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2.3 Les constats exprimés par les acteurs de terrain

2.3.8 Recherches non interventionnelles : un nouveau champ pour les CPP

[136] La loi Jardé prévoit que tous les projets de recherche, y compris ceux relevant de la catégorie 3 « non interventionnelles », qui étaient auparavant soumis au CCTIRS, soient examinés par les CPP. Cette mesure vise principalement à répondre aux exigences du groupe de Vancouver de soumission des protocoles à un comité d’éthique pour toute publication dans une revue internationale à comité de lecture. Elle correspondrait également au souhait de nombre de chercheurs de disposer d’un véritable « guichet unique » de dépôt de leurs protocoles, afin de simplifier les procédures et accélérer le démarrage des inclusions.

[137] Ainsi, l’instance consultative pour la CNIL devrait devenir le réseau des CPP dès adoption des textes d’application. La CNIL a exprimé à la mission son scepticisme quant à la mise en œuvre d’un tel transfert, estimant que la loi Jardé devrait la priver d’un comité consultatif unique, qui a aujourd’hui l’expertise nécessaire et connait suffisamment ses exigences pour lui permettre un examen a minima ensuite en vue de délivrer son autorisation. Elle s’inquiète de l’hétérogénéité des CPP et considère qu’ils ne pourront assurer la même mission avant une longue période de formation et d’adaptation, les 39 comités devant par ailleurs s’enrichir à tout le moins d’épidémiologistes et d’experts en protection des données.

22 La fourniture gratuite par le promoteur des médicaments de l’essai est prévue depuis la loi Huriet pour les essais interventionnels (seuls concernés initialement par cette loi)

[138] La perspective de définition d’une méthodologie standard pour les recherches non interventionnelles serait une voie intéressante mais la CNIL, qui doit en prendre l’initiative, a étudié la question et considère qu’il faudra non pas une mais plusieurs MR-00X, complexes à définir, pour permettre une procédure accélérée pour tous les types de recherches concernés. Il importe de signaler que la loi Jardé ne prévoit pas la suppression du CCTIRS, l’article 9 laissant à la CNIL la possibilité de le saisir pour avis « dans le cadre de ses missions définies à l’article 54 de la loi no 78-17 du 6 janvier 1978 »23.

[139] L’actuel projet de décret prévoit une redistribution des dossiers entre CCTIRS et CNIL.

Ainsi, les études sur données déjà collectées resteraient soumises au CCTIRS. L’objectif de guichet unique pour les chercheurs risque donc d’être difficilement atteint, d’autant que certains projets pourraient avoir à suivre un véritable parcours du combattant lorsque la CNIL estimera nécessaire de saisir la CCTIRS après que le CPP ait donné son avis. De plus, l’article 9 serait incompatible avec certaines dispositions de la loi de 78 (article 53 et suivants). La CNIL a récemment appelé l’attention de la ministre de la santé sur ces différents sujets d’inquiétude (courrier en annexe 4).

2.3.8.2 Les CPP dans l’expectative

[140] Du côté des CPP, ceux que la mission a rencontrés ont exprimé une réelle inquiétude face à leur méconnaissance de ce type de dossiers, aux besoins en ressources complémentaires et à la charge de travail supplémentaire que cela représentera :

 A minima, les 960 dossiers annuels actuellement traités par le CCTIRS leur reviendront, ce qui représente, dans l’hypothèse d’une répartition homogène entre les actuels 39 CPP, 25 dossiers nouveaux par an, soit 2 à 3 dossiers supplémentaires par séance, auxquels s’ajoutent les modifications substantielles. Rappelons que le rapport IGAS de 2005 recommandait l’examen de 5 nouveaux dossiers par séance : le transfert des études observationnelles aux CPP représentera ainsi une augmentation de 40 à 50 % de la charge de travail pour chaque CPP, au moins durant les premiers temps de mise en œuvre24 ;

 Les études post-AMM (phases IV) demandées par les instances, au moins en matière de médicaments (ANSM, Commission de la transparence, nouvelle commission médico-économique CEESP, comité médico-économique des produits de santé CEPS), devraient augmenter dans les prochaines années. Il importe de signaler en particulier la montée en charge des études post AMM dites PASS (Post-Authorisation Safety Study) demandées et conçues au niveau européen (European medicinal Agency EMA).

[141] Par ailleurs, il importe de noter que la loi Jardé impose la soumission à l’avis d’un CPP de toutes les recherches non interventionnelles, ce qui peut aller bien au-delà du champ actuellement couvert par le CTIRS. Or :

 La majorité des recherches observationnelles comporte des questionnaires, qui peuvent avoir un impact et modifier la prise en charge des patients inclus. C’est un point qui fait débat en particulier dans le champ de la psychiatrie. Pour autant, il serait inconcevable que l’utilisation d’un questionnaire rende systématiquement la recherche interventionnelle ;

 Les thèses (environ la moitié des 8000 étudiants en médecine, dentaire, pharmacie chaque année concernés) et mémoires de DEA constituent souvent des « recherches sur la personne humaine » mais ne sont actuellement soumis ni aux CPP ni au CCTIRS (certaines confusions peuvent d’ailleurs être opérées entre données anonymes et données anonymisées, les promoteurs pensant pouvoir éviter le passage par la CNIL) ;

23 La CNIL a signalé à cet égard l’incompatibilité de cet article 9 avec la loi de 78 qui, elle, n’a pas été modifiée.

24 On peut imaginer que l’examen des protocoles d’études observationnelles demandera à terme moins de temps que celui des recherches de catégories 1 et 2, mais il faudra un temps de formation et d’adaptation important durant lequel la charge de travail risque au contraire d’être supérieure selon des interlocuteurs de la mission.

