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L’influence du Front populaire sur l’Exposition ne s’exprime pas seulement par une politique culturelle ou encore par des constructions de pavillons. La manifestation grâce à l’action du rassemblement populaire prit aussi les traits d’un événement populaire et moderne.

Une ambiance populaire

Pour le rassemblement populaire, l’Exposition se doit d’être un succès populaire. En outre, chaque jour L’Humanité se félicite de l’affluence de la journée précédente. Le nombre de visiteurs est donc un enjeu de taille. Il représente l’argument principal du Front populaire face à ses détracteurs. Une Exposition réussie est toujours un succès d’affluence.

L’image anodine dans les actualités filmées d’enfants venus visiter l’Exposition exprime particulièrement bien l’effort du gouvernement de populariser l’événement196. Pascal Ory souligne le rôle de Max Hymans dans le phénomène de popularisation de l’Exposition. Selon lui, le parlementaire « sous secrétaire d’État auprès du ministre du

commerce, chargé des questions concernant l’achèvement et l’exploitation de L’Exposition

194

CHAMBELLAND Colette, TARTAKOWSKY, Danielle. « Le Mouvement syndical à l'Exposition internationale de 1937 », Le Mouvement social, n° 186, 1999, p. 69-83.

195 « Une exposition Front populaire », dans ORY Pascal, La belle illusion. Culture et Politique sous le signe

du Front populaire : 1935-1938, Paris, Plon, 1994, p. 607.

196 Archive 3732GJ 00003 / 00.00.26 / noir et blanc sonore / Journal Gaumont présentant la visite de

l’exposition par 136 écoliers de Coudray.

Archive 3742GJ 00005 / 00.00.55 / noir et blanc sonore / Journal Gaumont présentant la visite de l’exposition par 3500 enfants de Bordeaux.

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Internationale de 1937 » est responsable des mesures qui ont permis de populariser l’Expo

comme « l’instauration d’une journée à prix réduit » le lundi mais aussi « de voyages

populaires à soixante cinq francs. »197 À la manière de sa politique de démocratisation des loisirs, le Front populaire popularisa l’Exposition en la rendant plus accessible par de véritables mesures. À sa fermeture, l’Exposition enregistra pas moins de 31 millions d’entrée.

Une Exposition moderne

La dernière (mais non moins négligeable) orientation du Front populaire s’exprime dans une modernisation du programme même de l’Exposition. Dans le projet originel (imaginé par le conseil municipal de Paris), l’exhibition devait célébrer Paris comme la capitale du goût et du luxe. Par ce biais-là, le conseil municipal entendait mettre un terme à la crise qui minait la profession de l’hôtellerie du luxe mais aussi des métiers qui lui sont liés. De fait, le programme envisagé négligeait totalement une grande partie des aspects modernes liés aux arts et aux techniques. La prise en main de l’événement par le Front populaire s’accompagna donc d’une modernisation esthétique et programmatique.

Le Palais de la Découverte, même si sa genèse est antérieure, doit toute sa popularité et son succès à la politique mené par le Front populaire. Pour L’Humanité le palais représente même le « clou »198 de l’Exposition. Jean Perrin (1870-1942), prix Nobel

de Physique en 1926, sous-secrétaire d’État à la recherche scientifique sous le gouvernement Blum, représente le principal instigateur du projet. Son palais qu’il dédie à

« la science pure » présente d’« une façon vivante et spectaculaire, les étapes principales de l'émancipation de l'humanité par la science et l'indication des conquêtes futures. »199

197

« La combinaison d’un des centres d’accueil populaires déjà mentionnés avec, en amont, de fortes réductions sur les chemins de fer (58%) et, en aval, avec un bon de six entrée sur deux jours, l’organisation de visites guidées permit de faire confluer vers l’Exposition… plusieurs milliers de visiteurs modestes et d’enfants, souvent encadrés par les associations syndicales familiales et culturelles du rassemblement. » « Le rôle de Max Hymans », dans ORY Pascal, La belle illusion. Culture et Politique sous le signe du Front

populaire : 1935-1938, Paris, Plon, 1994, p. 605 et 606.

198« La libération de l’humanité par la science - Qu’allons nous voir au Palais de la Découverte »,

L’Humanité, n° 14038, mardi 25 mai 1937, Paris, L’Humanité, p. 4.

199

Figure 32 - La machine électrostatique géante, Palais de la Découverte, dessin de Boutterin

L'Illustration : journal universel, n° 4917, 29 mai 1937

Jean Perrin symbolise l’une des figures centrale de politique culturelle du Front populaire. Pour Pascal Ory, le palais représente même une « cathédrale pour les temps

nouveaux » au sens où la rhétorique du palais, par sa foi scientifique, s’apparente à une

véritable religion200. Le Palais pédagogique se veut adapter à tous les publics. Pour

L’Humanité, l’enclave scientifique représente même un aboutissement pour la capitale qui

possède enfin « son musée de la science » « accessible à l'homme de la rue »201. Le dessin

de Boutterin (l’un des architectes du palais de la Découverte avec Néret et Debret),

200

ORY Pascal, « Une cathédrale pour les temps nouveaux ? Le palais de la Découverte (1934-1940) », ROBIN Régine (dir.), Masses et culture de masse dans les années trente, Paris, les Éditions ouvrières, 1991, Collection Mouvement social.

