« Lorsqu’on traite du financement des campagnes, il importe de le rattacher à la corruption ;; on parle alors
de maladie et de remède, de cause et de conséquences. La nécessité et le pouvoir de l’argent sont presque éternels. » 165
Dans les démocraties occidentales, les citoyens se préoccupent aujourd’hui de plus en plus de l’influence qui peut s’exercer sur les décisions politiques par le biais de moyens financiers issus de la corruption liée à la politique166.
Les partis et les hommes politiques doivent toujours disposer de ressources financières appropriées afin de mener à bien leurs activités centrales. « La relation entre l’argent et la politique est sujette à controverse, et une grande partie du débat concerne l’influence indue de l’argent sur le processus politique démocratique et l’enrichissement personnel illégitime des hommes politiques. Si les aspects équivoques de la finance et de la politique ne doivent pas être ignorés, cette question va bien au-delà des flux financiers illégaux qui finissent dans les caisses des partis et dans les poches des hommes politiques. Le financement de l’activité politique présentant un grand intérêt pour le fonctionnement de la démocratie, il faut l’envisager dans une optique plus large que les seules transactions illicites »167. L’argent joue donc un rôle critique dans le processus démocratique.
La démocratie en tant que le meilleur, ou le moins mauvais des régimes politiques est solidement établie. À cet égard, « la démocratie apparaît, au moins en Occident, comme l’universel et indépassable horizon de notre temps (…) la
165 R.J. Ribeiro, «Financiamento de campanha (publico versus privado) » in L. Avritzer, F. Anastasia, Reforma Politica no Brasil, 1° ed. Editora UFMG, Belo Horizonte, 2007, p. 13.
166 I. van Biezen, Financement des partis politiques et des campagnes électorales – Lignes directrices, Editions du Conseil de l’Europe, Allemagne, 2003, p. 9.
démocratie (représentative) se donne à voir comme une compétition pour la conquête de positions de pouvoir »168.
Malheureusement, cette conquête de pouvoir est toujours liée au rapport argent-politique. Ainsi, Guy Carcassonne souligne « qu’il y a toujours eu quelque indécence à accoupler argent et politique, indécence à évoquer une liaison que nul ne voulait connaître, ou indécence à la voir s’étaler quand un scandale la révélait. Faute d’en parler, un mutisme hypocrite ne connaissait d’éclipses occasionnelles qu’au profit d’une parole tout aussi hypocrite. Moyennant quoi, deux évidences étaient tues. La première était bien connue, et il faudra y revenir : c’était l’insuffisance, rapidement apparue, des cotisations militantes à assurer le coût de la démocratie, amenant ceux qui la faisaient vivre à trouver des ressources par ailleurs. La seconde évidence, plus dissimulée encore, était que la politique, à condition d’y sacrifier du temps et des scrupules, pouvait offrir un circuit court vers la fortune, ou simplement l’aisance »169.
La nécessité de chaque fois plus d’argent pour assurer cette conquête de pouvoir s’est intensifiée avec l’émergence des moyens de communication modernes. Si auparavant « une campagne était faite de banquets, de vins d’honneur, de quelques guirlandes pour égayer un préau, et de tracts ou d’affiches imprimés et diffusés par des militants dévoués, le coût de la démocratie demeurait modique, et la ritournelle de son financement par les cotisations pouvait encore faire illusion »170 ;; le début de l’ère télévisuelle a engendré une augmentation du coût de la démocratie.
En effet, une campagne électorale étant une affaire d’argent, car elle est d’abord affaire d’image des candidats, de programmes, d’équipes, de stratégies de communication, d’affrontement des adversaires ou de défense contre leurs attaques, des moyens financiers chaque foi plus élevés sont dont indispensables171.
« L’arrivée du marketing politique et le recours aux méthodes modernes de communication ont remplacé les moyens traditionnels. Cette évolution médiatique a transformé le rapport entre citoyens, hommes politiques et partis. Le candidat, quel que soit le lieu où il se présente, se fait de moins en moins élire sur sa personnalité, mais de plus en plus comme le porte-parole d’un parti. Cette médiatisation croissante
168 D.Gaxie, La démocratie répresentative, 4e éd, Collections « Clefs Politiques », Montchrestien,
Paris, 2003, p. 11.
