• Aucun résultat trouvé

Pour rappel, les cartes présentées dans cette partie ont été réalisées par le chercheur, à l’aide des connaissances des chefs de famille. Ce sont des informations héritées de leurs pères. Comme le rappellent les travaux d’Eric Rau, ce sont des connaissances héritées dans l’ordre de primogéniture88

comme pour la transmission des pouvoirs. Ainsi, le chef de famille est parfois l’aîné89 de la branche

aînée du clan. On peut dire que l’essentiel de ce que connaît le chef de clan, lui provient de son père, ce dernier l’ayant lui-même reçu de son père et ainsi de suite. La connaissance acquise par le chef de clan est appelée la « parole qui dure90 » car elle a traversé le temps, et au fil des générations elle

rythme la vie du clan.

Comme stipulé par Eric Rau, le chef de clan peut être ainsi considéré comme le « pater familias » du droit romain. Il exerce ainsi son autorité sur les personnes et les biens de son clan. La légitimité du chef de clan d’aujourd’hui, lui provient, de son aïeul-chef guerrier. Comme cité par Eric Rau « Politiquement, la tribu est organisée très fortement en vue de la guerre : nation armée, elle peut à tout instant repousser une attaque ou se lancer dans une expédition »91. La tribu de Wan Pwec était autrefois un

clan dirigé par un « chef guerrier » qui a eu pour descendants les « propriétaires terriens actuels », c’est pour cette raison que la famille du propriétaire clanique a pour nom de famille, le nom de cet aïeul « chef guerrier ».

Pour la réalisation des cartes, il a été présenté une photo aérienne de la tribu aux chefs de famille avec qui dans un premier temps, il y a eu des discussions sur le terrain (historique, répartition des membres de la famille, etc.). Puis, sur cette même photo aérienne, les limites familiales ont été marquées à l’aide d’un feutre. Toutefois, un repérage92 a été fait au préalable pour permettre aux chefs de famille de se

situer sur la photo aérienne. Par la suite, à l’aide d’un GPS, des points ont été pris directement sur le terrain pour positionner les limites du terrain familial. Puis sur le logiciel ArcGIS, on a inséré toute la donnée récoltée sur le terrain et créé les cartes présentées dans cette partie du travail.

88 Eric Rau, Institutions et coutumes canaques, L’Harmattan, p. 55 - 56.

89 Si il vient à l’aîné de mourir, c’est à l’aîné de la branche cadette de prendre la suite puis sinon à l’aîné de la branche benjamine, et s’il n’y a

pas de descendant ce sera au conseil des anciens d’élire un nouveau chef de famille. (Voir Eric Rau, Institutions et coutumes canaques, L’Harmattan, p.120.)

90 Maurice Leenhardt, Do Kamo, Gallimard, 1947, p. 222. 91 Eric Rau, Institutions et coutumes canaques, L’Harmattan, p.193.

92 On a repéré l’habitation du chef de famille à partir des éléments physiques existants comme la route, le pont, les creeks voisins, des terrains

Il est important de rappeler que c’est à partir des limites connues à ce jour par les chefs de famille que les cartes ont été réalisées. S’il advenait dans le futur des changements concernant ces limites foncières, ces cartes seront bien sûr obsolètes.

IV – 1 Les limites coutumières de la famille 1

IV – 1.1 Description

Le terrain de la famille 1 a un statut particulier. Durant la période coloniale, la terre appartenait à une famille japonaise qui cultivait et possédait du bétail. En effet, selon les propriétaires c’était un terrain privé. Ce terrain a été acheté par les parents des propriétaires actuels dans les années 1980. Cependant, cette famille faisant également partie du clan de la tribu de Wan Pwec, ils ont décidé d’ouvrir coutumièrement ce terrain, laissant accès aux autres membres de la tribu pour chasser, pêcher, cultiver des champs, etc. Une accession à l’usage (création de cultures, etc.) est disponible pour les autres membres de la tribu, si une demande coutumière est faite à la famille 1.

La limite du terrain de la famille 1 est encadrée par la route à l’ouest, le creek au nord, la mer à l’est et le creek Kalewana au sud. La partie de cette limite familiale se trouve au bord du littoral. La superficie du terrain de la famille 1 est de 9 hectares.

Sur ce terrain, on trouve deux maisons où habitent les membres de la famille 1. Ce terrain est le lieu de vie des membres de la famille. Ils vont pêcher en bord de mer ou chasser sur la montagne pour se nourrir. Sur ce terrain se trouvent également un potager et un champ pour la production d’ignames, de salades, de tomates, etc.

Étant un terrain privé, la famille 1 possède une zone maritime de 50 mètres à partir de la rive vers la mer. Cette zone maritime dédiée à la famille prouve que c’est un terrain privé.

