CHAPITRE II – LE FINANCEMENT PRIVÉ DES CAMPAGNES ÉLECTORALES
RECETES TOTAL DES
DONS DES PERSONNES PHYSIQUES % 1995 396 767 651 F 80 379 864 € 110 868 261 F 22 460 439 € 28% 2002 76 946 342,20€ 6 510 913,39€ 8,5% 2007 76 838 683€ 8 992 350€ 12% 2012 75 531 457€ 9 009 516€ 12%
Source : Conseil constitutionnel et CNCCFP
Ce tableau montre, que les dons provenant des personnes physiques n’est pas uniforme. Ainsi, par exemple, selon la Commission, si une somme de 5 817 956 € avait été apportée par des personnes physiques au profit de Nicolas Sarkozy pour les élections de 2012, Philippe Poutou n’avait reçu pour la même élection aucun apport financier provenant d’une telle source451. Dans le même sens, d’après le Conseil constitutionnel, dix ans plus tôt, dans le compte de campagne de Daniel Gluckstein, aucun versement par des personnes physiques n’avait été déclaré, lorsque Jacques Chirac avait déclaré une somme de 5 000 000 € 452.
Selon les bilans des organes de contrôle, nous pouvons vérifier une relation entre le nombre de voix obtenu et le montant des apports provenant des personnes physiques. Pour les élections de 2002, d’après le Conseil constitutionnel, lors du premier tour, le candidat Daniel Gluckstein qui avait déclaré une absence totale des dons des personnes physiques, a obtenu un total de 0,47% des voix lors que Jacques Chirac, qui avait reçu le montant le plus élevé de ce type de don, avait
451 CNCCFP,Décision du 19 décembre 2012 relative au compte de campagne de Philippe Poutou,
candidat à l'élection du Président de la République des 22 avril et 6 mai 2012 ;; CC, Décision n° 2013- 156 PDR, sur un recours de M. Nicolas Sarkozy dirigé contre la décision du 19 décembre 2012 de la Commission nationale des comptes de campagnes et des financements politiques JORF du 6 juillet 2013 page 11289.
452 CC, 2002-115 PDR Décision du Conseil constitutionnel relative au compte de campagne de Daniel
Gluckstein candidat à l'élection du Président de la République des 21 avril et 5 mai 2002 ;; CC, 2002- 117 PDR Décision du Conseil constitutionnel relative au compte de campagne de Jacques Chirac candidat à l'élection du Président de la République des 21 avril et 5 mai 2002
recueilli 19,88% des voix453. Pour les élections de 2007, Gérard Schivardi, qui avait déclaré lui aussi aucun don provenant des personnes physiques a obtenu un total de 0,33% des voix, lorsque Nicolas Sarkozy obtenait 30,7% en ayant déclaré le montant le plus significatif des dons entre les candidats (7 062 116 €)454. L’exception reste lors des élections de 2012 où le candidat qui avait déclaré le moins d’apport de personnes physiques Philippe Poutou (soit aucun versement) était le troisième ayant reçu le moins de suffrage, avec 1,12% des voix, contre les 26,6 % des voix recueils par Nicolas Sarkozy, qu’avait déclaré reçu un montant de 5 817 956 €455.
Nonobstant ce manque d’uniformité concernant les montants versés par des personnes physiques au profit des candidats, nous ne pouvons pas nier que les dispositifs légaux qui fixent pour les dons des contribuables une limite unique, indépendamment de la situation financière des donateurs, renforcent le souci du législateur de donner aux élections un caractère équitable, juste et transparent456.
Cette circonscription de la participation des personnes physiques ne permet cependant pas forcément de contrôler complétement le financement électoral compte tenu des différents moyens de versement des dons. Comme le relève Régis Lambert, « avec le paiement par carte bancaire qui tend à se développer, une incertitude peut demeurer sur l'origine réelle des fonds dans la mesure où existent des cartes de paiement d'entreprises au nom de collaborateurs personnes physiques. En principe, celles-ci ne sont alimentées par l'entreprise que pour régler des dépenses liées à l'activité professionnelle, mais elles peuvent également être alimentées par de l'argent personnel du titulaire. C'est pourquoi il est expressément demandé aux donateurs par carte bancaire un engagement sur l'honneur qu'il s'agit bien de leurs ressources personnelles »457.
453 CC, élections présidentielles de 2002, bilan du premier tour consultable http://www.conseil-
constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/documentation/dossiers-thematiques/2002-Election- presidentielle/bilan-du-premier-tour-de-l-election-presidentielle-de-2002.16535.html.
454 CC, élections présidentielles de 2007, bilan du premier tour consultable http://www.conseil-
constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/documentation/dossiers-thematiques/2007-Election- presidentielle/bilan-du-premier-tour.17519.html.
