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Les recherches sur les réseaux sociaux numériques : une tentative de synthèse

Les réseaux sociaux numériques, un nouveau champ de recherche

3. Les recherches sur les réseaux sociaux numériques : une tentative de synthèse

Les recherches qui se développent autour des sites de réseautage en ligne (voir annexe 1), expriment l’engouement grandissant des chercheurs intéressés, en grande partie, par les liens amicaux entre les membres de ces réseaux (Boyd et Ellison, 2007 ; Rosen, 2007 ; Donath, 2007 ; Zhao et al., 2008), les problématiques de vie privée et d’identité

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Voir article à l’URL : http://entretiens-du-futur.blogspirit.com/archive/2008/10/02/la-mutation-inachevee- de-la-sphere-publique.html

10 L’intelligence collective est définie comme étant les ressources intellectuelles d’une communauté issues

des échanges et interactions entre ses membres. Elle regroupe des compétences, des expertises, des idées, des visions, etc. (Olivier Zara, 2008, Le Management de l’Intelligence Collective : vers une nouvelle

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numérique (Dwyer et al., 2007, Cardon, 2008, Georges, 2009 ; Zhao et al., 2008) et la notion de capital social (Pfeil et al., 2009 ; Steinfield et al., 2008). D’autres études ont tenté de modéliser les variables pilotes dans l’intention d’utiliser ou ne pas utiliser ces plates- formes de communication (Baker et White, 2010 ; Kwon et Wen, 2010 ; Rosen et Sherman, 2006 ; Sledgianowski et Kulviwat, 2008). Bien rares sont celles qui ont considéré l’importance de leur post-adoption et plus spécifiquement celle de la continuité de leur usage (Hu et Kettinger, 2008 ; Wang et Xu, 2008 ; Kefi et al., 2010).

Dans le tableau suivant, nous résumons les principales thématiques de ces travaux avant de les détailler dans les paragraphes qui suivent.

Tableau 5 . Thématiques de recherche sur les RSN

Thématiques traitées Auteurs

Capital social Enders et al., 2008 ; Steinfield et al., 2008 ; Pfeil et al., 2009 ; Valensuela et al., 2009.

Identité sur les RSN

Lampe et al., 2007 ; Cardon, 2008 ; Lewis et al., 2008 ; Zhao et al., 2008 ; Georges, 2009 ; Ertzscheid, 2009 ; Pempek et al., 2009 ; Granjon et Denouël, 2010.

Personnalité et usage des RSN

Twenge, 2006 ; Rosen et Kluemper, 2008 ; Kefi et al., 2010 ; Ross et al., 2009 ; Twenge et Campbell, 2009 ; Amichai- Hamburger et Vinitzky, 2010 ; Lu et Hsiao, 2010.

Liens amicaux Rosen, 2007 ; Stenger et Coutant, 2010 a

; Stenger et Coutant, 2010b.

Adoption et acceptation des RSN

Rosen et Sherman, 2006 ; Hargittai, 2007 ; Sledgianowski et Kulviwat, 2008 ; Burke et al., 2009 ; Kwon et Wen, 2009.

Post-adoption et continuité d’utilisation des RSN

Hu et Kettinger, 2008 ; Wang et Xu, 2008 ; Baker et White, 2010 ; Liu et al., 2010 ; Shi et al., 2010 ; Chang, et Zhu, 2011 ; Huang et Lin, 2011 ; Lin et Lu, 2011 ; McKnight et Lankton, 2011 ; Mlaïki et al., 2011 ; Shin et Hall., 2011 ; Turel et Serenko, 2011.

Relations en ligne versus hors ligne

Donath, 2007 ; Geyer, 2007 ; Ploderer et al., 2008 ; Subrahmanyam et al., 2008 ; Richardson et Hessey, 2009.

Confiance et vie privée au sein des RSN

Donath, 2007 ; Dwyer et al., 2007 ; Lankton et McKnight, 2008 ; Stenger et Coutant, 2010c.

Usage des RSN Lewis et al., 2008 ; Rau et al., 2008 ; Coutant et Stenger, 2009 ; Kim et al., 2010 ; Roblyer et al., 2010.

Usages des RSN en entreprises

Poynter, 2008 ; Brown et al., 2007 ; Cooke et Buckley, 2008 ; Page, 2008 ; Langheinrich et Karjith, 2010.