Cependant, ce terrain existe aussi coutumièrement, car il a été donné selon le chef de clan à un garçon de la famille 1 pour remplacer la maman mariée dans la tribu de son mari. En effet, la maman de la famille 1 étant mariée dans un autre clan, mais vivant toujours sur le terrain clanique de sa tribu d’origine avec son mari et ses enfants, le garçon a bénéficié de ce terrain par le chef de clan pour pouvoir vivre avec sa famille dans la tribu.

Au final, l’importance pour le chef de famille et le chef de clan, c’est son utilisation comme terrain coutumier. Ainsi, ce terrain est ouvert à « l’usage » pour toute la communauté de la tribu de Wan Pwec.

IV – 1.2 Analyse et conclusion

La famille 1 étant membre du clan de la tribu de Wan Pwec, elle a délibérément ouvert ses limites cadastrales pour rendre son terrain accessible au clan et au système coutumier. Les membres de la famille 1 ont pleine jouissance sur leur terrain du point de vue de la propriété cadastrale, mais l’ouvre au sens de l’usage. Comme exprimés dans la partie précédente, ils ouvrent leur terrain pour l’usage au

niveau de la chasse, de la pêche, etc. On a vu que cet ancien terrain agricole fût racheté par le père du garçon malgré qu’il fût à proximité de la tribu. Il est intéressant93 de voir qu’il peut exister des lots privés

en terre coutumière. Il peut exister une propriété privée issue de la colonisation et par la volonté des propriétaires, être considérée comme un terrain coutumier. Cela permet donc une cohabitation entre terrain privé et terrain coutumier si les deux parties sont d’accord.

Figure 18 : Schéma du changement de régime de la terre où habite la famille 1.

Pour ancrer durablement l’attribution de cette terre, le chef de clan l’a attribué au garçon du point de vue coutumier pour confirmer cette possession au niveau clanique. Il est intéressant de voir que la possession de ce terrain se fasse au niveau légal mais aussi au niveau coutumier. Il y a donc possibilité d’avoir une reconnaissance légale et coutumière d’un même terrain par deux systèmes de gestions foncières différentes.

93 Dans le sens, de connaître si d’autres terrains privés en terre coutumière seraient ouverts au système coutumier et qu’elles sont leurs

IV – 2 Les limites coutumières de la famille 2

IV – 2.1 Description

Pour la famille 2, il est important de préciser qu’ils font partie des propriétaires terriens. Dans le système kanak, c’est la famille propriétaire et détentrice du droit à la terre. Dans cette famille se trouve le chef de clan (l’aîné masculin de la famille) qui regroupe en sa personne les connaissances concernant toutes les limites familiales, l’usage de la terre, les connaissances quant au partage de la terre, etc. On ne pourrait dire précisément si une cérémonie est faite pour la passation des connaissances, mais on peut affirmer que ce passage des connaissances se fait de toute façon entre le père et son fils. Alain Saussol94 rappelle l’importance de cet ainé comme étant la personne détentrice

des droits sur la terre et de l’authentification de l’ancienneté du clan et de l’ancêtre dans la tribu. Il est nommé95 par Alain Saussol, le « maitre de la terre » et par Maurice Leenhardt, le « cadastre vivant ».

Le propriétaire terrien est légitime de la terre d’un point de vue historique et mythique. Dans cette tribu la famille est propriétaire du terrain par la présence d’un aïeul (chef guerrier) qui a conquis ces terrains en combattant contre d’autres clans à cette époque (avant l’arrivée des premiers Européens). Eric Rau rappelle aussi ce cas où le prénom d’un ancêtre pouvait devenir la tête de ligne dans la genèse d’un clan96. C’est ainsi que la famille 2 possède sa légitimité sur le territoire de Wan Pwec.

Les limites du terrain de la famille 2 présente un découpage particulier sur la carte. En fait ce découpage est dû aux autres terrains familiaux donnés par les propriétaires terriens. Si on remonte dans le temps, la famille 2 possédait l’ensemble des terrains présents dans la tribu de Wan Pwec et donc tous les terrains familiaux forment le terrain clanique initial (avant le don des terrains aux autres familles).

Le terrain familial est encadré par le bord de mer à l’est et la ligne de crête à l’ouest. Au nord, la limite s’arrête avec la présence de la limite de la famille 3. Au sud, la limite s’arrête de manière moins précise. En effet, c’est la présence de champs où le chef de clan cultivait avec ses frères, que la limite a été identifiée. Le chef de clan se souvenait des champs dans la zone comme la limite entre la tribu de Wan Pwec et la tribu de Ouaré (tribu au sud de Wan Pwec). La superficie du terrain de la famille 2 est de 211 hectares.

