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V. Etiologie de la maladie d’Alzheimer

Nous l’avons déjà quelque peu évoqué plus haut, la maladie d’Alzheimer peut être divisée en deux formes assez distinctes. Dans ces prochains paragraphes, nous décrirons d’abord la forme familiale ou génétique et les différentes formes de mutations génétiques qui y sont associées. La forme sporadique sera ensuite décrite. Dans les deux cas, l’âge est le principal facteur de risque mais nous discuterons des autres éléments associés à la forme sporadique de la maladie. Cet exposé d’épidémiologie permettra surtout d’illustrer notre faible connaissance à propos de cette dernière forme.

Les formes familiales de la MA

Les patients atteints de formes familiales de la MA (FAD) sont très minoritaires puisqu’ils représentent moins de 1 % des cas. Le caractère héréditaire et le fait que les symptômes apparaissent de façon prématuré chez l’adulte (entre 30 et 50 ans) définissent ces formes bien particulières de la MA. Elles sont dues à des mutations à pénétrance complète de trois gènes différents : APP, PSEN1 et PSEN2.

Le gène APP est situé sur le chromosome 21 humain et a été le premier des trois gènes précédemment cités à être identifié en 1987 (Goldgaber, Lerman et al. 1987, Kang, Lemaire et al. 1987, Tanzi, Gusella et al. 1987). Une première mutation du gène APP, héréditaire et de type hollandais, fût identifiée en 1990 (Levy, Carman et al. 1990) mais associée à uniquement à des hémorragies cérébrales. C’est en 1991 que la première mutation du gène APP conduisant à une forme familiale de MA fut découverte. Nommée depuis cette date « mutation londonienne », elle représente une mutation faux-sens (V717I) (Goate, Chartier-Harlin et al. 1991). Peu après 1991, le lien de causalité entre la mutation de l’APP et l’augmentation du peptide Aβ a été démontré

30 (Citron, Oltersdorf et al. 1992, Cai, Golde et al. 1993). Depuis, en incluant les duplications, plus de 50 mutations de ce gène ont été mises en évidence (Alzforum).

Le gène PSEN1, ou PS1, est situé sur le chromosome 14 humain. Les premières mutations associées aux FAD furent identifiées en 1995 (Sherrington, Rogaev et al. 1995). Aujourd’hui, plus de 240 mutations ont été répertoriées sur ce gène et elles représentent jusqu’à 70 % des causes de FAD.

Enfin, le gène PSEN2, ou PS2, est localisé sur le chromosome 1. La première mutation conduisant à une FAD fût décrite très peu de temps après celle de son homologue PSEN1 (Levy- Lahad, Wasco et al. 1995) et 45 mutations (Alzforum) sur ce gène ont été découvertes depuis. Trois ans après la découverte des mutations liées aux PSEN 1 et 2, leurs rôles ont été précisés. Les présénilines font parties d’un complexe oligomérique appelée γ-sécrétase. Elles constituent les sites catalytiques de cette protéase qui est impliquée dans le clivage notamment de l’APP.

Globalement, les mutations des gènes APP, PSEN1 et PSEN2 entraînent une modification des protéines conduisant à augmenter le ratio Aβ42/Aβ40 (Tanzi and Bertram 2005). Nous

noterons tout de même que la mutation Suédoise de l’APP (K595N/M596L) augmente indépendamment toutes les espèces d’Aβ. D’autres entrainent la substitution d’acides aminés dans la région codant pour l’Aβ et favorisent ensuite leur agrégation. Enfin, les mutations touchant les PSEN entraînent une augmentation de leurs activités protéolytiques expliquant ainsi une production accrue de peptides Aβ.

Bien que ne représentant moins de 1 % des patients atteints de MA, ces formes familiales impliquant les mutations de ces trois gènes sont encore aujourd’hui l’un des seuls moyens d’études permettant une meilleure compréhension des formes sporadiques plus communes. Pour preuve, c’est en étudiant des patients atteints de Trisomie 21 âgés exprimant

de facto 3 copies du gène APP, que John Hardy et Gerald Higgins ont déduis que l’APP, son

clivage en Aβ et le dépôt de peptides amyloïdes constituaient certainement un événement majeur et initial dans la maladie. Cet élément leur a permis de formuler l’hypothèse de la cascade amyloïde, que je détaillerai plus tard compte tenu de son importance dans mon travail de thèse (Hardy and Higgins 1992).

Les formes sporadiques de la MA

Les formes sporadiques de la MA sont très largement majoritaires puisqu’elles représentent 99 % des cas. La grande différence avec les formes familiales est l’absence de facteur héréditaire identifié. Il serait faux de parler de formes non-génétiques puisque les facteurs de risque

31 génétiques et environnementaux interagissent ensemble. Il est par contre vrai qu’aucunes mutations sur les trois gènes cités plus haut ne sont retrouvées chez ces patients.