3.1. Les réseaux sociaux numériques, un outil de la mise en scène de soi La thématique de l’identité est l’une des plus abordées au niveau des recherches qui ont porté sur les réseaux sociaux numériques et leurs usages. En effet, certains travaux se sont focalisés sur la manière dont les individus affichent leurs identités sur ces sites de

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réseautage (Cardon, 2008 ; Granjon et Denouël, 2010 ; Georges, 2009). Ils ont suivi Boyd (et Heer, 2004 ; 2006), la première à s’y être intéressée en travaillant sur l’utilisation des sites Friendster et Myspace par un échantillon d’adolescents américains. Elle a mis en valeur l’importance des informations que les utilisateurs diffusent sur les pages de profils ainsi que celle des listes de contacts dans la constitution de leur identité numérique, ces éléments représentant des « signaux » de leurs identités (Donath, 2007). En se basant sur la théorie du signal, Donath (2006) démontre, à son tour, la facilité d’assurer la crédibilité de ces informations publiées en ligne à partir du moment où l’individu place dans son réseau virtuel des contacts connus dans la vie réelle, condition nécessaire pour une validation implicite de ces informations.

Cette identité numérique n’est ni figée, ni toujours similaire. Cardon (2008), qui a également suivi les stratégies de mise en visibilité de soi sur les groupements sociaux, a construit une matrice pour en reconnaître les différentes dimensions, tenant compte des éléments que les individus divulguent en ligne. D’autres chercheurs ont également choisi d’étudier la notion d’identité et plus particulièrement la manière dont l’utilisation de ces plates-formes agit sur le développement identitaire de leurs utilisateurs. Ainsi, Liu (2007), Lewis et al., (2008) ont examiné le rôle des goûts dans la constitution de liens sociaux sur ces sites. Kaufman (2004) voit dans les réseaux sociaux des supports de communication qui permettent aux plus jeunes de « s’inventer une identité », vue l’existence de grands écarts entre l’identité réelle (sa vraie identité), l’identité perçue (l’identité telle qu’elle est perçue par l’autre) et l’identité voulue (la manière dont la personne veut être).

3.2. Les réseaux sociaux numériques, des annuaires des liens amicaux Les différents slogans qui présentent les réseaux sociaux numériques attestent que tous les contacts y sont désignés par le terme « amis », indépendamment de leur nature (familiale, amicale, professionnelle, etc.) et de l’intensité des relations qui les lient aux autres. Célébré pour son utilité sociale, Facebook permet aux gens de se connecter à leurs amis alors que Myspace se définit comme « le lieu qui héberge les liens d’amitié ». Rosen (2007) pour qui l’amitié est avant tout un sentiment qui s’épanouit au sein d’un cercle fermé, constate que « l’amitié publique » est un oxymore. Ainsi l’amitié virtuelle se révèle- t-elle différente de l’amitié dans la vie réelle. Notre auteure soutient que les RSN encouragent la « bureaucratisation de l’amitié » puisqu’ils permettent de gérer les contacts virtuels. Pour Lampe et al., (2007) et Ellison et al., (2007), la plupart des adeptes de

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Facebook s’en servent pour maintenir le contact avec des personnes connues dans la vie réelle (Subrahmanyam et al., 2008).

3.3. La création de la valeur relationnelle à l ’ère des réseaux sociaux numériques : le capital social

Des recherches se sont penchées sur le rôle des réseaux sociaux numériques dans la construction d’un capital social (Steinfield et al., 2008 ; Ellison et al., 2007 ). Certainement, les liens entretenus au sein de ces sites peuvent être enrichissants, mais ils autorisent également l’accès à d’autres liens jusque-là inaccessibles en dehors du réseau social initial. A ce propos, Steinfield et al. (2008) se demandent justement si « l’utilisation d’un réseau social numérique tel que Facebook permet de construire un capital social dans le temps », or l’étude empirique démontre clairement l’existence d’une forte corrélation entre l’intensité d’utiliser ce site et la valeur perçue du capital social. Ces auteurs confirment l’existence de deux types de capitaux sociaux : l’un affectif (bonding capital) construit avec les membres d’un même réseau social et l’autre de liaison (bridging social capital), investi pour accéder à d’autres RS. Ils prouvent que la relation entre l’intensité d’utiliser Facebook et la valeur perçue du capital social est modérée par l’estime de soi, étant plus forte chez les individus dont le niveau de l’estime de soi est faible. Cucchi et Fuhrer (2011) ont montré que le capital social des acteurs influence leurs usages des technologies de l’information et de la communication. Pour ce faire, ils se sont basés sur trois dimensions de ce capital : la dimension structurelle (concerne les liens entre les acteurs membres du réseau), la dimension relationnelle (liée aux attributs constitutifs des relations au sein du réseau tel que la confiance et les normes partagées) et enfin la dimension cognitive (concerne les connaissances échangés entre les acteurs ainsi que le sens produit par leurs interactions). Ils se sont alors penchés sur l’étude de plusieurs technologies qui sont : la messagerie électronique, le téléphone, Skype et le réseau social Facebook. Ils ont alors pu démontrer que les différentes dimensions du capital social influencent différemment l’usage des technologies étudiées. Dans le cas de Facebook, alors que la dimension structurelle façonne son usage, les deux autres ne s’avèrent pas significatives.

