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Première partie : Les préalables à la réalisation d’une étude empirique

Chapitre 1 : Les fondements théoriques de l’étude

II. Les limites des théories alternatives

L’étude de la décision de financement dans les PE a nécessité l’élaboration d’approches théoriques alternatives aux approches traditionnelles. Elles ont permis d’apporter des explications aux choix de financement de ces entreprises. Ainsi, la POT, adaptée aux réalités financières des PE, la théorie du cycle de vie et la théorie du choix managérial ont apporté des explications aux choix de financement des dirigeants de PE. Toutefois, ces approches pèchent encore par endroit, ce qui limite leur portée eu égard à certains aspects de la décision de financement. La POT et l’approche en termes de cycle de vie par exemple sont limités par l’objet auxquelles elles se rapportent. Et en ce qui concerne le choix managérial, même s’il paraît le mieux adapté, il peine à unifier les fondements de sa démonstration.

Limites et abandon du financement hiérarchique et du cycle de vie

La POT représente numériquement sans doute la théorie la plus usitée pour tenter d’expliquer les choix de financement des petites entreprises. Toutefois, elle est constamment adaptée de façon plutôt agile aux caractéristiques des entreprises étudiées. L’ordre hiérarchique originel consiste à aller du financement interne au financement externe en empruntant la voie qui passe par l’autofinancement, l’endettement bancaire puis l’ouverture du capital au marché. Bien souvent cependant, le constat que l’on fera est que les études aboutiront à des résultats légèrement différents. Souvent, l’option du marché de capitaux n’apparaîtra pas dans les choix envisagés, principalement parce que l’immense majorité des PE n’ont guère accès à ces marchés. Plusieurs raisons peuvent expliquer cela, et ont d’ailleurs été évoquées longuement. A ces raisons on peut ajouter les coûts inhérents à l’accès à ces marchés qui sont généralement - à l’exception de certaines entreprises de technologie qui ont un modèle de financement en bien des aspects particulier - au-delà des capacités des dirigeants de PE. Cependant, et malgré ces coûts importants, ils peuvent être préférés par certains dirigeants en raison des principaux inconvénients de l’endettement, notamment les garanties sur le patrimoine personnel du dirigeant.

Ainsi donc, on verra des modèles adaptés de la POT qui, bien que s’appuyant sur la hiérarchie du financement, ne reprennent pas nécessairement les mêmes sources, ou le même ordre. On peut évoquer à ce titre l’étude de Paul, Whittman & Wyper (2007). Ils se sont intéressés à des dirigeants de PE écossaises dans le but de déterminer si l’hypothèse hiérarchique de financement s’appliquait à leur choix. Leurs résultats démontrent que, même si l’hypothèse de financement hiérarchique est globalement validée, elle est nuancée en ce qui concerne la hiérarchie des sources. Contrairement à la POT traditionnelle, leur étude révèle que lorsque des fonds externes sont nécessaires, les capitaux propres vont constituer la principale source de financement plutôt que l'endettement. Les auteurs constatent que le principe de la hiérarchie est validé dans la mesure où les entreprises passent de l'autofinancement à des fonds externes, mais qu’ils privilégient les fonds propres externes en lieu et place du financement bancaire. On peut aussi évoquer le modèle de POT adapté de Ang (1991) dans lequel il remplace l’émission d’actions par l’apport de fonds du propriétaire dirigeant, ces fonds n’étant pas soumis à l’asymétrie d’information, et sont donc préférés au financement externe des créanciers.

A ce stade, il convient de faire un constat majeur qui en l’occurrence constitue la principale limite à opposer à la POT. Elle ne s’intéresse en définitive qu’aux sources de financement. La majorité voire la totalité des études que l’on peut répertorier et qui tentent d’expliquer la structure du financement des PE au moyen de la POT ne s’intéressent en définitive qu’au choix de la source du financement. Les motivations derrière ces choix ne sont qu’incidentes, tentant d’expliquer accessoirement ces choix. Ces études, à l’image de celle de Paul, Whittman & Wyper (2007), Colot & Croquet, (2007c), Fathi & Gailly (2003), Zoppa & McMahon (2002), etc., n’apportent guère de précisions par rapport aux fondements de

la décision. Elles « ne suggèrent rien concernant le processus décisionnel ni les motivations derrière les choix » ainsi que le confirme St-Pierre (2019). Or, pour comprendre les choix, il faut avoir une vision plus précise sur la façon dont la décision est prise. De plus, l’essentiel de ces études sont réalisées au moyen de données comptables et financières issues généralement des résultats des entreprises. Et comme le suggérait Paul et Whittman & Wyper, (2007) ; il est essentiel d’ajouter aux données quantitatives, des données plus qualitatives obtenues par des entretiens ou des observations directes auprès des premiers intéressés, soit les propriétaires-dirigeants de PME (St-Pierre, 2019). La POT telle qu’est appliquée généralement aux PE est fondée sur l’analyse des sources de financement et non pas la volonté des agents. Celle-ci est donc naturellement déduite des choix effectués. En cela, elle ne diffère guère de l’approche néo-classique, puisque in fine l’objectif est de déterminer la position du curseur entre fonds propres et dettes, ou une autre source de financement. C’est donc un raisonnement qui repose d’abord sur les résultats et non pas sur les objectifs. C’est l’analyse des sources de financement qui permet de déduire le comportement. La difficulté est que les sources de financement ne disent pas comment est prise la décision, ni si elle correspond à la volonté initiale des dirigeants. Pour cela, il faudrait s’intéresser à la décision elle-même. L’application de la POT aux PE est donc axée sur les sources de financement et non pas sur le dirigeant.

