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« Le hasard fit qu’une fois arrivé au pouvoir, le rassemblement put disposer pour sa propagande d’un lieu expositionnaire d’une toute autre ampleur, confié à des responsables de plus grand calibre, l’Exposition internationale des arts et techniques dans la vie moderne de 1937 », ORY Pascal, La belle illusion. Culture et Politique sous le signe du Front populaire :

1935-1938, Paris, Plon, 1994, 1033 p.

S’approprier l’exposition

À son arrivée au pouvoir (en juin 1936), Léon Blum, le président du conseil, bénéficia d’une occasion unique pour célébrer sa politique et vulgariser le programme du Front populaire. Néanmoins, l’Exposition envisagée alors ne consacre plus la vie ouvrière et paysanne160. En effet, en 1936, l’Exposition est marquée par l’influence conservatrice du conseil municipal de Paris. Cependant, les chantiers de la future exposition connaissent alors un retard préjudiciable. Au niveau des parlementaires, on se demande même s’il ne faudrait pas reporter l’exhibition161. De la même manière, si la manifestation est inaugurée sous les auspices du retard, l’événement sera considéré par l’opinion comme l’échec du Front populaire. Pour autant, le retard de l’exposition apparaît aussi comme une

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Le député socialiste de la Seine, Eugène Fiancette, déposa à la chambre des députés, le 22 juin 1932, une proposition d’Exposition Internationale de la vie ouvrière et paysanne en 1937. LABBÉ Edmond, Exposition

internationale des arts et techniques dans la vie moderne (1937) : rapport général, tome I, Guide officiel,

Paris, 1938.

161 Pascal Ory fait mention, dans sa thèse, de la démarche d’André Morizet qui ne souhaita pas poursuivre

l’Exposition et qui « monta à la tribune (du sénat) pour regretter solennellement cette décision (la poursuite de l’Exposition) et pronostiquer un fiasco », ORY Pascal, La belle illusion. Culture et Politique sous le signe

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circonstance unique pour « gauchir »162 l’Exposition. L’État qui assume la majeure partie des risques depuis les nouvelles dispositions financières de juillet 1935163 peut désormais imposer ses vues au conseil municipal.

Dès lors, la reprise en main de l’événement par le président du conseil s’accompagna de nouvelles nominations mais aussi de révocations.164Par exemple, François Latour, le rapporteur général du budget de la ville de Paris est révoqué pour « une conception trop élitiste ».165De la même manière, Léon Blum nomme Jean Locquin (un député SFIO et érudit des Beaux-Arts) délégué général de la Présidence du conseil à l’Exposition. Le poste exceptionnel donné à Locquin témoigne de l’importance de l’événement pour le président du conseil. Il confirme aussi la nécessité pour Blum de placer ses hommes à des postes clefs. En effet, les divergences d’opinions constatées entre le très conservateur conseil municipal de Paris et le Front populaire sont trop importantes. L’un veut célébrer le luxe de Paris et la fin de la crise tandis que l’autre défend une Exposition populaire, adaptée aux masses laborieuses, dont le but est de démocratiser la culture. Par son implication, Blum fit donc de la manifestation un reflet de la nouvelle politique menée par le Front populaire.

Démocratiser la culture

Dans sa thèse166, Pascal Ory nous énonce bien les ressorts de la politique culturelle du Front populaire : une politique culturelle envisagée pour la première fois comme un tout et qui tente d’interférer sur la création, mais aussi la médiation et la pratique des milieux culturels. Dans cette optique, le gouvernement tente de populariser la culture mais aussi de promouvoir des secteurs autrefois marginaux comme les loisirs, les nouveaux médias de masse (cinéma...), la science ou encore la culture populaire. L’État n’est pas le seul responsable de cette réussite. En effet, un riche tissu associatif relaie ces ambitions.

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ORY Pascal, La belle illusion. Culture et Politique sous le signe du Front populaire : 1935-1938, Paris, Plon, 1994, 1033 p.

163 Ces nouvelles dispositions financières résultent de la nouvelle convention signée entre l’État et la ville de

Paris le 18 juillet 1935. LABBÉ Edmond, Exposition internationale des arts et techniques dans la vie

moderne (1937) : rapport général, Tome 1, Guide officiel, Paris, 1938.

164 « Questions d’hommes », dans ORY Pascal, La belle illusion. Culture et Politique sous le signe du Front

populaire : 1935-1938, Paris, Plon, 1994, p. 603 à 605.

165 Ibidem 166

Cette politique se reflète très bien dans les manifestations culturelles de l’Exposition, comme en témoignent l’exposition des chefs d’œuvre de l’art français et celle consacrée à Van Gogh. Pour L’Humanité, l’une des voix du Front populaire, il est important de populariser le travail mené par l’État. L’article de Luc Decaunes (un poète en devenir) témoigne particulièrement bien de cela167. L’exposition présentée n’est pas réservée à l’élite, elle est accessible à tous. D’ailleurs, l’auteur fait la mention d’un service

« pour des visites populaires guidées et gratuites. » Il conçoit même l’exposition comme

l’occasion d’établir « un magnifique panorama populaire des arts plastiques en France. » La résurgence du terme populaire dans la rhétorique communiste confirme l’importance que revêt la popularisation de la culture pour le rassemblement.