94 SAUSSOL, Alain. L’héritage : Essai sur le problème foncier mélanésien en Nouvelle-Calédonie. Nouvelle édition [en ligne]. Paris : Société des

Océanistes, 1979 (généré le 17 décembre 2013). Disponible sur Internet : http://books.openedition.org/sdo//563, p 27.

95 SAUSSOL, Alain. L’héritage : Essai sur le problème foncier mélanésien en Nouvelle-Calédonie. Nouvelle édition [en ligne]. Paris : Société des

Océanistes, 1979 (généré le 17 décembre 2013). Disponible sur Internet : http://books.openedition.org/sdo//563, p 31.

IV – 2.2 Analyse et conclusion

Dans un contexte purement coutumier, et c’est dans ce cadre que s’insère ce travail, il faut comprendre que les propriétaires terriens sont les descendants directs de l’aïeul possédant l’ensemble du territoire avant l’arrivée des premiers navigateurs ; tout comme un roi à l’époque médiévale possédant la totalité de ses terres sous son joug. Dans la tribu de Wan Pwec, c’était le même fonctionnement, c’était un guerrier qui se battait contre les guerriers voisins pour garder sa légitimité et exercer son pouvoir sur ses terrains et son clan.

Maurice Leenhardt rappelle97 tout le respect qui découle entre le chef et ses frères. Le chef considère

que ceux qui vivent avec lui sont comme « ses frères », et non comme « ses sujets ». Le chef est considéré comme le premier homme du clan (le grand fils), et c’est pour cette raison qu’il est hautement respecté par les membres de son clan. Cependant, même s’il ne porte aucun galon qui permet de le différencier des autres, tous les membres du clan savent qui est le chef. Dans le jargon mélanésien, Maurice Leenhardt précise que le chef guerrier n’est pas le « chef de la guerre » mais le « visage de la guerre ». Le chef guerrier est le garant de la sécurité du clan et l’incarnation de cette sécurité. Cependant, Alain Saussol rappelle une ambigüité98 du chef guerrier dans la société

traditionnelle. Il explique que « le chef de guerre » ne dispose d’aucune prérogative particulière sur les terres de la tribu, il n’assure que la sécurité du patrimoine, la création des alliances, la résolution des litiges avec l’assistance des chefs de clans. Qu’il possède une autorité absolue, mais jamais il ne viole les droits de ses frères. En vérité, le chef de clan de la tribu de Wan Pwec était également le chef de clan et le chef de guerre. Malgré son statut depuis l’ancêtre à aujourd’hui, et comme le rappelle Alain Saussol avec Salmon : « Ce sont des terriens profondément attachés au sol et ayant au plus haut degré le sens de la propriété individuelle. Cette notion était tellement enracinée dans les esprits qu’il ne serait jamais venu à l’idée d’un chef de tribu, même au temps où ses pouvoirs étaient des plus étendues, de s’approprier les biens de ses sujets ». Egalement, Eric Rau affirme99 le pouvoir du chef de

la façon suivante : « il avait le droit de vie et de mort sur ses sujets. Mais il n’usait jamais de ce droit avec les gens de sa tribu proprement dite, car ceux-ci, unis à lui par le sang, étaient protégés par une sorte d’interdit, et le chef avait à cœur de respecter leurs privilèges ».

Dans le cas de la tribu de Wan Pwec, l’aïeul a permis et « accueilli » des familles à venir s’installer sur ses terrains. Par la suite, il a reconnu ces familles au sein de son clan. Comme à l’accoutumée, des

97 Maurice Leenhardt, Do Kamo, Gallimard, 1947, p.186 – 200.

98 SAUSSOL, Alain. L’héritage : Essai sur le problème foncier mélanésien en Nouvelle-Calédonie. Nouvelle édition [en ligne]. Paris : Société des

Océanistes, 1979 (généré le 17 décembre 2013). Disponible sur Internet : http://books.openedition.org/sdo//563, p 30.

échanges (fibres de roussettes tressées, coquillages, ignames, danses, etc.) et mariage ont dû être faits entre son clan initial et ces familles pour sceller leur cohabitation, leurs alliances sur les terres du clan. Ainsi ces familles ont pu aider le clan initial à protéger les terres, à les mettre en valeur (construction de cases, de pirogues, de champs, etc.) et à organiser une société et un clan plus grand. En contrepartie, les familles invitées ont pu jouir du droit d’user de la terre pour y vivre, chasser, pêcher, etc. en cohabitation avec le clan initial, dans le respect et l’harmonie.

