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La recevabilité de l’action en réparation du préjudice écologique pur améliorée

Dans le document La nature, sujet de droit ? (Page 46-48)

Section II – L’utilité procédurale de l’institution de la nature comme sujet de droit

A. La recevabilité de l’action en réparation du préjudice écologique pur améliorée

Le régime de réparation du préjudice écologique pur mis en place par le législateur gagnerait en effectivité si le titulaire de l’action était clairement identifié. En effet, la mise en œuvre du régime de réparation du préjudice écologique pur pose des questions relatives aux titulaires de l’action. L’art 1248 c.civ dispose que « L'action en réparation du préjudice écologique est ouverte à toute personne ayant qualité et intérêt à agir, telle que l'État, l'Agence française pour la biodiversité, les collectivités territoriales et leurs groupements dont le territoire est concerné, ainsi que les établissements publics et les associations agréées ou créées depuis au moins cinq ans à la date d'introduction de l'instance qui ont pour objet la protection de la nature et la défense de l'environnement. » L’utilisation du « toute personne » et du « telle que » montrent que la liste n’est pas limitative, conformément à la volonté de l’Assemblée nationale. Or, il se pourrait que les exemples précis suivant ce « telle que » dissuadent le juge de reconnaître la qualité et l’intérêt à agir à d’autres personnes, ce que préférait le Sénat lors des débats. Quand bien même il reconnaîtrait l’intérêt, les personnes risquent d’être découragées par le coût des expertises et l’insuffisance de leurs moyens d’intervention290.

Le risque de la liste établie par l’article 1248 est double. Il permet de passer à côté de la réparation d’un préjudice écologique pur et de multiplier les actions inutilement. En effet, l’on a pu constater qu’une personne extérieure à la liste établie par l’article 1248 risquait de voir son action refusée, à moins qu’elle ne se décourage elle-même, par crainte des coûts engendrés par une telle action (notamment la nécessité d’une expertise scientifique)291. À l’inverse, il se

pourrait bien que dans une même affaire, plusieurs personnes ayant qualité et intérêt à agir (majoritairement les associations environnementales) se manifestent. Leur action serait jugée

290 C’est ce que l’on déduit à la lecture du rapport. Les coûts d’expertise sont très importants, car la caractérisation du préjudice difficile. JÉGOUZO Yves, « Pour la réparation du préjudice écologique », 2013. p.40.

recevable car elles sont agréées et que leur objet statutaire correspond à la protection de la nature. Or, comme le souligne justement Patrice Jourdain, si l’on peut prétendre que l’objet social de ces associations leur vaut une compétence spéciale par rapport à des préjudices précis, il faut aussi entendre que le préjudice écologique pur, à l’instar de la nature, ne se divise pas292.

Or, la loi de 2016 reste muette sur ce point, ce qui ouvre la voie à une multiplicité d’actions. Possiblement, l’institution de la nature comme sujet de droit entrainerait avec elle la création d’un ou plusieurs organes de représentation de ses droits (ces points seront développés plus amplement ensuite). En effet, la nature n’ayant pas de volonté, la défense de ses intérêts requerrait des représentants, des tuteurs293. Les représentants de la nature seraient les uniques

titulaires de l’action en réparation du préjudice écologique. Toutefois, afin de respecter l’article 9§3 de la Convention d’Aarhus294 (qui requiert un large accès à la justice en matière

environnementale en laissant toutefois aux autorités le choix d’établir les modalités exactes de celle-ci) l’on pourrait imaginer que tout un chacun – ainsi qu’évidemment les personnes mentionnées à l’article 1248 c.civ – pourrait interpeller ces représentants sur une situation environnementale préoccupante. À cet égard, l’on se réfèrera au régime de la loi de responsabilité environnementale, où l’autorité administrative compétente (le préfet), qui joue un rôle essentiel dans la réparation, voit son action épaulée par des acteurs dont les pouvoirs sont désignés par le législateur295. La loi prévoit par exemple la possibilité d’avertir le préfet en

cas de menace imminente et grave, ou de prévenir et réparer les dommages en cas d’urgence296.

L’idée ne serait donc pas d’anéantir le travail des associations, les initiatives citoyennes ou la participation des personnes publiques, mais de les investir d’une nouvelle mission « d’épaulement » des représentants directs de la nature, qui fédèrerait la collaboration des

292 JOURDAIN Patrice, L’émergence de nouveaux préjudices : l’exemple du préjudice écologique, Dalloz, 2015.

p.87.

293 STONE Christopher, Les arbres doivent-ils pouvoir plaider ? Vers la reconnaissance de droits juridiques aux

objets naturels, le passager clandestin, 2017. p.75.

294 Article 9§3 « En outre, et sans préjudice des procédures de recours visées aux paragraphes 1 et 2 ci-dessus, chaque Partie veille à ce que les membres du public qui répondent aux critères éventuels prévus par son droit interne puissent engager des procédures administratives ou judiciaires pour contester les actes ou omissions de particuliers ou d'autorités publiques allant à l'encontre des dispositions du droit national de l'environnement ». « Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (convention d’Aarhus) ».

295 PARANCE Béatrice, « Réflexions sur une clarification du rôle des parties au procès environnemental. Commentaire des propositions 8 et 9 du rapport « Mieux réparer le dommage environnemental » remis par le Club des juristes », Environnement, 2012. n°7.

296 Précisément l’article 162-15 dispose que « En cas d'urgence et lorsque l'exploitant tenu de prévenir ou de réparer les dommages en vertu du présent titre ne peut être immédiatement identifié, les collectivités territoriales ou leurs groupements, les établissements publics, les groupements d'intérêt public, les associations de protection de l'environnement, les syndicats professionnels, les fondations, les propriétaires de biens affectés par les dommages ou leurs associations peuvent proposer à l'autorité visée au 2° de l'article L. 165-2 de réaliser eux-mêmes des mesures de prévention ou de réparation conformes aux objectifs définis aux articles L. 162-3, L. 162-4, L. 162-8 et L. 162-9. Les procédures prévues aux articles L. 162-5, L. 162-11 à L. 162-14 et L. 162-16 sont applicables. »

acteurs autour d’une action unique297. Cette institution profiterait également au principe de

l’autorité de la chose jugée.

Dans le document La nature, sujet de droit ? (Page 46-48)