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V – 1 Les limites cadastrales dans la tribu de Wan Pwec

Dans cette partie du travail de recherche, nous avons voulu savoir s’il existait bien une limite cadastrale sur la tribu de Wan Pwec, ce qu’elle pouvait représenter pour les habitants de la tribu et s’il y avait interaction avec elle.

Figure 26 : Carte des limites cadastrales dans la tribu de Wan Pwec obtenue à partir de l'importation de la donnée du GEOREP dans ArcMAP.

V – 1.1 Description du cadastre sur Wan Pwec

Tout d’abord le cadastre affiché sur cette carte provient du site géorep. Le géorep est le catalogue officiel en Nouvelle-Calédonie. Les phases explicatives pour l’afficher sur ArcMAP sont expliquées dans la partie « II – 9.7 Évaluation et détermination de la portée des systèmes de gestion foncière ». Il existe trois types de fonciers en Nouvelle-Calédonie : la propriété privée, les terres coutumières et les domaines des collectivités publiques. Nous avons expliqué en introduction, les caractéristiques des terres coutumières et leurs caractères attachés au « 4i ».

Sur la figure 26, nous voyons les limites cadastrales existantes dans la tribu de Wan Pwec. Nous avons donc la limite communale, la limite des sections et la limite des parcelles actives. Les sections cadastrales sont des zones à l'intérieur d'une commune qui définissent un référentiel pour la numérotation des parcelles. Elles sont généralement dessinées et nommées par rapport à un bassin versant, un lieu dit ou une zone à vocation agricole ou urbaine. Elles permettent de localiser plus facilement une parcelle. Ensuite, les parcelles actives sont les parcelles officielles du cadastre, elles sont associées à un ou plusieurs propriétaires et un titre de propriété. On les distingue des parcelles passives qui n'existent plus parce qu'elles ont été divisées et vendues par petits morceaux dans une opération de lotissement par exemple. Et aussi des parcelles projets, qui n'ont pas encore fait l'objet d'une mutation, mais dont la numérotation a déjà été traitée par le bureau du cadastre (on les appelle les parcelles DNNC (Demande de Nouveaux Numéros) et CD (Certificat de Dépôt) dans le système cadastral calédonien.

Pareillement, dans cette partie, nous expliquerons uniquement la propriété privée et les domaines des collectivités publiques établis par la loi organique de la Nouvelle-Calédonie. Le domaine de la collectivité publique est régi par les articles 43 et 44 :

Article 43 - Loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999

« L’État, la Nouvelle-Calédonie, les provinces et les communes exercent, chacun en ce qui concerne, leur droit de propriété sur leur domaine public et leur domaine privé. »

Article 44 - Loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999

« Le domaine de la Nouvelle-Calédonie comprend notamment, sauf lorsqu’ils sont situés dans les terres coutumières : les biens vacants et sans maître, y compris les valeurs, actions et dépôts en numéraire atteints par la prescription prévue pour l’État, ceux des personnes qui

décèdent sans héritier ou dont les successions ont été abandonnées. Il comprend, également sous réserve des droits des tiers et sauf lorsqu’ils sont situés sur les terres coutumières, les cours d’eaux, lacs, eaux souterraines et sources. »

À la lecture de ces articles, on comprend que les domaines sont la compétence de l’État, de la Nouvelle-Calédonie, des provinces (Nord, Iles et Sud) et des communes. Toutefois, si ces domaines sont en terres coutumières, ils seront assujettis à l’article 18 de la loi organique (article régissant les terres coutumières).

Dans la tribu de Wan Pwec, on trouve plusieurs parcelles décrites sur les attributs suivants : le n° de lot, le lotissement, la section, la superficie et le numéro d’inventaire (NIC). Grâce au site SIG Cadastre

du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, on peut avoir accès aux données cadastrales, mais seules les personnes autorisées peuvent obtenir le nom du propriétaire de chaque parcelle et le type de foncier.

Figure 27 : Visualisation de l’information tirée du site SIG Cadastre de la Nouvelle-Calédonie (site SIG CADASTRE, http://cadastre.gouv.nc/sigcadastre_public/, vu le 07.08.2016)

V – 1.2 Conclusion

On peut conclure que le système cadastral en terre coutumière existe tout de même et qu’une base de données a été faite pour renseigner et établir un inventaire précis (n° de lot, section, etc.). Toutefois, on remarque que le cadastre ne prévaut pas en terre coutumière. La loi française reconnaît et laisse l’institution coutumière gérer la terre en tribu. Ce legs de la législation française au système coutumier est appuyé par l’article 44 régissant les domaines des collectivités publiques. On suppose que si des demandes spéciales doivent être faites dans une tribu, alors les personnels de l’État, des provinces ou des communes travaillent en collaboration avec les dirigeants coutumiers.

