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Première partie : Les préalables à la réalisation d’une étude empirique

Chapitre 1 : Les fondements théoriques de l’étude

IV. La relation et les coûts d’agence

Jensen et Meckling (1976), donnent à cette théorie la définition reconnue : « Nous définissons une relation d’agence comme un contrat par lequel une ou plusieurs personnes (le principal) engagent une autre personne (l’agent) pour exécuter en son nom une tâche quelconque qui implique une délégation d’un certain pouvoir de décision à l’agent. » Les francophones puristes préfèrent les termes de mandant

(à celui de principal), de mandataire (à celui d’agent) et de relation de mandat (à celle d’agence). Qu’importe cependant le nom de que l’on donne à cette relation, il faut se souvenir qu’elle puise ses fondements dans un passé lointain.

En effet, bien avant Jensen & Meckling, Adam Smith (1776), avait initié une réflexion sur la question agentielle ainsi en énonçant que « les directeurs de ces sortes de compagnies étant les régisseurs de l’argent d’autrui plutôt que de leur propre argent, on ne peut guère s’attendre qu’ils y apportent cette vigilance exacte et soucieuse que les associés d’une société apportent souvent dans le maniement de leurs fonds. »33. Dans le prolongement de cette perspective, Berle et Means (1932) pose les fondements de la relation agentielle par leur théorie de la dépossession. Ils postulent la thèse de la séparation entre la propriété et le contrôle de l’entreprise en raison de l’éclatement du capital des grandes entreprises, librement négociable sur les marchés financiers (Coriat & Weinstein, 1995). Ils énoncent que les dirigeants sont ceux qui contrôlent effectivement l’entreprise et ne cherchent pas nécessairement à maximiser le profit de l’entreprise (fonction d’utilité des propriétaires), mais leur propre fonction utilité. Dans un ouvrage publié en 1932 et demeuré à ce jour célèbre, ‘’The modem corporation and private property’’, A. Berle et G. Means faisaient état de ce que l'entreprise, dans sa forme de plus en plus répandue à l’époque, à savoir la société par actions, présentait une caractéristique importante et nouvelle : la dissociation de la propriété et du contrôle (De Bornier, 1987). Ce phénomène, touchait l’économie toute entière à une échelle croissante, au fur et à mesure que cette forme d’organisation, sorte d’entreprise collective se répandait. Elle était appelée selon eux à « comporter des conséquences majeures quant au fonctionnement du système dans son ensemble, quant à son efficacité surtout, et appelait des réformes profondes. » Cette thèse, défendue par Berle et Means est intéressante aujourd’hui encore en ceci qu’elle constate l'émergence d'un nouveau type de propriété, la propriété sans contrôle. L’on peut illustrer cette réalité par une image en tous points semblable : celle de l'éclatement en deux éléments distincts de 1'« atome » qu'était le système traditionnel. De fait désormais, l'un de ces éléments est passif (la propriété) et l'autre actif (le contrôle). (De Bornier, 1987)

Cette nouvelle donne implique que des actionnaires, potentiellement de très gros porteurs, concèdent à des tiers - souvent des salariés - la gestion de tout ou partie de leur capital. Ainsi, l’entreprise n’est plus contrôlée par ses propriétaires mais par des directeurs. La conséquence est que l’on ne peut plus présumer selon Berle et Means, que le profit sera maximisé et que le système capitaliste dans son ensemble (si cette dissociation est pratiquée à grande échelle) restera efficace. Les auteurs concluent leur analyse en arguant que cette « nouvelle organisation » (l'actionnariat) est de nature à générer un conflit entre la « logique traditionnelle de la propriété » et la « logique traditionnelle des profits », car les « directeurs salariés ont la possibilité de distraire une partie des bénéfices à leur profit ou même de

rechercher à maximiser leur utilité plutôt que le bénéfice de la firme ». De quoi poser concrètement avant l’heure la problématique des conflits d’agence, chers à Jensen & Meckling.