L’analyse que l’on peut faire de l’application de la POT aux PE est sensiblement la même que l’on peut faire de l’analyse en termes de cycle de vie. Moins sollicitée dans les recherches sur les comportements financiers des PE, elle n’en demeure pas moins très utile. Toutefois, l’analyse qu’elle propose porte sur l’explication des sources de financement au moyen des stades de développement de l’entreprise et incidemment des préférences du dirigeant. Une fois de plus, ce sont les sources de financement qui déterminent en réalité l’analyse du comportement. Le choix des modes de financement prime donc sur la personne du dirigeant. Connaissant le rôle de ce dernier, il faudrait nécessairement pour lui être utile, défocaliser l’analyse des sources et la réaxer sur lui. Ce faisant, l’on pourrait s’intéresser de plus près à sa manière de procéder et par conséquent déterminer de façon pertinente comment l’aider à optimiser sa prise de décision. Et même si il convient de prendre garde au fait que les résultats pourraient ne pas offrir de pouvoir de généralisation (Atherton, 2012) ; il faut admettre qu’il y a là donc un vrai enjeu, qui est par ailleurs, l’objectif de la présente étude. Pour ces raisons, et compte tenu de l’importance démontrée du dirigeant dans le management de la PE, il convient de se rabattre sur une approche théorique qui s’articule autour de la volonté de ce dernier. C’est le cas de l’approche en termes de choix managérial.

Pertinence et insuffisance de l’approche par le choix managérial

Il s’agit de l’approche qui met le plus en avant la personne du dirigeant. Elle se focalise sur le dirigeant essentiellement au moyen des trois aspects que sont son âge, sa formation et les sentiments d’optimisme et de confiance qui l’animent. Ces éléments constituent des indicateurs importants qui peuvent avoir une influence sur la vision et donc sur la prise de décision. Ils sont en effet de bons indicateurs de la rationalité du dirigeant. Mais outre des aspects, la théorie du choix managérial implique deux autres aspects dont il semble que l’on doive également tenir compte. Ces éléments sont les caractéristiques de l’entreprise et l’environnement, que nous avons évoqué précédemment. Quoique pertinente qu’elle puisse être, la théorie du choix managérial présente deux insuffisances majeures qu’il convient de relever.

La première a trait aux caractéristiques de l’entreprise et à l’environnement, aspects qui rentrent en ligne de compte dans l’appréciation. Ils ont une particularité, c’est de décentrer l’analyse de la personne du dirigeant. En effet, les caractéristiques sociodémographiques se rapportent directement au dirigeant et renforcent la précision de l’analyse du point de vue de celui-ci. Or qu’il s’agisse des caractéristiques de l’entreprise ou de l’environnement (rapporté à l’influence réelle ou supposée des financeurs), l’on semble s’éloigner d’une analyse fondée sur la personne du dirigeant. La seule exception est de mettre en perspective la perception propre de ce dernier afin d’analyser la décision. Dans cette hypothèse, il s’agirait de s’appesantir sur la perception qu’a le dirigeant de l’environnement financier, ou au-delà, pour prendre la décision. Mais même dans cette hypothèse, il subsisterait à régler la problématique des caractéristiques de l’entreprise. Là réside le deuxième écueil avec l’approche par le choix managérial. Il faut dire à ce propos que de nombreuses recherches ont mis en lumière le lien entre les caractéristiques de l’entreprise la structure de financement dans les PME en général. On peut évoquer les travaux de Cassar (2004) sur l’influence de la taille (mesurée par le nombre d’employés) dans le financement des PE. On pourrait évoquer aussi les travaux de Mac an Bhaird (2010) en ce qui concerne la valeur des actifs. Toutes ces études ont cependant d’avoir en commun de répondre à une même question, celle du « quoi ». Elles disent toutes en général la même chose, à savoir la corrélation qu’il peut exister entre certaines caractéristiques des PE et les types de financement. Alternativement, elles servent à expliquer ces observations par le biais de théories. C’est là un apport déjà pertinent et important à la connaissance des comportements financiers des PE. Cet apport paraît cependant insuffisant au regard de l’objet qui est le nôtre. En effet, répondre à la question du « quoi » est insuffisant pour aller au bout de la compréhension. Il faudrait nous semble-t-il aller au-delà et s’atteler à répondre à la question du « comment ». L’utilité de savoir quoi est d’avoir une compréhension préliminaire à un phénomène. La nécessité de savoir comment est celle d’agir sur le phénomène pour en optimiser le résultat final. La présente étude s’inscrit dans cette optique précisément. L’objectif visé ici est d’avoir une compréhension