3.4. L’adoption et l’utilisation des réseaux sociaux numériques

Certaines recherches en SI ont identifié des facteurs qui agissent dans l’adoption des réseaux sociaux numériques. Kwon et Wen (2009) ont appliqué le TAM dans leur modèle démontrant ainsi le rôle significatif de variables comme le soutien, la facilité

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d’usage et l’utilisation perçus sur l’utilisation actuelle des plates-formes de socialisation en ligne. En poursuivant leur idée, Rosen et Sherman (2006) trouvent que l’acceptation de Facebook par les usagers est influencée par trois facteurs, à savoir : l’amusement perçu à l’égard de ce site, la masse critique (le seuil requis du nombre des contacts en ligne, poussant l’individu à s’y connecter à son tour) et la facilité d’usage perçue. D’autres chercheurs ont préféré viser plutôt la phase de la post-adoption en se proposant de retrouver les facteurs qui poussent les personnes à continuer d’utiliser ces outils de communication (variable intentionnelle) (Hu et Kettinger, 2008 ; Wang et Xu, 2008 ; Kefi et al., 2010 ; Baker et White, 2010 ; Mlaïki et al., 2011 ). L’attention portée à cette phase de la post-adoption nous semble adéquate surtout avec l’évolution rapide de ces outils et l’accroissement de la concurrence, ce qui peut rendre les individus fidèles à une plate- forme de réseautage spécifique.

3.5. Les réseaux sociaux numériques , un lieu pour l’expression politique De nos jours, le recours au web s’avère bien profitable et très avantageux : il permet non seulement de diminuer les coûts de diffusion de l’information mais aussi de toucher un plus grand nombre de personnes (Di Gennaro et Dutton, 2006, p.300).

Avec l’avènement du web 2.0 et celui des réseaux sociaux numériques (RSN), de nouvelles possibilités de communication s’ouvrent à ceux qui souhaitent partager leurs convictions politiques et en discuter pour attirer le plus grand nombre d’adeptes ou bien soigner l’image d’une entreprise et la propulser sur la devanture virtuelle tout en atteignant et impliquant tant le personnel que le public.

L’exemple le plus frappant est celui de Barack H. Obama, candidat du parti démocrate pour la Présidence des Etats-Unis en 2008 : après avoir bénéficié lors de sa campagne électorale du soutien des internautes et notamment celui des Facebookeurs, il est passé dans l’Histoire comme étant le premier président d’une république (et pas n’importe laquelle) à avoir usé et profité de Facebook.

Initialement conçu pour permettre des discussions entre «amis», voici que ce réseau social se transforme en un espace d’expression servant une cause politique, une réalité nouvelle dont rares sont les études en SI qui ont témoigné ou même évoqué l’utilisation en tant que telle. L’exemple des récentes révolutions tunisienne (Mlaïki, 2011) et égyptienne (Attia et al., 2011) atteste du rôle important des RSN (Twitter et Facebook) dans la diffusion de l’information et la coordination d’actions collectives, contribuant à libérer deux pays de régimes totalitaires et à prouver la puissance de la liberté d’expression

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comme une force en faveur des droits de l’homme dans ces pays, représentant désormais un élément puissant de l’héritage de leurs sociétés. Personne n’aurait pu concevoir ni planifier l’emploi conjugué de ces plates-formes de socialisation, et moins encore leur influence, dans la propagation considérable de l’information à une échelle mondiale, la passant du local au global. Ceci confirme le caractère imprévisible de l’usage des technologies de l’information et de la communication (Orlikowski, 1999).

3.6. Les réseaux sociaux numériques au service des entreprises

Conscients du pouvoir de diffusion de ces plates-formes de réseautage, le monde des entreprises et les professionnels leur portent un intérêt de plus en plus croissant ; ils s’y investissent (encore assez timidement), soit en privilégiant la communication interne pour améliorer la collaboration entre collègues (Ganesh et Padmanabhuni, 2007), soit en mettant l’accent sur la communication externe et le management de la relation clients (Garnier et Hervier, 2011). Plusieurs chercheurs en marketing ont commencé à s’intéresser aux rôles joués par ces outils dans la communication avec les clients (Brown et al., 2007 ; Cooke et Buckley, 2008 ; Page, 2008 ; Poynter, 2008). Pour Poynter (2008), les marques sont de plus en plus conscientes de la nécessité d’être à l’écoute de leurs clients et d’aller les chercher là où ils sont. Langheinrich et Karjoth (2010) considèrent que ces sites de communication peuvent servir pour faire du marketing viral ou bien comme un outil de communication du leadership.