Dans le sillage de ces derniers justement, la littérature va apporter des réponses par l’intermédiaire des décisions financières et notamment la décision de financement. Il a ainsi été démontré que la structure du capital peut contribuer à réduire les coûts d’agence34. Sachant qu’il existe une forte probabilité d’apparition de divergences d’intérêts entre, d’une part les mandants (ici les actionnaires), et d’autre part leurs mandataires (en l’occurrence les managers), lesquels sont désignés pour réaliser une ou plusieurs activités pour le compte des premiers ; il paraît inévitable, voire indispensable que les uns et les autres cherchent à se protéger de l’opportunisme de leur alter ego.

Ainsi pour St-Pierre (1999), la relation d’agence devient problématique quand :

- « les intérêts des deux parties divergent (ce qui est le cas lorsque l’on considère que chacun cherche à maximiser son intérêt personnel)

- l’information est imparfaite et notamment qu’il existe une asymétrie d’information entre les parties (ce qui est également le cas général) »

Ce contexte est propice à la survenue de deux types de risques auxquels le principal (ou mandant) est confronté par rapport au comportement de l’agent (ou mandataire) :

- « un opportunisme ex ante. L’agent dispose généralement de plus d’informations que le principal. Ainsi un directeur général est mieux informé sur l’entreprise que l’actionnaire. L’agent va profiter de cette information pour effectuer une sélection adverse, notamment en aménageant le contrat qui le lie au principal à son avantage ;

- un opportunisme ex post. L’agent va, dans ce cas, profiter de sa meilleure information ou de ses pouvoirs pour contourner le contrat ou mandat. C’est le risque (ou aléa) moral (moral hazard). »

Il s’impose donc la mise en place d’un système de contrôle et de verrouillage des actions des mandataires, afin que ces derniers s’appliquent à une gestion qui serve les intérêts premiers des mandants. Elle passe par la mise en place d’un système d’intéressement, mais également de surveillance, lequel est la source des fameux coûts d’agence qui pèsent sur les épaules des actionnaires.

En outre, les dirigeants sont choisis par les propriétaires et en conséquence sont révocables ad mutum. Ils n’ont donc aucune garantie de conserver leur place. Ceci les place donc dans une situation où, pour leur propre bien, ils sont contraints d’engager des actions en vue de rassurer les mandants, ces

34 Les coûts d’agence : coûts des arrangements institutionnels mis en œuvre par les actionnaires et créanciers qui conduisent l’agent dirigeant l’entreprise à maximiser la valeur de marché de cette dernière. (Belletante, Levratto & Paranque, 2001)

‘’garanties’’ générant des coûts dits de dédouanement. La difficulté ici, est que quelle que soit la nature de ces coûts, il arrive qu’ils soient supérieurs à l’espérance de perte que subira celui qui les supporte en cas de comportement ‘’aberrant’’ de la part de celui dont on cherche à se protéger. Et donc, chaque fois qu’une telle inégalité apparait, des coûts résiduels apparaissent et doivent être pris en compte. Ils correspondent à « la différence irréductible entre la richesse de l’individu en cas de regroupement de la propriété et du contrôle de la firme, d’une part et la richesse des individus procurée par la distinction des fonctions d’autre part. » (Belletante, Levratto & Paranque, 2001)

La conséquence en est la forme d’organisation choisie, et tout particulièrement la part et la répartition des créances résiduelles destinée à résoudre la problématique des modalités au travers desquelles les coûts d’agence peuvent être minimisés. Les coûts d’agence en réalité ont pour conséquence de réduire la capacité de financement de la firme. De même, le niveau d’investissement de celle-ci s’en trouve affecté et nécessairement réduit au regard de ce qu’il aurait pu être si les différents acteurs (actionnaires et managers) ne se trouvaient pas dans une situation d’opposition. Aussi, pour pallier ces risques, notamment de sous-investissement, il est recommandé de recourir à l’endettement. La raison en est que, pour les dirigeants non détenteurs de parts (actions ou obligations), le risque de défaillance qui accompagne la dette constituera une incitation à être performant. Car si l’on part du principe que le but du manager est de conserver son emploi ainsi que les avantages dont il jouit, il peut être raisonnablement envisagé qu’il mettra tout en œuvre pour éviter la faillite de l’entreprise qui l’emploie. Conséquence, « si le marché est efficient, les opérateurs anticiperont ce comportement et attribueront à la firme endettée une valeur supérieure à celle qu’ils affecteraient à une unité en tout point semblable mais présentant un niveau d’endettement nul. » (Belletante, Levratto & Paranque, 2001)