455 CC, élections présidentielles de 2012, bilan du premier tours consultable http://www.conseil-
constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/root/bank_mm/decisions/2012premiertourPDR/resultats- departements.htm.
456 F. Colinet, B. Devys et J.-P. Evrard soulignent que le législateur avait l’intention de combattre
l’abus de pouvoir économique entre les candidats en instaurant un plafond unique pour tous les donateurs. Cette mesure porte dans son ensemble, une tentative de donner plus force à la démocratie representative et d’apporter plus d’égalité au scrutin. F. Colinet, B. Devys et J-P. Evrard, Le
financement des campagnes électorales, mémento pratique, Ed. Juris service, Lyon, 2002.
Indépendamment d’une efficacité totale ou partielle du dispositif458, par ces analyses, nous pouvons conclure que la législation française, par le biais de l’imposition d’une limite unique des dons émanant des personnes physiques, donne aux élections un caractère plus équitable459. Cette égalité ne se limite pas uniquement aux candidats, elle touche aussi les contribuables, les personnes physiques qui participent au financement de la vie politique de leur pays, car indépendamment de la fortune personnelle de chacun, personne ne doit influencer une compétition électorale.
Que se passe-t-il du côté du Brésil concernant la question des dons apportés par des personnes physiques ?
Si en France, l’objectif du législateur est de garantir chaque fois plus d’égalité entre les candidats, d’apporter une certaine transparence et une moralisation à la vie politique à travers d’un plafonnement unique des dons, au Brésil cette question ne semble pas une question prioritaire pour le législateur460.
Selon l’article 23 de la Loi des élections, tous les dons provenant des personnes physiques peuvent être versés en espèces ou en nature (biens ou services), à condition de pouvoir être évalués pécuniairement. Dans le §2°, la loi prévoit que les personnes physiques peuvent faire des dons sans dépasser le plafond de 10 % du montant des revenus imposables dans l’année précédant l’année électorale461.
Il nous faut ici souligner que cette limite de 10% des revenus imposables, stipulés par la loi de 1997, a été déjà modifié. « Apparemment similaires
458 « Le financement de l’élection présidentielle respecte un cadre juridique assez rigoureux qui s’est
peaufiné au fil des scrutins grâce aux modifications législatives, réglementaires et à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Malgré cela et malgré les moyens de contrôle mis en œuvre par le conseil et par la CNCCFP, il est difficile d’apprécier l’exactitude des données sur le financement de la campagne électorale tirées des comptes de campagne y compris après réformation », ibid, p. 61.
459 J-P. Camby souligne que « vu du côté de l’électeur, la question du financement électorale est
beaucoup plus simple: les militants ou sympathisants verront dans le financement un moyen de soutien d’autant plus aisé qu’il rend leurs dons déductibles, avec un système de plafonnement, en application de l’article 200-2 bis du CGI. Les électeurs verront surtout ce plafonnement comme un facteur d’égalité entre les candidats ou, du moins, un moyen d’éviter un gaspillage inutile, et de plus, il apport aussi plus d’égalité entre les citoyens », (J-P. Camby, art.cit., p. 23).
460 « La conclusion qui nous pouvons tirer de cette inertie concernant une réforme politique sérieuse
où le rôle du contribuable peut-être le même en passant par une limitation unique des dons autorisés par la loi, est le seule de manque d’intérêt des hommes politiques de faire voter une limitation comme en existe dans la plupart des démocraties modernes ». (D. Sarmento, auteur de l’Action Direct Inconstitutionnalité n° 4650, audience publique réalisé les 17 et 24 juin 2006 au sein de la Suprême Cours Fédérale à Brasilia). Texte traduit par nos soins.
461 Loi n° 9504/97 - loi des élections - du 30 septembre 1997, article 23§2°. Texte traduit par nos
entre eux, les limites des dons par les personnes physiques et morales ont subi certaines modifications depuis l’introduction de la loi, jusqu’à nos jours. Entre les années 1994 et 1996462, la limite était de 10% sur le revenu imposable de l’année antérieure à l’élection, avec la possibilité de dépasser ce pourcentage dès qu’il ne dépassait pas un apport de plus de 70 000 UFIR463. À partir de l’élection de 1998, après l’adoption de la loi n° 9504/97 – loi des élections, les dons maintiennent la limite de 10% sur les revenus imposables, mais la possibilité de dépassement a été supprimé »464.