IV – 3 Les limites coutumières de la famille 3

IV – 3.1 Description

La famille 3 a été accueillie dans la tribu par l’ancêtre des propriétaires terriens (le chef guerrier de la famille 2). C’est une famille qui a intégré la tribu avant l’arrivée des premiers Européens. Les propriétaires terriens actuels reconnaissent qu’un don de la terre a été effectué dans le passé par leur aïeul à cette famille. Ce don est totalement reconnu et accepté par le chef de clan actuel. Comme vu dans la section précédente, expliquant la notoriété des propriétaires terriens, le geste coutumier et la parole du passé font acte dans le présent, et ce de manière inaliénable.

Les limites du terrain de la famille 3 commence au sud par le creek Wan Pwec, puis se dirige vers la ligne de crête à l’ouest. Elle se recoupe ensuite au nord avec le creek Wadagen, pour se finir à l’est avec le littoral. La superficie du terrain de la famille 3 est de 100 hectares. À l’époque, c’était une famille de nomade qui se déplaçait en bateau, accostant les bords du rivage pour se nourrir et ensuite repartir. Selon l’histoire contée100 par le chef de clan : « le chef guerrier de l’époque les a appelé grâce

à un bout de manou rouge qu’il a agité autour de sa tête pour leur dire de venir accoster sur la terre, à ce moment-là, il a donné à cette famille un terrain. »

IV – 3.2 Analyse et conclusion

Comme montré dans la partie précédente, cette famille qui s’est installée avec l’accord du chef de l’époque vit encore aujourd’hui dans la tribu de Wan Pwec. Désormais, cette famille a la pleine légitimité sur ce terrain, qui lui a été accordé par l’aïeul, comme pour la famille 1.

Dans le cas de la famille 3, il est important de rappeler l’importance de la parole et de la coutume qui a été échangées entre le clan accueillant et la famille accueillie. La parole donnée dans la société kanak est sacrée et ancrée quand il y a eu un échange entre les deux parties. Ainsi, la parole donnée par le clan de l’aïeul perdure encore jusqu’à maintenant. C’est pour cette raison qu’aujourd’hui, le chef de clan reconnaît un échange fait dans le passé avant même sa naissance. Même s’il ne peut exprimer cet échange dans les détails, il sait qu’il a bien eu lieu. Connaître un acte fait dans le passé est important et nécessaire pour l’harmonie de la tribu car il enlève tout questionnement sur la légitimité des uns et des autres sur le foncier attribué. Comme le rappelle les travaux de Michel Naepels parfois les oublis dans les histoires des clans peuvent entraîner des conflits plus ou moins importants101.

En conclusion, on peut affirmer que le savoir reçu par le chef de clan de son père est d’une essence capitale, car il permet d’affirmer aujourd’hui l’appartenance des familles au sein de la tribu.

100 Citation tirée de l’entrevue avec le chef de clan en octobre 2014. 101 Michel Naepels, Histoire de terres kanakes, Belin, 1998, P. 127 – 145.

IV – 4 Les limites coutumières de la famille 4

IV – 4.1 Description

La famille 4 a reçu de la famille 3 le terrain représenté sur la carte. Ce don est possible, car la famille 4 est un descendant de la famille 3 et ce descendant a eu comme héritage le terrain pour l’ensemble de sa famille. En fait, comme pour la famille 3, l’installation sur ce territoire permet de dissuader les clans opposés voulant prendre leurs terres. Selon le chef de clan, le nombre de familles établies sur un territoire pouvait faire peur aux assaillants. C’était donc à l’époque un moyen de dissuasion.

Les limites de la famille 4 sont au sud le creek Wadagen, à l’ouest la ligne de crête, au nord le creek Cora et à l’est le bord de mer. La superficie totale du terrain de la famille 4 est de 54 hectares.

IV – 4.2 Analyse et conclusion

Dans cette situation, il est intéressant de voir l’héritage perçu de la famille 4, par le lien du sang avec la famille 3. En amont, l’acceptation du chef guerrier de l’époque sur la famille 3 a permis d’étendre cette invitation à la famille 4. Comme les membres de la famille 4 sont des descendants de la famille 3, ce lien a permis à la famille 4 d’obtenir ce terrain familial. Comme le stipule102 Michel Naepels la propriété

n’est pas univoque, mais consiste plutôt en droits différenciés, où s’additionnent plusieurs droits. On cite « Ainsi, un fondateur garde toujours un lien privilégié avec l’espace qu’il a fondé, même après en avoir donné des parties, mais il est censé ne pas remettre en cause la propriété de celui qu’il a accueilli. Celui-ci peut faire valoir les droits nés de sa résidence ancienne, des échanges qu’il a effectués avec le fondateur et de son travail, mais ne peut pas contester avoir reçu la terre d’un propriétaire plus ancien ». C’est ainsi que grâce aux travaux et échanges effectués par la famille 3 envers le fondateur (famille 2), il a été possible d’attribuer à ses descendants (famille 4) un terrain issu

Documents relatifs