approfondie de la décision afin de savoir l’influencer pour précisément l’optimiser. La décision de financement est une question, dans les PE, de pérennité pour l’entreprise, mais aussi de survie pour son dirigeant dont le patrimoine n’est pas diversifié et quasi-totalement investi dans celle-ci. Aussi, convient-il de se pencher sur les conditions de la prise d’une décision aussi capitale pour aider les dirigeants de PE à faire les meilleurs choix, pour leurs entreprises, mais aussi pour eux-mêmes et leurs familles.

Pour ce faire, il nous semble utile de connaitre les corrélations entre les modes de financement et les caractéristiques des entreprises, mais plus encore de savoir comment les choix de financement sont effectués par les dirigeants qui en ont la responsabilité. En cela, l’approche par le choix managérial est clairement insuffisante car ne permettant pas de s’appuyer un préalable solide. Ni les caractéristiques des entreprises, ni la perception de l’environnement, ni même les caractéristiques sociodémographiques des dirigeants ne disent ce sur quoi pourrait reposer la prise de décision. Tous ces aspects se bornent à donner des indications sur lesquelles s’appuyer pour décrire les structures de financement. Mais en rien, ils ne fournissent un support à l’analyse de la décision. Il nous semble donc indispensable de recourir à une approche en complément du choix managérial pour cela. Cette approche devra prendre en compte la rationalité du dirigeant.

Une telle démarche est aisément envisageable, eu égard à la littérature. Dans leur étude, Fathi & Gailly (2003) concluent que la POT est pertinente pour expliquer la structure financière des PME innovantes de leur échantillon. Toutefois, ils précisent que l’explication apportée par la POT n’est que partielle, et qu’il faut lui adjoindre d’autres modèles théoriques pour une explication plus satisfaisante. Si l’on se réfère aux études menées par Daskalakis et Psillaki en 2008 et en 2009, elles tendent à valider une représentation du type financement hiérarchisé chez les PME grecques (2008) et plus largement sur un panel de PME françaises, italiennes, grecques et portugaises. Toutefois, cette explication théorique est également nuancée et appelle à des approches théoriques de complément. Les résultats sont contrastés et ne permettent pas de dégager une interprétation que l’on pourrait qualifier de dominante. Les auteurs se montrent donc prudents dans leurs conclusions quant au pouvoir explicatif exclusif de cette seule théorie.

Il n’est pas rare que dans le cas des PE, un seul modèle théorique ne soit pas suffisant pour apporter une explication à un phénomène. Il faut alors en mobiliser un autre pour le compléter. C’est ainsi que l’association de plusieurs champs théoriques peut être légitimement envisagée pour l’étude des PE. Une telle démarche est d’autant plus pertinente qu’elle touche à une catégorie réputée pour sa diversité. Dans le cas d’espèce, il conviendra de veiller à la complémentarité de la deuxième théorie avec la première. Dans cette optique, le modèle de la proximité de Torres (2003 & 2006) est apparu parfaitement compatible et complémentaire avec l’approche par le choix managérial.

Un modèle fondé sur la proximité comme vecteur du choix managérial

Devant les insuffisances du choix managérial, le modèle proxémique élaboré par Torres (2003 & 2006) est apparu utile et complémentaire pour notre étude de la décision de financement. Cette approche repose sur les travaux fondateurs de Moles et Rohmer (1972 & 1978) qui proposent une conception subjective de l’espace, qui est centrée sur l’individu, une vision particulièrement ‘’égocentrée’’ en l’occurrence. Ce concept de proxémique est également repris par Hall (1981) qui en parle comme de l’étude de la perception et de l’usage de l’espace par l’Homme. La description des contours de cette approche permettra de comprendre son utilité dans le cadre de l’étude.

A cet effet, il semble qu’elle permet de décrire le comportement du dirigeant dans son management et donc dans la prise de décision. Elle ouvre une perspective plus spécifique concernant le management financier dans les petites entreprises (Torres, 2011). Mais elle a également la faculté d’ouvrir une autre perspective en rapport avec la décision cette fois-ci. En effet, de par sa formulation, et la forme qu’elle donne à la prise de décision, elle permet d’en étudier le processus dans son déroulement, ce qui s’avère déterminant dans notre volonté de proposer un modèle adapté à la PE. En cela, les travaux de Simon (1976) sur la rationalité limitée et la révolution dans l’approche de la prise de décision sont indispensables pour comprendre les contours de la décision de financement tels qu’envisagés ici. Au total donc, ces différents éléments font émerger in fine plusieurs dimensions dont l’articulation et les interactions permettent de proposer le modèle conceptuel sur lequel reposera l’étude de la décision de financement dans la PE.