Le dispositif de la loi était complexe et polémique car il avait introduit une double interprétation de la loi. Dans ce sens, le Tribunal Supérieur Electoral par le biais de son département technique a dû se prononcer sur le sujet. Selon la Cour, « les dons ont été limités à 10% des revenus imposables dans l’année antérieure à l’élection OR dans la limite de 70 000 UFIR (49 388 €), selon le montant le plus élevé des deux. Pour une analyse des comptes des campagnes, quelques dons au- dessous de 70 000 UFIRs (49 388 €) ont été considérés comme legaux. Pour ceux qui ont dépasse ce montant, la Justice électoral devrait procéder une vérification auprès du Centre des impôts pour vérifier les montants déclarés des impôts sur les revenus du donateur »465.
À partir de 1998, cette disposition légale des 70 000 UFIRs or 49 388 € a été abrogée, et la limite de 10% sur les revenus imposables de l’année antérieure à l’élection a été consacrée comme limite légale autorisé aux dons des personnes physiques466.
Ce critère prévu par la Loi des élections et maintenu jusqu’à aujourd’hui est ainsi particulièrement discriminatoire et va à l’encontre des principes démocratiques d’égalité entre les citoyens, d’égalité des chances entre les candidats et de pluralisme politique467. L’absence d’un plafond unique fixé par la loi ne favorise
462 Il faut toujours remarquer qu’au Brésil il n’existe pas une loi spécifique à chaque élection : la loi des
élections règle toutes les élections qui se déroulent tous les 2 ans.
463 UFIR est ‘’Unidade de Referência Fiscal’ ou Unité de Réference Fiscale. Elle équivaud en 2014 à
R$ 2,54 (soit 0,70 €). Donc 70 000 UFIR sont l’équivalent de 49 388 € selon les bilans du Secrétariat des Finances Publiques. Texte traduit par nos soins.
464 D. G. Schlickmann, op.cit., p. 196. Texte traduit par nos soins.
465 Jurisprudência do Tribunal Superior Eleitoral, v.13, n°1, jan-abr 2002, p. 275. Texte traduit par nos
soins.
466 D.G. Schlickmann, op.cit.,, p. 197. Texte traduit par nos soins.
467 L’affirmation concernant le caractère discriminatoire de la prévision de la loi des élections au Brésil
pas uniquement la dépendance du candidat vis-à-vis de la personne physique qui lui a apporté le financement mais aussi à une augmentation d’inégalité entre les citoyens, où seuls les citoyens les plus favorisés participent et influencent les campagnes électorales468. Mais cette influence ne peut être pas considérée comme un souci à cause des montants octroyés par des personnes physiques aux candidats ou partis politiques pour une élection.
Ainsi qu’en France, les montants des apports provenant des personnes physiques pour les élections du président de la République, sont toujours considérés comme des apports faibles au système de financement, mais pas pour autant négligeables. Selon le Tribunal Supérieur Electoral, durant les quatre dernières élections présidentielles au Brésil, les montants des dons provenant des personnes physiques est d’une certaine façon équilibrée entre les élections, à dépit du scrutin de 2014. Nous pouvons vérifier ces informations par le biais du tableau suivant :
société doit être régie par la maxime ‘’à chacun ce qui lui revient‘’. Selon lui, égaliser ce qui est inégal conduit à l’injustice. In R. D. S. K. Goulart, art. cit., p. 64. Texte traduit par nos soins.
468 Dans ce sens, il est possible de vérifier dans le système certaines limites légales, l’influence des
dons apportés par les donateurs au processus électoral pourrait avoir comme conséquence un manque d’équilibre entre les candidats. Selon Bruno César Lorencini, « l’existence d’une législation pour contrôler et limiter les dons et les dépenses électorales est le point principal à la vrai démocratisation de l’enjeu électoral », B. C. Lorencini, « Aspectos juridicos do financiamento eleitoral no Brasil (M. H. S. Caggiano (coord), Direito Eleitoral em debate : estudos em homenagem a Claudio
Lembo , São Paulo, Saraiva, 2012, p. 125). En faisant une critique contraire, Bruno Wihelm Speck
souligne que « les limites apportés par les lois basées sur le pourcentage des revenus imposables, indépendamment du montant, peut être le responsable d’une ‘’super-représentativité de la classe la plus riche. Pourquoi un citoyen avec un revenu imposable plus élevé est autorisé à faire des dons dans une limite beaucoup plus important au profit d’un candidat ou d’une campagne électorale quand son voisin, détenteur des mêmes droits et obligations en tant qu’être humain, n’a pas la même possibilité ? En réalité, ce dispositif nous semble marqué par une sorte d’inconstitutionnalité car par cette loi, le manque d’égalité est devenu la règle », B. W. Speck, « Cinco teses sobre o financiamento da competição política e a proposta da respectiva reforma », Revista Juridica Consulex, ano VIII, n°179, juin, 2004, p.37. Texte traduit par nos soins.
TABLEAU 5 : Total des dons des personnes physiques depuis les élections de 2002 au Brésil
ANNÉE TOTAL DE
RECETTE
TOTAL DES