169 G.Carcassonne, « Du non-droit au droit », Pouvoirs n° 70, 1994, p. 8. 170 Ibid, p.9.
s’accompagne paradoxalement d’une passivité du citoyen à l’égard du discours politique, d’ailleurs accentué par le déclin des idéologies. Face à cette indifférence, la politique recourt davantage aux nouvelles techniques des médias. Or, ces techniques ont un coût qui dépasse largement les ressources traditionnelles de la politique. Des ressources supplémentaires ont dû être trouvées rapidement, afin de pouvoir faire face aux dépenses induites par ces nouvelles méthodes de communication »172.
Désireux de se donner des atouts, ou au moins de ne pas subir de handicaps, les candidats étaient portés à utiliser toutes les solutions disponibles. S’est engagée ainsi une course-poursuite entre les compétiteurs, créant une spirale inflationniste aussi peu contrôlable que douteusement justifiée173. Ainsi, le rôle de l’argent dans les campagnes en vue électorales est chaque fois plus important, voire décisif. Le financement des campagnes électorales est devenu aujourd’hui un sujet majeur, très discuté dans les démocraties modernes.
Analyser le financement des campagnes suppose de déterminer les ressources pouvant être utilisées et les moyens assurant la transparence du financement électoral, indispensable en tout démocratie.
Dans les États démocratiques occidentaux, chaque citoyen a le droit de participer aux élections, c’est-à-dire de procurer aux candidats une somme d’argent pour les aider à soutenir financièrement leur campagne, participant ainsi au processus de décision. Il faut souligner qu’une campagne ne doit être ni un moyen d’enrichissement d’un candidat ou d’un parti, ni en principe, une source d’appauvrissement du candidat174. « Les militants ou sympathisants verront dans le financement un moyen de soutien d’autant plus aisé qu’il rend leurs dons déductibles, avec un système de plafonnement, en application de l’article 200 bis du CGI175. Les électeurs verront surtout ce plafonnement comme un facteur d’égalité entre les candidats ou, du moins, un moyen d’éviter un gaspillage inutile »176.
172 C.Millon, « Avant/après : ce qui a changé », Pouvoirs n° 70, 1994, p. 106.
173 Dans ce sens, G.Carcassonne souligne que « si l’adversaire engageait une dépense, il devenait
impératif de faire la même, si possible mieux, c’est-à-dire plus cher. A défaut de produire des effets certains sur e score, cette mécanique infernale persuadait les intéressés de l’absolue nécessité de disposer de moyens financiers importants. Leur origine, dès lors, devenait un problème second ». in G.Carcassonne, op.cit., p. 10.
174 J-P Camby, « 2007 : Le financement des campagnes électorales » RDP n°1, 2007, p.23. 175 Pour les dons ou recettes de campagne voir chapitre 2.
En vue de garantir cette égalité entre les candidats, de nombreux pays, notamment la France et le Brésil, déterminent quelles dépenses le candidat ou le parti politique est autorisé à engager. Au-delà de cette détermination177, qui peut varier d’un pays à l’autre, ils utilisent aussi certains moyens de contrôle178, dont le plafonnement des dépenses.
Comme le souligne Bernard Maligner, « au-delà de l’analyse des règles juridiques, il n’est peut-être pas totalement inutile d’aborder une question qui relève de la pratique du financement électoral : les recettes recueillies et les dépenses qu’elles permettent d’exposer font-elles l’élection ? »179. Cette question est justement celle à laquelle nous tenterons de trouver des éléments de réponse en prenant les cas de la France et du Brésil.
À cet égard, pour Yves-Marie Doublet, « le choix du financement de la vie politique soulève au moins deux questions fondamentales : quelle part doit-on consacrer respectivement au financement privé et au financement public ? Quelles sont les modalités de ces deux financements ? Les termes du débat sur les mérites comparés du financement public et du financement privé sont connus et intéressent surtout les partis politiques. Au premier on prête les vertus de la transparence, au second, celui de la dépendance des forces politiques à l’égard du monde économique, dans le meilleur des cas, et de la corruption, dans le pire »180.
Il convient alors d’étudier, de façon exhaustive, l’ensemble des aspects relatifs à l’encadrement du financement électoral mis en place par les législations de la France et du Brésil, en dressant le constat des similarités des différences entre eux. Ainsi, nous pourrons vérifier, voire questionner, l’efficacité de chaque système de financement des deux pays.
