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Regai n d' i ntérêt, adaptati ons et ambi guï tés

contemporaines

Par la suite, cependant, les discours urbanistiques et architecturaux ontvu réapparaître ces notions sur le devantde la scène d’une façon beaucoup moins marginalisée. Ainsi, de nombreux projets dits participatifs ont pu voir le jour, se revendiquant bien souvent les héritiers du droit à la ville. Plus signi1catif encore, les projets publics sont désormais de plus en plus soumis à diverses procédure de participation publique, censémentles lieux de la pratique de ce droità la ville.Ainsi,c'est en 1989 que le décret wallon de participation et de décentralisation est édicté, consacrant notamment les CCAT11

comme un véritable organe de consultation citoyenne.

À vrai dire, à lire les aNrmations de certaines communes, administrations ou auteurs de projets,nous pourrions être amené à considérer que le modèle lefébvrien s’est1nalementimposé et qu’à présent, la ville est le résultat du plein exercice de la démocratie tel que l’auteur le défendait. L'exemple de Laure Terwagne, et des nombreuses expériences similaires dont peuvent témoigner les habitués des diverses séances d'informations ou de consultation vient mettre un frein à cette aNrmation. Avant de nous attarder sur les raisons de cette distance entre le discours revendiqué et les actions entreprises, attelons nous d’abord à comprendre ce regain d’intérêt pour les théories pourtantdéjà relativementanciennes du sociologue.

Une hypothèse que nous formulons est de considérer que les modèles urbanistiques ne peuvent prospérer qu’en concordance avec les valeurs de la société dans laquelle ils sont censés s’appliquer. Dès lors, la réapparition des idées de Lefèbvre

témoigneraient d’un changement dans la conception générale de l’individu etde son rapportau groupe.Notre époque verraitdonc un retour à des notions communautaires et sociétales plus prononcées qui permettraient de composer plus facilement avec les conceptions lefebvriennes. Le constat d'un tel retour à des valeurs communautaires plus centrales esttout à faitcontestable dans notre société d’hyperconsommation si orientée par les principes d’un capitalisme débridé. Des signes de ce retour peuvent cependant être signalés. Les préoccupations grandissantes concernantla «durabilité» de nos actions,milieux et productions nous semblent ainsi particulièrement signi1catives. En eQet,quand le rapportBruntland,bien nommé « notre avenir à tous »12, et les sommets qui s'en suivirent ont consacré pour la

première fois la notion de « sustainable developpement » (développementdurable),ils la dé1nirentbien selon trois piliers : économique,écologique etsocial.Ces conceptualisations visaient bien un principe : remettre au centre des considérations la recherche d'un bien-être commun et non plus la recherche du gain personnel. On voit déjà là les prémices de ce retour, ou en tous cas d’une reconceptualisation de nos rapports à l’individualité et au groupe. Sans doute également, les grandes crises pétrolières d’abord, 1nancières ensuite, ont-elles aussi participé à un détachementaux valeurs centrées sur l’individu en montrantles limites etdangers que celles-cipouvaientavoir.Les populations auraientainsiété amenées à mettre au centre de leurs préoccupations leurs rapports sociaux etleur position au sein de la communauté plutôtque le strictindividu comme corps actant, menantau regain d’intérêtpour les propos de Lefèbvre.

Il faut cependant largement relativiser ces propos. Nos sociétés contemporaines témoignent peut-être d’une forme

12 « Our common Future », rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l'ONU, 1987

d'intérêt plus grand pour des conceptions collectives qu’elles n’ont pu le faire dans les dernières décennies. Pour autant, elles n'ont pas remplacé les notions individuelles. La recherche du pro1tpersonnel,l'individu comme acteur centralde la vie – etde la ville – demeurent des principes ancrés dans notre quotidien. Ceux-ci,portées par des mécanismes capitalistes accrus,n’ontfait que gagner en puissance depuis les dénonciations de Lefèbvre13.

Dès lors, comment les notions de l’auteur ont-elles ainsi pu s’immiscer dans une société quire5ète sipeu les visions marxistes présidantà celles-ci?

C’esticique prennenttoute leur importance les manquements du Droit à la ville des origines et ses évolutions. En eQet, les moyens de mise en œuvre de ce droit à la ville étant largement absents dans l’œuvre de Lefèbvre, la porte fut alors grande ouverte aux interprétations etaux propositions de tous bords14.Si

les idées d’implication des habitants dans la construction de l’urbain ont pu refaire leur apparition aujourd’hui, c'est donc, semble-t-il, bien souvent au travers de conceptions assez éloignées des origines.Les principes centraux du Droità la Ville ont été adaptés, modi1és, interprétés de façon à mieux correspondre aux idéologies en place. Même si ces initiatives témoignent d’un intérêt pour le collectif, elles ne peuvent être confondues avec les propos de l'auteur,héritier du marxisme.Les ouvertures laissées par Lefèbvre ontdonc participé à une sorte de détournement de son œuvre. Mais elles seraient également un élément central ayant permis ce renouveau puisque rendant les conceptions suNsamment souples que pour s’adapter à nos contextes contemporains.

13 Pour une compréhension extensive de la continuité et des transformations des relations entre valeurs capitalistes et valeurs communautaires,voir :BoltanskiLuc, Chapiello Eve,Le nouvelesprit du capitalisme,Gallimard,1999.

The Right to the City:tenter de dépasser les