V – 2.1 Superposition des deux systèmes fonciers

V – 2.1.1 Une superposition divergente

En tout premier lieu lorsque nous regardons cette carte, nous voyons parfaitement qu’il y a une divergence entre les limites cadastrales et coutumières dans la tribu de Wan Pwec.

De façon générale, les limites coutumières suivent les creeks jusqu’à la ligne de crête. Elles sont orientées est-ouest, mis à part l’îlot de la tribu, la réserve tribu et les deux endroits tabous qui sont placés différemment. Les limites ont été faites à partir de la vision coutumière, dans le but de répondre aux besoins des familles installées dans la tribu. Les limites coutumières sont plus marquées par les creeks et la ligne de crête. On note aussi, comme le rappelle Alain Saussol dans son œuvre109, que les

familles habitent le long du réseau hydrographique. On le voit clairement sur la figure 28 que le découpage des limites se fait à proximité des creeks et en suivant leur longueur.

Les limites cadastrales sont parallèles au littoral, elles sont orientées sud-est-nord-ouest. La création de ces limites est établie dans une logique foncière différente de la vision coutumière. La logique du passé colonial veut un cadastre adapté aux besoins110 du bagne et de la France.

Aujourd’hui, cette divergence est exprimée par le fait que le système cadastral veut une logique calédonienne foncière pour l’inventaire de ses terres. On suppose qu’il n’y a pas eu de collaboration entre les deux parties, ni pendant l’époque coloniale, ni par la suite.

Cependant dès 1999, la législation française a reconnu dans sa loi organique relative à la Nouvelle- Calédonie, la gérance des terres coutumières par les institutions coutumières par le seul « Droit du lien à la terre ».

On peut dire que le cadastre et les terres coutumières coexistent, et qu’ils ont été faits pour des objectifs et des logiques différentes sans pour autant avoir d’interrelation. En discutant avec le chef de clan ou les chefs de famille, on s’aperçoit que l’exemple de la construction d’une maison sans permis de construire démontre concrètement qu’il n’existe aucune relation entre le cadastre et le système coutumier.

109 SAUSSOL, Alain. L’héritage : Essai sur le problème foncier mélanésien en Nouvelle-Calédonie. Nouvelle édition [en ligne]. Paris : Société

des Océanistes, 1979 (généré le 17 décembre 2013). Disponible sur Internet : http://books.openedition.org/sdo//563, p 18.

V – 2.1.2 Une législation française appuyant le système kanak en terre

coutumière

Dans les parties précédentes, nous avons vu que la législation française a légué aux autorités coutumières la compétence de gérer ses terres. On peut dire qu’il n’y a réellement aucune interrelation des deux systèmes quant à gérer les terres coutumières. La loi organique garantit au contraire la pleine jouissance de l’usage et de l’utilisation de la terre par la tribu grâce aux articles 44 et 18 (voir article suivant) :

Article 18 : « Sont régis par la coutume les terres coutumières et les biens qui y sont situés appartenant aux personnes ayant le statut civil coutumier. Les terres coutumières sont constituées des réserves, des terres attribuées aux groupements de droit particulier local et des terres qui ont été ou sont attribuées par les collectivités territoriales ou les établissements publics fonciers, pour répondre aux demandes exprimées au titre du lien à la terre. Elles incluent les immeubles domaniaux cédés aux propriétaires coutumiers.

Les terres coutumières sont inaliénables, incessibles, incommutables et insaisissables. » C’est sûrement dans le but de renverser la vapeur et la mentalité coloniale de l’époque, que la législation française a reconnu cette appartenance à la terre aux clans kanak. Comme expliqué dans les parties précédentes, ce legs met en avant l’idée de laisser une gérance de la terre aux autorités coutumières basée sur une hiérarchie verticale en place depuis des années (figure 16).

V – 3 Conclusion

Nous pouvons conclure dans cette partie que le cadastre et le foncier coutumier existent bien en Nouvelle-Calédonie et que chacun est reconnu. On peut noter que c’est surtout du côté du cadastre qui reconnait parfaitement le foncier coutumier comme entité géré par les chefs de familles et le chef de clan. On a vu que le cadastre reconnait parfaitement les terres coutumières (disposition de différentes lois organiques existantes en Nouvelle-Calédonie sur ce sujet) et qu’ils ne s’immiscent pas dans la gérance du foncier coutumier. Cependant, même s’il y a une divergence entre le foncier coutumier et le cadastre, aucun des deux n’a la prétention d’imposer à l’autre ses prérogatives. Et on peut le redire, le cadastre a été fait sur le territoire suivant une autre logique, sans volonté aujourd’hui dans les terres coutumières d’empiéter sur le groupe déjà en place. Bien à l’opposé de ce qui a été fait lors de la période coloniale.

