1.3 Modularité des systèmes évolutifs et fonctionnels
1.3.4 Fonction et modularité vis-à-vis de l’environnement
On peut déjà souligner un point d’importance dans le débat sur la possibilité d’attribuer une
fonction à un système : sans cette convergence, il n’est pas possible d’attribuer une fonction à une
structure. Ainsi, l’existence même d’un système d’étude muni d’une fonction objectif suppose que ce
système soit modulaire structurellement et fonctionnellement vis-à-vis de son environnement.
Ce problème avait déjà été identifié, par exemple par Langlois (106) ou par Watson (199) : il y a
des limites à la définition de la fonction d’un système, car celle-ci suppose l’indépendance du système
par rapport à son environnement, ce qui est rarement parfaitement le cas. De manière imagée, on peut
voir l’ours blanc comme un organisme adapté à l’Arctique tandis que l’Arctique est un environnement
constant. Il en est souvent ainsi, c’est-à-dire qu’il est généralement possible de considérer qu’un
sys-tème possède une fonction objectif lié à un environnement constant car le syssys-tème a peu d’influence
sur son environnement. Cependant, il arrive que « l’ours blanc modifie l’Arctique ». C’est-à-dire que
le système influe sur son environnement de manière sensible. Cela signifie qu’il est impossible de
définir une fonction objectif du système indépendamment des variations de l’environnement : il est
nécessaire d’inclure une représentation des interactions de l’environnement et du système dans le
système étudié. Il est donc nécessaire d’étudier le système non modulaire constitué du système initial
et de son environnement. Ceci illustre parfaitement la réflexion théorique de Toussaint (179) sur la
nécessité d’une modularité à la fois structurelle et fonctionnelle d’un système vis-à-vis de son
envi-ronnement : il est impossible d’optimiser un système sur la base de sa seule fonction objectif si elle
ne dépend pas seulement de sa configuration. De fait, la fonction objectif partielle définie par rapport
à un environnement donné n’a pas de sens pour l’évolution du système en cas d’influence mutuelle.
A l’inverse, un système isolé ne peut pas avoir de fonction : La fonction n’est pas intrinsèque
au système. Elle dépend de son intégration dans un système fonctionnel plus vaste. Par exemple, un
livre épais constituera un bon moyen de caler un meuble bancal. On ne peut cependant pas dire que le
livre « contienne » sa fonction : elle lui est donnée par la personne qui l’a utilisé comme une simple
cale. Ainsi, tant du point de vue structurel que fonctionnel, la recherche de modules dans unsystème
évolutif et fonctionnelest nécessairement un équilibre entre intégration fonctionnelle et indépendance
structurelle (64).
1.3.5 Conclusion
Cette partie a montré l’existence d’un lien profond entre variabilité de la structure et séparabilité
de la fonction et modularité dans lessystèmes évolutifs et fonctionnels. Elle a aussi montré les limites
à la définition de la fonction dans ces systèmes. Dans les parties suivantes, on déclinera le principe
général de convergence structure-fonction pour différents systèmes évolutifs et fonctionnels. Après
avoir décrit ces systèmes et mis en lumière cetteconvergence, on s’intéressera particulièrement à ses
conséquences en termes de robustesse et de flexibilité.
Applications
Dans le Chapitre (1), nous avons explicité de manière formelle le lien entre modularité
structu-relle et la modularité fonctionnelle. Ce chapitre vise à l’illustrer à travers des exemples desystèmes
évolutifs et fonctionnels. Nous nous intéressons à trois classes de tels systèmes :
– les méthodes mathématiques d’optimisation, qui peuvent parfois s’inspirer des systèmes
sui-vants, ou bien être utilisées pour les modéliser ;
– les systèmes techniques et économiques ;
– l’évolution du vivant (et non le développement d’un organisme vivant).
Dans un premier temps, ce chapitre explicite dans quelle mesure il est possible d’identifier la
fonction et les mécanismes d’évolution des systèmes des deux premiers types, c’est-à-dire dans quelle
mesure ce sont des systèmes évolutifs et fonctionnels. On montre aussi dans quelle mesure ces
mé-canismes assurent la convergence structure-fonction. Dans un deuxième temps, ce chapitre montre
comment cette convergence, généralement alliée à une variabilité fonctionnelle non nulle, apporte
robustesse et flexibilité à ces systèmes.
2.1 Exemples de convergence structure-fonction
Lessystèmes évolutifs et fonctionnels ont tendance à posséder des modularités à la fois
structu-relles et fonctionnelles. On peut donner par des exemples un aperçu des développements des sections
suivantes :
– Certains groupement de gènes apportent une contribution partiellement séparable à la fonction
de fitness de l’organisme qui les porte. Par exemple, les gènes à l’origine de l’établissement des
segments de polarité chez la drosophile forment un module évoluant de manière relativement
indépendante (115; 36).
– Dans les sociétés humaines, la monnaie est l’instrument par excellence de modularisation de
l’économie. En effet, elle permet de découpler la gestion des limitations de ressources entre les
différents acteurs d’une société. Son objectif est de décomposer le problème d’optimisation de
l’utilisation des ressources de façon à ce que la résolution, par chacun, de son sous-problème
consistant à obtenir « le plus » de l’argent dont il dispose, conduise à l’optimum global.
– Les mathématiciens et les informaticiens cherchent toujours à « exploiter la structure » du
pro-blème d’optimisation qu’ils essaient de résoudre. Ils parlent en fait d’exploiter structurellement
la modularité fonctionnelle du problème. En général, cela commence par choisir des variables
les plus indépendantes possibles les unes des autres. Ceci revient souvent à décomposer le
pro-blème en propro-blèmes qu’il est possible de résoudre de manière relativement indépendante, par
exemple liés par un petit nombre de contraintes couplantes. Ainsi, les méthodes de
décompo-sition par les prix utilisent la modularité en s’inspirant du rôle de la monnaie dans l’économie :
elles cherchent à trouver le « prix » de chaque contrainte couplante afin que la résolution de
chaque sous-problème intégrant les « prix » de ces contraintes mène à l’optimum global. De
même les algorithmes dit « génétiques » cherchent à découvrir la modularité de la fonction à
optimiser (65; 198; 75) en utilisant des méthodes s’inspirant notamment de l’évolution
natu-relle (68; 183). En particulier, les opérateurs derecombinaisons’inspirent de larecombinaison
génétique, qui est un des processus évolutionnaires de gestion de la modularité. En effet, allié
à la sélection, ils permettent de regrouper sur un même chromosome puis de transmettre
en-semble les informations couplées du système tout en séparant les informations indépendantes
du point de vue de l’objectif par desrecombinaisons. Ainsi, l’évolution est biaisée vers
l’explo-ration des solutions accessibles par des recombinaisonsde segments d’information (modules
structurels) indépendants fonctionnellement.
Cependant, même si cela relève plus de l’exception que de la règle, tous les systèmes évolutifs
et fonctionnelsne sont pas modulaires. Ainsi dans la plupart des réseaux de neurones artificiels, il
est impossible de donner un sens aux calculs réalisés par les couches intermédiaires, qui dépendent
du bruit stochastique de l’apprentissage (165; 7). De même en neurologie, il existe des cas où il est
impossible lier une structure et une fonction. Par exemple, on montre que la modularité fonctionnelle
n’est pas nécessairement exploitée sous forme de modularité structurelle (140).
Dans le document
La convergence des modularités structurelles et fonctionnelles des systèmes complexes
(Page 50-53)