Les formes sporadiques peuvent être différenciées au moins en deux types, en fonction de l’âge d’apparition des symptômes : les formes précoces (Early-onset Alzheimer’s) et les formes tardives (Late-onset Alzheimer’s). Les formes précoces sont minoritaires (10 %), les troubles mnésiques et comportementaux apparaissent avant 65 ans. Les formes tardives sont finalement représentatives de la MA comme on l’entend au quotidien et sont définies par une atteinte comportementale bien après 65 ans. Dans ce cas, la complexité est très importante. Comme nous le savons maintenant, l’âge est le facteur le plus important, mais nous citerons ci-après des facteurs de risque qui ont été identifiés ces dernières années.

i. Facteurs de risques génétiques

Puisque les facteurs de risques génétiques et environnementaux interagissent ensemble dans le développement de la maladie, il est très difficile d’identifier de manière certaine de nouveaux loci d’intérêts. D’ailleurs, le seul variant génétique considéré comme un facteur de risque établi des formes sporadiques de la MA est l’allèle ε4 du gène APOE qui code pour l’apolipoprotéine E (ApoE) une glycoprotéine de 35 kDA (Amouyel, Brousseau et al. 1993, Strittmatter, Saunders et al. 1993). Dans le système nerveux central, l'ApoE s'exprime principalement dans les astrocytes, mais aussi dans la microglie et les oligodendrocytes, où elle joue un rôle essentiel dans le transport du cholestérol et des phospholipides de ces cellules gliales vers les sites de régénération et de remyélinisation des membranes neuronales (Poirier 2005). Il existe trois allèles du gène APOE : APOE ε2 (7 à 8 % de la population), APOE ε3 (75 à 80 % de la population), APOE ε4 (15 % de la population). Alors qu’une copie de l’allèle ε4 augmente d’environ quatre fois le risque de développer une MA, la présence de deux allèles augmentent ce risque de dix à douze fois. Contrairement aux mutations rencontrées dans les formes familiales qui sont suffisantes pour causer la MA, la présence d’allèle ε4 n’est ni nécessaire, ni suffisante pour induire la maladie. La présence de cet allèle avance l’âge d’apparition de la MA de manière dose dépendante (Corder, Saunders et al. 1993). Il a été démontré que 62 % des patients atteints d’une forme sporadique de la MA possèdent l’allèle ε4. Enfin, les patients homozygotes pour ε4 présentent plus de dépôts amyloïdes que les patients homozygotes pour

ε3. De façon intéressante, ces loci sont liés à une hypothèse émise par Finsh, voulant que

l’évolution des allèles ε2 et ε3 humains d’un gène ε4 ancestral (le seul isotype ApoE retrouvé chez les primates non humains) aurait facilité la croissance dramatique du cortex cérébral humain (Finch 2003). Potentiellement lié à cette hypothèse, l’expression exclusive (homozygotie) ou

32 même partielle (hétérozygotie) de l’allèle ε4 apporte des désavantages avérés, en particulier dans le cadre de la MA. Ainsi, d’après plusieurs études, (i) ε4 serait plus sensible que les autres isoformes à une dégradation pathologique diminuant donc la mobilisation lipidique et leur intérêt dans la réparation neuronale, la plasticité synaptique et leur pouvoir protecteur dans les processus neurodégénératifs (Finch and Sapolsky 1999, Acharya, Segall et al. 2002) ; (ii) la formation accrue de fragments tronqués de l'isoforme ε4 favoriserait la formation de DNFs (Shi, Yamada et al. 2017) ; (iii) le dépôt de peptides Aβ serait plus prononcé dans les cerveaux des porteurs ε4 vieillissants (Schmechel, Saunders et al. 1993, Bennett, Wilson et al. 2003) et (iv) les lésions cérébrales ischémiques et les lésions de la substance blanche liées à l'hypertension, facteurs de risques non génétiques développés plus bas, seraient favorisés chez ces patients ε4 positifs (Laskowitz, Sheng et al. 1997, de Leeuw, Richard et al. 2004).

Ces dernières années ont vu l’avènement d’études d’associations pangénomiques ou GWAS en anglais (Genome-Wide Association Study) qui visent à corréler les variations génétiques d’une population humaine importante à leurs traits phénotypiques. Regroupant actuellement des dizaines de milliers de participants, elles comparent des sujets sains à des patients pour déterminer la fréquence des altérations alléliques associées aux pathologies (Tosto and Reitz 2013). Dans le cadre de la MA, ces GWAS ont mis en évidence de nombreux loci. Outre le métabolisme de l’APP, lié aux formes familiales de la MA, plus de 20 gènes associés aux formes sporadiques ont pût être identifiés et regroupés en trois grandes familles relatives à leurs fonctions physiologique (Figure 11).