En définitive donc, les tenants de l’approche par la relation d’agence considèrent que l’organisation la plus efficiente est celle où sont gardés séparés la gestion, le contrôle et la prise en charge des risques résiduels, lesquels correspondent à ce que l’on trouve traditionnellement dans les sociétés par actions ouvertes, dont les titres de propriété sont librement cessibles sur les marchés.

On retiendra que la problématique de la décision de financement intéresse la théorie financière depuis ses balbutiements. Dès les années 50, elle s’est intéressée à l’influence des décisions financières et notamment de la décision de financement sur la valeur de la firme. Cette question a vu s’affronter deux grands courants de pensée, notamment les travaux de MM qui se sont opposés à l’approche traditionnelle. Il a résulté des travaux de MM un véritable bouillonnement intellectuel, favorisant l’éclosion de multiples approches qui ont enrichi la théorie financière dont l’une des plus célèbres est sans doute la Static Trade-off Theory, ou théorie du compromis. Toutefois, elle est demeurée désespérément inopérante pour les catégories d’entreprises qui nous intéressent. Il importe donc de repenser ces modèles eu égard à la nature et aux caractérisitques des PE.

La nécessité de repenser les modèles traditionnels

Les hypothèses très restrictives des contributions de Modigliani et Miller ont limité la portée théorique et pratique des conclusions. La raison de ces limitations se trouvent dans ce qui distingue fondamentalement les petites entreprises des grandes. Car, si les théories présentées précédemment conduisent à des impasses quand il s’agit d’analyser les comportements financiers des petites entreprises, c’est bien parce que celles-ci se distinguent des grandes. Ainsi, convient-il de repenser ces modèles.

La recherche académique sur les comportements financiers des petites et moyennes entreprises est un champ d’investigation relativement récent qui n’est pas encore consolidé à ce jour. Elle couvre un large éventail de disciplines qui est révélateur du caractère complexe et multidimensionnel du sujet en lui-même (Mac an Bhaird, 2010). On peut distinguer trois grandes périodes qui structurent le champ. Au cours de la première période, les chercheurs ont d’abord et avant tout voulu décrire les différences entre les petites et les grandes entreprises, notamment dans la structure de propriété et la gestion, le financement. De sorte que ces recherches ne visaient pas spécifiquement l'élaboration de théories ou la mise en place de tests théoriques en soi.

La deuxième période a vu l’émergence de recherches empiriques portant sur le financement des petites entreprises, mais s’appuyant sur les bases théoriques développées dans la finance traditionnelle. Les chercheurs, en voulant combler le manque de concepts et de développements théoriques pour expliquer les comportements financiers des petites entreprises se sont rabattus sur les théories élaborées en finance d'entreprise comme base d'études empiriques des comportements financiers des petites entreprises (López-Gracia et Sogorb-Mira, 2008 ; Heyman et al., 2008 ; Daskalakis et Psillaki, 2008 ; Mac an Bhaird, 2010). Cette deuxième période a permis d’effectuer la transition vers une nouvelle ère, où les acteurs de la recherche académique s’emploient désormais à développer des cadres théoriques appropriés à la connaissance des comportements financiers des PE. La troisième période est donc celle, toujours en cours, où se construit progressivement un corpus théorique en finance entrepreneuriale.

De ces trois périodes, nous nous intéresserons dans ce paragraphe à la première et à la deuxième. De la première, nous nous attelerons à mettre en évidence les traits spécifiques qui permettent de distinguer les PE des grandes entreprises, aussi bien au plan théorique que pratique. Et de la deuxième période, nous expliquerons en quoi la mobilisation de la théorie financière pour étudier les comportements financiers des PE n’est en définitive pas pertinent au regard des spécificités de l’objet d’étude précédemment exposées.