 Des comités d’éthique locaux ont souvent été constitués dans les CHU avant la loi Jardé, majoritairement pour répondre aux exigences du groupe de Vancouver sus-cité. Les projets de thèses, mémoires et enquêtes diverses leur sont parfois soumis ce qui introduit une nouvelle source d’hétérogénéité ;

 Les études rétrospectives ne sont pas pour l’heure soumises au CCTIRS : les experts de la loi Jardé estiment que la loi ne concerne que les recherches prospectives, considérant que lorsque les données existent la recherche n’implique pas la personne humaine. Ils estiment que le CCTIRS se recentrera sur cette mission, ce qui sera discuté plus loin à la lumière du récent rapport sur l’accès aux bases de données ;

 Huit Programmes nationaux de recherche (PHRC, PHRIP, PREPS, PRME, etc.25), dont certains sont très récents, ainsi que des recherches non médicales de type « STAPS » (sciences et techniques des activités physiques et sportives) vont ouvrir également la voie à de nouvelles demandes.

[142] Les CPP vont ainsi devoir se mobiliser, d’une part pour renforcer et diversifier leurs ressources, d’autre part pour se former à ces nouveaux domaines, enfin pour respecter des délais compatibles avec les exigences d’attractivité, de disponibilité des financements, de programmation et d’organisations afin d’éviter que les projets ne soient abandonnés ou que les équipes françaises en soient exclues.

[143] En tout état de cause, il importera que les textes d’application clarifient les types de recherches entrant dans la troisième catégorie de la loi Jardé qui devront être soumises aux CPP : il est en effet prévisible que si toutes les recherches citées ci-dessus devaient recevoir un avis de CPP avant leur mise en œuvre, les CPP seraient rapidement embolisés. Or, la compatibilité de l’exclusion règlementaire de certaines d’entre elles avec la définition qui en est donnée dans la loi est un des obstacles à la finalisation des textes d’application.

2.3.8.3 Le rapport de l’IGAS Pierre-Louis BRAS, avec la contribution d’André LOTH : les nouveaux enjeux de l’accès aux données de santé

[144] Un récent rapport26 analyse les perspectives ouvertes par l’accès aux bases de données, dont certaines, en particulier celles du SNIIR-AM et du PMSI27, sont d’une richesse telle qu’elles bouleversent radicalement les modalités de conduite des études non interventionnelles. La mise en œuvre de nouvelles cohortes (CONSTANCES, ELFE, etc.), est rendue possible par l’amélioration des systèmes d’information et devrait permettre la réalisation de nombreuses études intra-cohorte, mais pose également de nouvelles interrogations en termes de protection des données, des patients inclus, de proportionnalité des objectifs aux risques éventuels, de finalité d'intérêt général, etc.

25 Voir circulaire 18 mars 2013 : Programme hospitalier de recherche clinique national PHRC-N - Programme hospitalier de recherche clinique inter régional PHRC-I - Programme de recherche médico-économique PRME4 - Programme de recherche sur la performance du système des soins PREPS - Programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale PHRIP - Programme hospitalier de recherche clinique national en cancérologie PHRC-K - Programme de recherche médico-économique en cancérologie PRME-K - Programme de recherche translationnelle en cancérologie PRT-K

26 BRAS Pierre-Louis, LOTH André « Rapport sur la gouvernance et l’utilisation des données de santé » - Septembre 2013- http://www.drees.sante.gouv.fr/rapport-sur-la-gouvernance-et-l-utilisation-des-donnees-de,11202.html

27 Système National d’Information Inter-Régimes de l’Assurance Maladie et Programme de médicalisation des systèmes d’information

[145] Les objectifs de simplification poursuivis par la loi Jardé apparaissent de fait se heurter à ces évolutions, qui imposent de plus parfois un avis de l’Institut des données de santé (IDS), ou encore du Conseil national d’information statistique (CNIS, loi de 51 pour les données statistiques).

Certaines cohortes comportant une collection biologique doivent ainsi actuellement passer par un minimum de cinq guichets. Face à ces nouveaux enjeux, ce rapport recommande de renforcer le CCTIRS, en le dotant de compétences et de moyens sensiblement élargis. Il estime nécessaire de doter le CCTIRS d’experts plus nombreux, issus du public comme du privé, aux compétences plus étendues, incluant non seulement l’épidémiologie mais également l’économie et les sciences sociales, etc. Ils envisagent de rendre les procédures plus efficaces, notamment avec l’idée d’un traitement de type « fast track » pour les études commandées par la puissance publique ou pour certains types d'études standard. Ils estiment de plus indispensable de préserver, voire de renforcer une relation étroite avec la CNIL, laquelle suggèrerait d’intégrer des membres dans le CCTIRS pour n’avoir ensuite qu’un avis unique.