Chapitre 6 – Conclusion

En conclusion, nous pensons que la méthode de la cartographie participative appliquée dans le contexte coutumier de la tribu de Wan Pwec a été efficace. En effet, cette méthode nous a permis de localiser les limites de terrain de chaque famille, mais aussi la limite clanique (regroupant l’ensemble des terrains familiaux). Au final, nous avons pu confectionner une carte participative à échelle coutumière. L’utilisation de l’image aérienne plastifiée pour délimiter les terrains a été un avantage lorsque l’on ne pouvait pas se rendre sur le terrain avec le GPS. Également, la localisation des terrains par les chefs a été plus commode grâce à l’utilisation des cours d’eaux en langue kanak. Nous pensons qu’il n’y a rien de mieux que d’implanter dans une image des noms de lieux, des cours d’eau en langue kanak qui sont reconnaissables par la population locale. Nous pensons que c’est l’un des points forts de la cartographie participative que de pouvoir insérer des éléments perçus et vécus dans le quotidien de la population locale.

Un autre point important dans cette méthodologie de travail concerne la partie où on a enregistré le récit des chefs sur l’obtention de leur terrain grâce au geste coutumier. L’enregistrement a été d’un grand secours, quand il a fallu se remémorer avec le carnet de notes, l’histoire contait par les chefs de familles et le chef de clan. Il a fallu réécouter et faire attention à ne pas mélanger l’histoire des familles, car des similitudes pouvait apparaître dans l’acte du don, mais chaque cas était unique en son genre. Grâce à la méthodologie de recherche et le processus de cartographie participative, nous avons pu aussi apprendre que « la réserve tribu » et « l’ilot tribu » font partie des terrains domaniaux pour l’usage collectif comme présenté dans les travaux111 d’Eric Rau. Dans ce travail de recherche, nous avons

trouvé fascinant de pouvoir visualiser une carte représentant les différents récits sur l’interaction des kanak avec leurs environnements avec des auteurs comme Alain Saussol, Eric Rau, Michel Leenhardt, etc. La plus grande difficulté rencontrée avec cette méthodologie de recherche, a été d’avoir suffisamment de temps sur le terrain pour pouvoir rencontrer l’ensemble des chefs en fonction de leurs vies familiales, tribales, etc. Le temps est un facteur clé pour cette méthode de recherche, car obtenir « le bon timing » pour rencontrer les chefs de famille, ce n’est pas si évident. Un atout relevé dans cette méthode de recherche est que la carte participative met en lumière une représentation culturelle de la population kanak, qui est absente dans les cartes conventionnelles cadastrales calédoniennes. On peut vraiment attester de l’efficacité de la cartographie participative à afficher les lieux culturels en lien avec la culture kanak. Également, en possédant les standards de la cartographie, elle pourrait être utilisée comme un outil de communication auprès des autorités communales, provinciales et étatiques

pour présenter les besoins des locaux en tribu. Qui serait sans doute une piste à suivre pour des études doctorales dans l’élaboration d’un outil permettant la communication des besoins des tribus auprès des autorités compétentes.

En définitive, pour l’objectif 1, on peut se prononcer sur le fait qu’il existe bien une caractéristique d’un système de gestion foncière en terre coutumière. Ce premier objectif a été totalement atteint, grâce à l’implantation des connaissances des chefs de famille et du chef de clan sur ArcGIS. Cela nous a permis de créer des cartes à échelles des limites coutumières de chaque famille, même si parfois certaines limites n’ont pu être prises précisément à l’aide du GPS (densité de la végétation, contrainte du relief, etc.). Toutefois, le but n’était pas d’avoir une limite exacte, mais plutôt fidèle à la réalité des chefs de famille et du chef de clan. Nous croyons fermement que les limites familiales présentées sur ces cartes sont valides à « un instant t », tant que les chefs de famille et le chef de clan attestent de cette conformité. Nous pensons ardemment que ce travail de cartographie des limites coutumières dans la tribu de Wan Pwec n’a pas volonté à figer ses limites, mais plutôt de montrer à un temps donné la vision coutumière des chefs de la tribu. De plus, certaines limites sont connues grâce à ce travail de recherche, mais il faudra sûrement refaire une autre étude, pour découvrir d’autres histoires, et peut- être d’autres limites. Nous ne considérons pas les limites coutumières dans un déterminisme résolu, mais bien au contraire, dans un paradigme où elles se modifient au fil du temps.

