• Aucun résultat trouvé

La création de rapports de droit incertains

Dans le document La nature, sujet de droit ? (Page 69-71)

Section I – Les obstacles constitués par la création de droits de la nature

B. La création de rapports de droit incertains

L’institution de la nature comme sujet de droit susciterait la création de rapports de droits incertains entre l’homme et la nature. En effet, en première partie, l’on a pu voir, en détaillant les bénéfices de la personnification de la nature, que celle-ci engendrerait une mutation profonde des liens juridiques unissant l’homme et la nature : les droits réels des hommes sur les éléments naturels disparaissent au profit de droits personnels. Cette évolution, que l’on peut souhaiter pour accroitre le respect des hommes envers la nature, fait tout de même disparaître le droit de propriété sur l’ensemble des éléments intégrant la définition de la nature. Il s’agit d’ailleurs de la suite logique397, et souhaitée398 de l’institution de la nature comme sujet de droit,

qui a pour effet de mettre la nature hors marché.

Seulement, il est invraisemblable que le code civil délaisse la propriété des éléments naturels, notamment de la terre, qui constitue le cœur de ce droit399. D’autant que le droit de

propriété est un droit fondamental à valeur constitutionnelle400 protégé par la Convention

EDH401. Or, si l’on peut adapter et « affaiblir » le droit de propriété au profit de l’intérêt général

394 THOMAS Yan, « Le sujet de droit, la personne et la nature », Le Débat, 100, Gallimard, 1998. p.96.

395 CHÉNEDÉ François, « Le droit à l’épreuve des droits de l’Homme », in Halshs-00737719, Defrénois, 2012.

396 PIERRON Jean-Philippe, « Qu’est-ce que les relations entre droit et environnement disent de nous ? », Cah.

Justice, 3, Dalloz, 2019. p.417.

397 L’article 74 de la constitution équatorienne prévoit la disparition de la possibilité de s’approprier les services environnementaux. DAVID Victor, « La lente consécration de la nature, sujet de droit », Rev. Jurid.

L’environnement, 37, Lavoisier, 2012. p.480. Le Constitution bolivienne prévoit une réforme de la propriété

s’agissant des biens privés et publics : articles 100. II, 311.II, 349.I, 357, 372.I, 381.I et II, 393, 394.III, 397.I, II et III SOZZO Cosimo Gonzalo, « Vers un “état écologique de droit” ? Les modèles de Buen vivir et de Développement perdurable des pays d’Amérique du Sud », Rev. Jurid. L’environnement, spécial, Lavoisier, 2019. p.97.

398 HERMITTE Marie-Angèle, « Le concept de diversité biologique et la création d’un statut de la nature », in

L’homme, la nature et le droit, Christian Bourgeois éditeur, 1988.

399 GRIMONPREZ Benoît, « Sol », Dictionnaire des biens communs, PUF, 2017. p.1119.

400 Cons. const. 16 janv. 1982, déc. n° 81-132 DC. 401 Art 1 protocole 1 Convention EDH.

: la Cour EDH a d’ailleurs énoncé, dans l’arrêt Hamer c/ Belgique du 27 novembre 2007 que « le droit de propriété ne devrait pas se voir accorder la primauté face à des considérations relatives à l’environnement »402, la substance du droit doit être préservée. Dès lors, il est

extrêmement douteux que l’intérêt propre de la nature donne le feu vert à la suppression même de ce droit sur l’ensemble des objets naturels, dont les fonds de terre.

En fait, la confusion de l’objet et du sujet de droit nous désoriente quant à la nature du lien juridique unissant les sujets actuels à la personne naturelle.

« À tout droit correspond une obligation »403. Cette célèbre phrase d’Aubry et Rau fait

état du lien de droit : vinculum juris, unissant deux ou plusieurs personnes et en vertu duquel l’une est tenu de faire quelque chose pour l(es)’ autre(s)404. L’obligation est donc à double face :

d’un côté, il y a celui qui doit, le débiteur, et de l’autre, celui à qui l’on doit : le créancier405.

Malheureusement, l’institution de la nature comme sujet de droit ne rendrait qu’imparfaitement compte de cette assertion. La nature ne pourrait jamais être débitrice d’obligations à l’égard des hommes. Que lui imposer ? La personne naturelle a pu être comparée aux enfants, sur lesquels ne pèse aucune obligation positive mais une obligation générale de ne pas nuire via la responsabilité civile des parents du fait de leur enfant406. Or, l’on ne saurait imposer une telle

obligation à la nature (via ses représentants) alors que les nuisances qu’elle produit proviennent en majorité des activités humaines qui l’ont, dans un premier temps, altérée. Surtout, la possibilité d’imputer la responsabilité du fait d’un enfant à ses parents découle du devoir d’éducation, alors que les représentants de la nature n’auraient aucun pouvoir envers celle-ci. Ainsi, les rapports juridiques entre les personnes aujourd'hui reconnues, et la nature comme sujet de droit ne seraient pas complémentaires.

Que ce soit au stade de leur consécration ou de leurs conséquences, les droits de la nature bouleversent le système juridique actuel. Multiplication des droits subjectifs, opposition entérinée, confusion sujet-objet et rapports juridiques incertains, sont autant d’obstacles que de limites à la personnification de la nature. À l’heure de la simplification du droit, ces évolutions paraissent bien lointaines. Est-ce dire que l’écocentrisme n’est pas adapté à la sphère juridique, et qu’il serait moins tortueux de renouveler des approches traditionnelles de droit civil ? Ce sont là les dernières réflexions qui nous occuperont.

402 CEDH, 27 nov. 2007 : Hamer c/ Belgique, req. n° 21861/03.

403 AUBRY Charles et RAU Charles-Frédéric, Cours de droit civil français - Tome 1 [en ligne], Cosse, 1856. p.2.

404 FABRE-MAGNAN Muriel, Droit des obligations, PUF, 2019.

405 Ibid.

406 HERMITTE Marie-Angèle, « La nature, sujet de droit ? », Ann. Hist. Sci. Soc., 66e année, Éditions de l’EHESS, 2011. p.199.

Section II – Le renouvellement des concepts classiques du droit en réponse aux limites

Dans le document La nature, sujet de droit ? (Page 69-71)