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4.3 Recombinaison

4.3.3 Recombinaison hétérologue intra-espèce

Enfin, Wagner (194) fait l’hypothèse que ces recombinaisons hétérologues intra-espèce

parti-cipent d’une forme de gestion du risque par les populations bactériennes. En effet, une fonctionnalité

peut être nécessaire uniquement pour survivre à un événement rare. Dans ce cas, porter l’information

génétique est un handicap la plupart du temps. Grâce autransfert latéralde gènes, il est envisageable

que seule une partie de la population bactérienne conserve l’information génétique d’une situation

rare. En quelque sorte, il y a mutualisation des coûts de stockage et de reproduction de l’information

génétique tout en assurant qu’une partie de la population est capable de survivre à un événement rare.

Il existe une forme analogue de gestion collective du risque chez l’homme : certaines maladies

possédant des facteurs génétiques existeraient précisément du fait que ces mêmes facteurs de

prédis-position procurent d’autres avantages à l’individu ou à la population dans son ensemble. Par exemple,

les schizophrènes semblent avoir une résistance accrue aux blessures et infections, ce qui a pu avoir

une grande importance dans le passé (38). De même, il existe une prédisposition au diabète qui se

dé-veloppe dans les conditions d’une alimentation riche en énergie et d’un style de vie sédentaire. Cette

prédisposition est héritée du passé où l’alimentation était irrégulière et les infections nombreuses (99)

et serait probablement un avantage dans de telles conditions.

Dans les deux cas, pour reprendre les termes de Doyle (33), il s’agit de tolérance hautement

op-timisée : de manière optimale, plus l’événement est rare, plus la fraction de la population susceptible

d’y résister est faible.

4.4 Conclusion

A côté des duplications de gènes, nous avons montré l’importance des différentes formes de

re-combinaisonsdans la convergence structure-fonction.

Certains cherchent à augmenter artificiellement les recombinaisons pour optimiser des

bacté-ries (32; 209). De manière plus théorique, des modèles montrent même l’impossibilité de l’évolution

en l’absence d’un taux de recombinaisonsuffisant. Xia et Levitt (206) développent par exemple un

modèle d’évolution artificielle de protéines qui échoue à évoluer vers la forme la plus robuste en

absence derecombinaison, du fait de l’énorme espace des possibles. Ce genre de « catastrophe de

complexité », ainsi que le formule Kauffman (89), dans laquelle la sélection n’est plus efficace, ne

peut être évitée que par une sélection permanente de l’évolutivité, c’est-à-dire par une amélioration

continue de l’adéquation des variations structurelles aux variations fonctionnelles. De manière

ima-gée, on peut dire que le « bricolage » évolutionnaire si cher à François Jacob (78) et présent à tous

les niveaux d’observation du vivant (49) ne serait probablement pas efficace sans un « bricolage du

bricolage » favorisant l’apparition d’assemblages bénéfiques.

Insistant sur l’importance de cette organisation du génome liée aux recombinaisons, les deux

chapitres suivants présentent deux études en montrant une nouvelle facette pour la première et utilisant

des résultats connus à son propos pour la seconde.

La première étude montre que lesopéronssont plus longs lorsqu’ils sonttranscritsdans la même

direction que laréplication. Ceci suggère que la longueur desopéronsest soumise à une pression de

sélection. Ainsi, il pourrait exister une pression de sélection à la modularité, du simple fait que les

modules de grande complexité sont défavorables pour l’organisme qui les porte.

La seconde étude se base sur l’existence d’une convergence structure-fonction entre les points de

recombinaisonqui délimitent les modules structurels de l’ADN et les gènes qui marquent une des

plus fortes modularités fonctionnelles des organismes vivants, les premiers se situant majoritairement

entre les seconds. Sur la base de cette hypothèse, nous construisons une nouvelle méthode d’analyse

des études d’association génétique se focalisant sur l’obtention de résultats fonctionnels

(associa-tion potentielle de gènes avec un caractère) plus que structurels (associa(associa-tion potentielle de muta(associa-tions

localisées de l’ADNavec un caractère).