Pour l’objectif 2, on a pu définir à l’intérieur de ces limites, un système organisé en trois échelles : l’une sous l’autorité du chef de famille, puis du chef de clan et enfin du petit-chef. Par la même occasion, à cette gestion foncière humaine, se rajoute une gestion orale, totémique, mythique et historique sur l’implantation des familles, « accentuant » leur légitimité au sein de la tribu de Wan Pwec. Ce sont des éléments culturels que les gens désignent par « la coutume ». Une coutume comme on l’a vu, rythme la vie de la tribu depuis des générations et générations comme « la parole qui dure » et qui perdure pour le bien de la communauté. Ipso facto, on prend conscience de l’importance du chef de clan, car on observe qu’il est le détenteur du savoir clanique dans la tribu de Wan Pwec. C’est grâce à sa présence que la légitimité des autres familles existe. On estime que l’objectif 2 a été partiellement atteint. En voyant la quantité d’information que l’on a recueillie par le chef de clan, on ne peut être qu’hébété par tant de savoir et de précision. À juste titre, on aurait pu se poser la question : Si nous avions eu plus de temps, peut-être aurions-nous eu plus de clarification sur la question de la gestion foncière dans le système coutumier ? Enfin, nous pouvons tout de même être en connivence, quant à l’objectif 2, sur une réponse néanmoins présentables des caractéristiques d’une gestion foncière en terre coutumière.

Primo pour répondre à l’objectif 3, nous avons dû chercher l’existence d’un système cadastral sur le territoire calédonien. Nous avons pu trouver cette réponse sur le « Géorep », même si nous avons déduit qu’il existait probablement déjà un cadastre en terre coutumière. Cette déduction a été faite grâce aux nombreux ouvrages concernant la colonisation de la Nouvelle-Calédonie et les changements perçus par les auteurs112 au niveau sociétal, culturel, foncier, etc., de la société kanak. Secundo, après

avoir réussi à intégrer et à visualiser sur ArcMAP les données du « Géorep », nous avons cherché à comprendre le cadre législatif du cadastre en terre coutumière. Le cadastre fait officiellement acte en Nouvelle-Calédonie et il est régit par les articles 18, 43 et 44 de la loi organique. Même si on peut l’apercevoir sur le « Georep » ou sur les cartes de la Nouvelle-Calédonie, on a constaté que ce dernier n’impose pas sa législation en terre coutumière. En définitive, nous avons pu obtenir une carte cadastrale sur les terres de la tribu et ainsi répondre à l’objectif 3.

Tout compte fait, pour répondre à l’objectif 4, c’est en discutant avec le chef de clan que nous avons pu avoir un début de réponse sur l’interrelation du système coutumier et cadastral. En conversant avec les différents chefs sur les limites coutumières et la construction de leurs maisons, on a constaté qu’il n’y avait pas besoin d’un permis de construire délivré par la mairie pour faire des travaux. Il suffit simplement d’obtenir l’aval du chef de clan et du chef de famille pour construire son habitation. Ainsi, le système cadastral n’est pas appliqué sur les terrains familiaux coutumiers. On peut le comprendre, comme expliqué dans les parties précédentes sur la colonisation et l’installation d’un cadastre calédonien. On s’aperçoit qu’il n’y a eu aucune consultation lors de l’établissement du cadastre, seuls les besoins du bagne devaient être résolus par les gouverneurs de l’époque sur la question foncière. Aujourd’hui, avec « la réserve » comme vestige du passé colonial, le cadastre est installé, sans volonté de se faire valoir auprès du système coutumier. On pourrait dire que c’est un vestige mental du passé où l’autorité coutumière gère les terres coutumières, tout comme, le maire administre sa commune, etc. Cependant, même si le cadastre ne soumet pas ses mesures, ses législations et ses règlements, nous pensons que ses outils pourraient être mis à profit en terres coutumières (outil équivalent au plan d’urbanisme directeur, mais adapté au contexte coutumier). Cela aiderait ainsi les gens des tribus à avoir un développement moins anarchique et plus contrôlé pour leurs biens fondés. C’est également une piste qui pourrait être suivie pour l’élaboration d’une thèse. L’utilisation d’un outil pour aider les gens en tribu à contrôler leur développement dans une logique durable, viable et vivable. En somme, pour répondre à l’objectif 4 sur l’interrelation, il n’existe pas d’interrelation entre le système foncier coutumier et le système cadastral sur les terres coutumières. Chaque système de gestion foncière gère son foncier attitré.

En aboutissement, ce mémoire nous montre une vérité telle qu’elle apparaît sur le terrain grâce à la méthode de recherche et aux différents échanges avec les chefs de famille et le chef de clan. Nous devons préciser qu’il serait pertinent de rajouter dans ce travail d’autres lectures historiques, spirituelles, sociales, etc. sur le peuple calédonien pour comprendre l’intégralité de la gestion foncière kanak. Toutefois, on s’aperçoit lors des lectures faites et de la compréhension de la vie menée par les

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