Le système de financement de campagne électorale peut être privé, public ou mixte. Chaque État, chaque modèle est caractérisé par des points positifs, comme la baisse des dépenses électorales en France en conséquent d’un strict plafonnement de ces derniers, l’obligation de présenter les comptes de campagne et autres ;; mais aussi négatifs comme les montants chaque fois plus élevées de dépenses engagés par les candidats dans les élections brésiliennes. Dans les
177 Nous verrons dans la suite que chaque pays s’occupe de la détermination des dépenses
électorales d’une façon différente. Voir section 1 de ce chapitre.
178 Voir plus dans la deuxième partie.
179 B. Maligner, Droit électoral , Ed. éllipses, Paris, 2007, p.585.
180 Y.- M. Doublet, « La réglementation du financement de la vie politique est-elle souhaitable, est-elle
chapitres suivants, les formes de financement seront présentées, ainsi que la nature juridique, la finalité et la justification de chacune de ces formes, en analysant les processus de contrôle. Une étude théorique des origines, ainsi qu’un travail de systématisation, sont nécessaires pour distinguer de façon critique, les modèles de financement qui existent au Brésil et en France;; cela soulèvent la question du pouvoir de l’argent sur l’action politique et, par conséquent, la relation entre le financement des campagnes électorales et la corruption.
Ainsi, pour une meilleure compréhension de la réglementation du financement des campagnes présidentielles, le premier chapitre de cette partie s’occupera des questions relatives à l’encadrement juridique du financement de ces campagnes par le biais des dépenses électorales. Nous aborderons notamment les aspects matériels et temporels, ainsi que le plafonnement de ces dépenses. Puis, dans le deuxième chapitre, nous verrons les questions directement liées au financement privé, en précisant celles ayant trait aux recettes et aux dons provenant tant des personnes physiques que des personnes morales, lorsqu’elles sont autorisées à faire ces dons. Enfin, le troisième chapitre sera consacré au financement public, aux apports et aux aides forfaitaires provenant de l’État.
CHAPITRE I : LA NOTION ET LE PLAFONNEMENT DES DEPENSES
La législation sur le financement des activités politiques en France comme au Brésil, est très récente puisqu’elle n’existait pas avant les années 1980. À cet égard, pour tenter d’analyser ces nouveaux dispositifs légaux mis en place dans les deux pays, nous en proposerons, dans cette thèse, une comparaison. Autrement dit, nous étudierons la législation concernant le financement des dépenses des candidats et de leur campagne en France et au Brésil, ainsi que le plafonnement de ces dépenses.
Il s’agit donc d’analyser la principale question de cette thèse : le financement en vue des élections présidentielles181. Il est difficile de parler d’élection sans parler de campagne électorale, et donc, sans aborder la gestion des dépenses liées aux élections. Pour cette raison, il convient d’étudier la manière d’utiliser, cet argent. En ce sens, Carlos Eduardo Oliveira Lula souligne que « pour assurer le déroulement d’une campagne électorale dans les domaines des lois, il faut bien analyser comment chaque candidat ou parti politique utilise l’argent reçu – par le biais des dons (publics ou privés). Les dépenses engagés pour les candidats doivent être absolument insérées dans les lois une fois qu’un détournement de l’utilisation ou de l’engagement des dépenses prohibés peut maculer la sincérité du scrutin mais aussi tout l’enjeu démocratique ».182
À cet égard, pour analyser les questions sur le financement en vue des élections présidentielles, il convient d’aborder, les dépenses électorales dont les coûts ne font qu’augmenter un peu partout dans le monde, dont en France et au Brésil183. Un système approprié de contrôle et de règlementation des dépenses électorales suppose tout d’abord de déterminer quelles dépenses doivent être
181 Ouvrons ici une parenthèse concernant l’expression « financement en vue des élections
présidentielles ». Comme il existe une différence dans les termes utilisés en France et au Brésil pour l’expression « Campagne politique », nous avons décidé d’unifier l’expression en utilisant « Financement en vue des élections » ou encore « Financement électoral » pour l’ensemble des questions financières des élections.
182 C. E. Oliveira Lula, Direito eleitoral, 3e éd., Editions Imperium, São Paulo, 2012, p. 663.
183 Une étude plus approfondie sur cette question est présent dans « Funding of political parties and
elections campaigns – a handbook on political finance », International Institute for democracy and electoral assistance – IDEA, 2014, p. 129 et 173.