201 « La libération de l’humanité par la science - Qu’allons nous voir au Palais de la Découverte »,

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témoigne de l’esthétique moderne du pavillon. Le décor 1900 du Grand Palais (où est intégré le musée) est totalement camouflé202.

L’Exposition du Front populaire fut indiscutablement moderne. Grâce à l’arbitrage du gouvernement, les nouveaux médias de masses comme le cinéma ou la radio vont obtenir un pavillon. De la même manière, l’esthétique moderne du cubiste Delaunay n’aurait pu couvrir les murs du Palais de l’Aéronautique sans le parrainage de Léon Blum203.

Enfin, l’architecture moderne eut le droit « de cité » avec le pavillon des temps nouveaux de Le Corbusier. Ce pavillon de toile construit sur le tard est caractérisé par

L’Architecture d’Aujourd’hui comme « le temple de l’Urbanisme ».204

Le Front populaire, sans définir une architecture particulière, a profondément modifié l’Exposition originelle du conseil municipal. Malgré l’héritage d’une Exposition minée par les retards et les atermoiements de l’organisation, le rassemblement a su faire de la manifestation un outil de propagande hors norme.

Le ton élitiste et parisien du début a été atténué par la construction « en

périphérie »205 de véritables manifestes d’une politique. Le rassemblement populaire construit en pavillon son image de parti de « la paix », « du bien être » et « du travail ». L’Exposition, témoin de son temps, reflète aussi en grande partie la politique culturelle du Front populaire. Le rassemblement démocratise la culture et fait du musée un enjeu capital. L’art doit s’adresser à tous ! La nouvelle muséographie, qui trouve dans le Front populaire un allié de choix, peut dès lors à sa guise rénover la conception muséale. Le musée d’art moderne exprime très bien tous les paradoxes d’une Exposition. Son enveloppe est très classique, pourtant à l’intérieur les muséographes révolutionnent leur discipline par une exposition moderne et pédagogique (l’exposition Van Gogh). La culture revêt pour

L’Humanité un enjeu tout aussi capital. Si L’Humanité défend la culture française et les

chefs d’œuvres de l’art Français (exposés aux nouveaux musées d’art moderne) au

202 « Ici le camouflage triomphe intégralement, au point que les rampes, élément décisif de l’effet décoratif,

en 1900 comme en 1937, voient leur fer forgé entièrement enrobé dans un coffrage en bois », ORY Pascal, « Une cathédrale pour les temps nouveaux ? Le palais de la Découverte (1934-1940) », dans ROBIN Régine (dir.), Masses et culture de masse dans les années trente, Paris, les Éditions ouvrières, 1991, Collection Mouvement social.

203

« L’intervention de Léon Blum », dans ORY Pascal, La belle illusion. Culture et Politique sous le signe

du Front populaire : 1935-1938, Paris, Plon, 1994, p. 285.

204 « Pavillon des Temps Nouveaux », L’Architecture d’Aujourd’hui, n° 9, septembre 1937, p. 46 à 49. 205 « La démonstration » dans ORY Pascal, La belle illusion. Culture et Politique sous le signe du Front

manifeste régionaliste, c’est pour tenter de personnifier aux yeux de l’opinion l’image du

« Parti de la France. »206 Face à la montée des périls, le Parti communiste se présente comme le « défenseur de la culture » et par la même de la nation toute entière.

« Je prétends ici démontrer qu’il y a identité entre défense de la culture et défense de la nation ». Louis ARAGON207

206

« La nouvelle politique culturelle » dans ORY Pascal, La belle illusion. Culture et Politique sous le signe

du Front populaire : 1935-1938, Paris, Plon, 1994, p. 65 à 67.

207 Une citation de Louis Aragon émise le 16 juillet 1937, lors du deuxième congrès international des

écrivains pour la défense de la culture. ORY Pascal, La belle illusion. Culture et Politique sous le signe du

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Chapitre VI –Le concert des nations

« La Ville-Lumière se devait, il est vrai, dans les temps difficiles que nous traversons, d'être le théâtre d'une Exposition, qui doit être avant tout l'apothéose du Progrès dans la Paix ! »

LABBÉ Edmond, « Paris et l’exposition des Arts et techniques dans la vie moderne » dans

L’Architecture d’Aujourd’hui, n° 5-6, mai 1937.

La résonance du mot « paix » en 1937 n’est pas une hérésie de l’histoire. La France par l’intermédiaire de l’Exposition désire consacrer la paix : la véritable « ligne directrice »208 de sa politique extérieure. Comme l’esprit olympique, l’esprit internationaliste « célèbre la promotion d’une fraternité internationale sous la forme d’une compétition nationaliste. »209 Néanmoins, comme un an plus tôt pour les jeux Olympiques de Berlin, l’Exposition est prétexte à la consécration des idéologies. Sous l’égide de la paix, les totalitarismes se font face. Reflet de son temps et des tensions qui l’entourent, 1937 nous permet d’approcher les représentations nationales et leurs résonances dans le monde médiatique. Néanmoins, nous nous attarderons ici seulement sur quatre pavillons reflétant par leur architecture, les enjeux de l’Exposition internationale de 1937 : L’Allemagne, l’Italie, L’URSS, L’Espagne.