Le biais d’orientation et de longueur des

unités de transcription bactériennes

5.1 Introduction

Si on peut lister la liste des bénéfices potentiels desopéronspour les organismes susceptibles de

les intégrer et de les exploiter, il est nécessaire de constater certaines limites à leur existence.

– Tout d’abord, il faut que l’organisme hôte puisse survivre, au moins dans certaines conditions

sans posséder l’opéron. Ainsi, les gènes correspondant aux enzymes du métabolisme central

(ensemble des réactions chimiques liées à la production d’énergie par les cellules) ne sont pas

de bons candidats pour former unopéron, car aucun organisme ne peut s’en dispenser.

– Ensuite, il ne suffit pas d’intégrer unopéron, encore faut-il qu’il soittranscritde manière

adé-quate (au bon moment, au bon endroit). D’un côté, le fait de recevoir toute l’information

gé-nétique en une seule fois et d’avoir la possibilité de réaliser un seultranscrit(ARNmessager)

pour l’ensemble des gènes réduit le nombre de régions régulatrices fonctionnelles nécessaires :

il suffit d’obtenir par mutation une seule région régulatrice en amont de l’opéron(car il est peu

probable qu’une région régulatrice adaptée à un organisme fonctionne dans un organisme un

tant soit peu éloigné).

– De l’autre côté, la force de l’opéron(la modularité et la mutualisation de la région

régula-trice) est aussi une faiblesse. En effet, il se trouve – mais est-ce une coïncidence ? – que, en

très grande majorité, les organismes acceptant les opérons sont aussi ceux qui n’ont qu’une

origine de réplication. Pour ces organismes, il est fréquent que la vitesse deréplication soit

un facteur limitant de la division. Or, la plupart des bactéries résolvent mal les collisions entre

lestranscriptases et la ou lesréplicases. En règle générale, vu la pression afin d’accélérer la

réplication, latranscriptionest purement et simplement arrêtée par laréplicase. Si le transcrit

(ARNmessager) n’est pas complet, dans le meilleur des cas il se dégradera rapidement, dans le

pire des cas, il produira uneprotéineincomplète qui pourra avoir des effets délétères. Il existe

donc une pression de sélection visant :

– à raccourcir la longueur des gènes et desopérons;

– à les orienter dans le sens de laréplication. Ainsi, ils sont lus dans le même sens à la

cription et à la réplication. La réplicase entre donc en collision moins souvent avec la

trans-criptase du fait d’une vitesse relative moins élevée.

Lesopéronsont donc une taille limite, non pas tant par la capacité d’intégration d’ADN

nou-veau par la bactérie, mais simplement par son incapacité à transcrire efficacement les derniers

gènes d’unopérontrop long lors des périodes deréplicationrapide. De plus, on a montré que

cette pression est d’autant plus grande que le gène est important pour la fonction de fitness de

l’organisme (143) et que le gène est fortement exprimé (186).

Ainsi, à la manière de la fable de Tempus et Hora de Herbert Simon

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, il existe une pression pour

obte-nir une forte modularité structurelle de l’organisation du génome : il est nécessaire que destranscrits

relativement courts puissent être utilisés par l’organisme, autrement dit qu’ils aient une fonction.

C’est l’objet de l’article suivant que de montrer cette limitation intrinsèque de la longueur des

gènes par un modèle liant le biais d’orientation, qui était déjà connu et dont on a approfondi depuis

l’analyse (8), au biais en longueur, que nous avons mis en lumière. Ce biais en longueur suggère

l’importance de la contrainte de longueur pour les unités de transcription bactériennes. Si cet

ar-ticle montrait qu’il n’était pas nécessaire que laréplicationsoit davantage ralentie par les collisions

frontales que par les collisions colinéaires, des études postérieures à l’article et y faisant référence

suggèrent que la pression de sélection est majoritairement sur la vitesse deréplication, fortement

ralentie par les collisions frontales, plutôt que sur la diminution destranscritsincomplets (143).