Mark Zuckerberg affirme à ce propos, que « la référence de quelqu’un en qui [les utilisateurs] ont confiance influence plus les gens que le meilleur message télévisé. C’est le Saint-Graal de la publicité. »

Les réseaux sociaux sont également de plus en plus utilisés par les entreprises dans la recherche de nouvelles compétences (Girard et al., 2011). L’apparition des termes « RH 2.0 » et « e-RH » (Kalika, 2002) ; en témoignent. Une enquête réalisée en 2010 par le cabinet Robert Half sur 13 pays européens confirme cette tendance puisqu’elle démontre que les réseaux sociaux sont de plus en plus utilisés pour le recrutement surtout en Norvège (41%), en Italie (34%) et en Allemagne (31%). La France suit avec 27% de recruteurs qui se servent des RSN pour identifier de nouveaux talents. En Autriche, 34% des employeurs affirment utiliser ces plates-formes pour améliorer la collaboration et la communication au sein de l’entreprise contre 23% en France.

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Conclusion

Les réseaux sociaux numériques, initialement conçus pour permettre des échanges avec un cercle proche, sont désormais utilisés dans les entreprises mais également à d’autres fins (veille informationnelle, expression politique, promotion artistique, etc.). Ceci démontre que ces outils de communication confirment une fois de plus que dans l’ère actuelle, il est de plus en plus difficile de séparer la vie professionnelle de la vie personnelle au point de penser que l’individu « transporte avec lui son univers intime dans l’espace public spatial ou virtuel. » (Jouet, 2000, p.510). Ces sites de socialisation ont aidé à « amincir » aussi bien les frontières entre vie privée, vie professionnelle et organisationnelle (coopération entre individus appartenant à différentes organisations) que celles nationales.

Carrel (1935, p.358) affirmait que « d’autres modes d’existence et de civilisation sont possibles ». A l’époque, le monde était bien loin de présager l’avènement de ces sites qui ont ébranlé notre quotidien matériel et affectif puisqu’ils ont révolutionné notre manière de communiquer avec autrui. Garnier et Hervier (2011), quant à eux, considèrent que les réseaux sociaux constituent l’avenir des entreprises qui seront amenées à les utiliser massivement dans le futur pour plusieurs raisons :

- une pression économique qui les pousse à profiter de l’effet réseau ;

- une prise de pouvoir des clients qui les incitent à se joindre à la discussion en ligne et à soigner leurs e-réputations ;

- des opportunités à saisir et une possibilité de toucher un plus grand nombre d’auditeurs.

Pour répondre à ces besoins, plusieurs solutions de réseaux sociaux d’entreprises ont été développées (BlueKiwi, SharePoint, Feedback 2.0, etc.) ; certaines entreprises ont employé et investi des ressources humaines et matérielles importantes dans ces technologies nouvelles et alléchantes dans leur primeur. Or, sans vouloir pasticher Alain qui refusait les dernières découvertes – « cela ne cultive point, cela n’est pas mûr pour la méditation » écrivait-il dans ses Propos (1921, p. 221) – il ne faut guère oublier de réfléchir sur le long terme même si cette affirmation peut sembler anachronique en parlant de moyens nés pour évoluer perpétuellement. Prévoir l’efficience ou le rendement de ces outils n’étant pas possible, il faut au moins prendre en considération les risques réels de leur non utilisation effective : en variant si rapidement, ils préservent ou sauvegardent difficilement la fidélité acquise de leurs utilisateurs. Cette interpellation implique automatiquement celle de la

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post-adoption (avec ses différents fondements théoriques) des réseaux sociaux numériques et particulièrement celle de la continuité de leur utilisation. Nous nous en préoccuperons dans le chapitre suivant avant d’évoquer le travail de terrain que nous avons effectué pour consolider et développer notre problématique de recherche.

La revue de la littérature que nous avons réalisée dans ce chapitre va nous permettre d’appréhender notre question de recherche en considérant les dimensions relationnelle, sociale et technique de ces plates-formes de communication. Elle nous autorise aussi à nous positionner par rapport aux études relatives au sujet qui nous habite et à développer nos propres contributions.

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