prochain avant lui.

III – 1.2.2.2 Une relation avec soi même

Au final, la vision que le Kanak a de lui-même dans le système traditionnel se place en fin des relations qu’il a avec son environnement (voir ribosome en début de partie). Pourtant Maurice Leenhardt dans

83 Maurice Leenhardt, Do Kamo, Gallimard, 1947, p. 167.

84 Perception négative dans le sens où dans le système occidental, on doit travailler pour soi afin de gagner de l’argent et être indépendant. On

pourrait dire qu’il y a moins de collectivisme ou de communautarisme en ville qu’en tribu. En tribu, on ne vit pas indépendamment des autres mais avec les autres et que les résultats des travaux effectués (création de champs d’ignames, taros, pêche et chasse collective, etc.) sont pour la famille ou le clan. C’est dans cette mentalité d’échange que cette relation est perçue dans le système coutumier.

Do Kamo affirme85 que si le Kanak reconnaît que son corps et lui ne font qu’un, il y a un abîme. C’est

intéressant de voir qu’il y a une évolution dans la mentalité et dans les façons de faire des kanak d’antan et d’aujourd’hui. Dans le monde actuel, le Kanak moderne86 doit faire un compromis entre sa

vie en tribu et sa vie en ville où richesses culturelles et religions ont apporté d’autres besoins et envies. Cependant dans le système kanak la personne pourra juger de sa valeur et de sa force en fonction des travaux accomplis pour ses pairs au sein de la tribu. Des travaux sont faits par le kanak parce qu’il occupe une place précise au sein du groupe. Ceci est courant dans le monde kanak et cette vision a perduré depuis des centaines d’années durant lesquelles chaque membre du clan travaillait pour sa communauté. C’est un fait qui a existé durant l’âge féodal en Europe avec les seigneuries et les paysans. Aujourd’hui dans certains endroits reculés des mégalopoles, on trouve des communautés travaillant ensemble pour le bien de la communauté.

Pour le chef de clan, la vision de soi-même est la première influence existante dans le système occidental (on devrait inverser le ribosome et placer le ‘’soi-même’’ avant les valeurs, les autres, etc.). C’est pour lui, l’une des grandes différences à connaître pour mieux comprendre la vision culturelle kanak. Selon le chef de clan, cette éducation traditionnelle est en perte de vitesse dans la société kanak actuelle. Elle est due à un manque de transmission des aînés auprès des jeunes et d’un afflux de ses jeunes vers la ville. Une grande partie de la délinquance calédonienne est constituée de jeunes kanak de 15 à 25 ans en manque de repère.

Pour lui, cette volonté de penser aux autres avant soi-même est l’une des pierres angulaires de la mise en place des familles dans la tribu de Wan Pwec, et cela depuis des années, bien avant sa naissance.

III – 2 Un système foncier coutumier basé sur une hiérarchie

verticale

Tout d’abord, avant d’expliquer la hiérarchie verticale, nous allons reprendre quelques concepts (ou voir lexique à la fin du mémoire) concernant le clan, la famille, le chef de famille, le chef de clan, le petit chef puis le grand chef. Dans un premier temps, il faut savoir que le clan représente le regroupement d’une ou plusieurs familles ayant un ancêtre commun, un totem commun, etc. expliquant sa genèse. La famille va regrouper plusieurs individus portant le même nom de famille et se rattachant donc à un clan. Le chef de famille, comme on l’a vu dans les parties précédentes de ce mémoire, il est souvent l’ainé de la famille et c’est en lui que revient la gestion de son groupe familiale et de la terre. C’est

85 Maurice Leenhardt, Do Kamo, Gallimard, 1947, p. 70.

86 Kanak moderne dans le sens où il vit également avec une coutume mais une coutume qui s’est adapté au contexte social moderne

exactement le même rôle pour le chef de clan qui lui est aussi l’ainé, dont le but est de gérer son clan. D’un point de vue hiérarchique, il est au dessus des chefs de famille. Ensuite, nous avons le petit chef qui lui a pour rôle de gérer l’ensemble des clans vivant au sein de la même tribu. Il est au-dessus du chef de clan. Et enfin, nous avons également le grand chef qui lui a pour rôle de gérer dans son district l’ensemble des tribus qui la composent. Dans l’ordre hiérarchique de bas en haut, nous avons le chef de famille, le chef de clan, le petit chef puis le grand chef.

La figure 16 suivante montre comment l’organisation de la tribu est faite pour la gestion du foncier. Pour expliquer ce schéma, nous allons partir de la base vers le sommet.

Tout d’abord, les différentes familles possèdent à la base un terrain déterminé par le chef guerrier d’antan. L’aïeul montre au chef de famille les limites qu’il va acquérir pour les partager avec les siens. Aujourd’hui, si un individu dans la famille kanak moderne veut s’installer, il n’aura qu’à demander à son chef de famille qui le placera sur le terrain familial et non au chef de clan. S’il ne peut pas gérer certaines demandes particulières, le chef de famille est le référent pour relayer l’information auprès du chef de clan, pour toutes les demandes de ses membres. Par exemple, s’il n’y a plus de place sur le terrain familial, l’individu pourra par l’intermédiaire de son chef de famille, demander au chef de clan l’autorisation de construire sur la réserve tribu87.

Figure 16 : Schéma montrant la hiérarchie existante sur la gérance du foncier dans la tribu de Wan Pwec. Dans la hiérarchie, nous trouvons ensuite le chef de clan qui est au-dessus des chefs de famille. Le chef de clan est le garant de la légitimité de chaque famille sur la partie des terrains qu’elle possède. Il

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