Pour les contemporains, l’architecture des musées revêt alors l’apparence d’un monument populaire dans le sens où il s’adresse à tous. Tout ceci s’appuie aussi sur les dernières théories de muséographie dont l’exposition Van Gogh est le plus bel exemple.168 Pour George Besson169, le critique d’art de L’Humanité, la muséographie « aère les salles

autrefois moroses et les rend, attrayantes pour que le public les fréquente. Il replace l'œuvre, dans le milieu qui favorisa sa venue, par une documentation choisie et par les comparaisons nécessaires. »170 Le musée ne serait donc plus l’affaire de collectionneurs avertis ou d’érudits bourgeois mais de tous !

« L’ancien musée poussiéreux et hostile, qui favorisait la nausée et faisait de chaque maître un raseur sentencieux, a vécu. Aussi, la révolution muséographique, cette démocratisation des anciens lieux de délectation pour dilettante, suscite-t-elle autant de ferveur que d’hostilité : l'Exposition de 1937 vient de montrer comment le musée peut devenir plus aisément accessible à un public non initié.»171

Pour Le Figaro, chantre de la bourgeoisie éclairée, la nouvelle muséographie est une réussite incontestable. Néanmoins, là où L’Humanité conçoit la nouvelle muséographie

167 DECAUNES Luc, « Un panorama vivant des arts plastiques français », L’Humanité, n° 14056, samedi 12

juin 1937, Paris, L’Humanité, p. 8.

168 Pour Ory, la naissance de la muséographie date de la « La fameuse exposition Van Gogh, qu’on peut

considérer rétrospectivement comme la première exposition artistique moderne, le prototype de toutes les grandes expositions des musées nationaux des décennies suivantes, jusqu’à aujourd’hui inclusivement. » « Naissance de la muséographie moderne », dans ORY Pascal, La belle illusion. Culture et Politique sous le

signe du Front populaire : 1935-1938, Paris, Plon, 1994, p. 255.

169 George Besson (1882-1971) est le représentant caractéristique de ces intellectuels qui s’investissent sous

le Front populaire. Sympathisant socialiste puis communiste, il prend sa carte au parti communiste pendant le Front populaire.

170 BESSON George, « Les expositions - Muséographie », L’Humanité, n° 14077, samedi 3 juillet 1937,

Paris, L’Humanité, p. 8.

171 BESSON George, « Les expositions - Muséographie », L’Humanité, n° 14077, samedi 3 juillet 1937,

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comme l’un des succès imputables au Front populaire, Le Figaro en fait un produit de son époque :

« On connaît les tendances du jour. La conception du musée pour dilettante choque les démocraties contemporaines. Le musée, tel qu'elles l'admettent, doit être avant tout pédagogique donc, mis à la portée de tous les publics. »172

Raymond Lécuyer se félicite de cette démarche qui démocratise le musée :

« Un visiteur qui viendrait déjà documenté sur Van Gogh peut trouver là de quoi réveiller ses souvenirs, parfaire ses renseignements, enrichir ses réflexions sur le peintre. Un visiteur qui arrive très mal informé peut, en un temps assez court, apprendre son Van Gogh par cœur »173

Le seul reproche du journaliste se concentre sur la pédagogie un peu simpliste du musée qu’il nous expose comme étant « à la russe. »174

Cette démocratisation de la culture est indissociable de la nouvelle optique culturelle du parti communiste. Dorénavant, le parti de la classe ouvrière se présente aussi comme un défenseur ardent de la culture française :

« Une culture une et indivisible, dont les classes populaires étaient les héritières naturelles et que l’avant-garde communiste devait être la première à défendre contre les attaques de droite comme de gauche »175

Le 24 septembre 1937, Paul Vaillant-Couturier, le rédacteur en chef de

L’Humanité, adressa à ses lecteurs un témoignage caractéristique de cette nouvelle optique

culturelle. À la suite d’une visite du Palais de Tokyo et de son exposition des chefs d’œuvres de l’art français, l’auteur présente son parti comme le défenseur de la culture française face à la montée des périls.

« Je sentais, au fur et à mesure de notre marche parmi les chefs-d'œuvre, monter à la fois la fierté renouvelée d'être les fils de ce sang-là et la révolte à l'idée que de pareilles richesses, de pareilles beautés françaises pouvaient risquer d'être un jour à la merci d'une bombe d'avion, d'un obus de canon lourd, de la torche ou simplement du décret d'un vandale. Notre parti, en faisant de son corps un rempart à la culture française et à l'intelligence menacées par la

172

Raymond Lécuyer, « Dans le nouveau palais du quai de Tokyo de la muséographie à Van Gogh », Le

Figaro, n° 175, Jeudi 24 juin 1937, Le Figaro, Paris, p. 2.

173 Ibidem

174 « J'avoue ne pas aimer beaucoup, en principe, cette sorte d'enseignement moral, ces slogans culturels, à la

russe, qui prétendent résumer en quelques mots les mondes d'idées et de faits auxquels seraient si nécessaires les nuances d'un commentaire critique. » LÉCUYER Raymond, « Dans le nouveau palais du quai de Tokyo, de la muséographie à Van Gogh », Le Figaro, n° 175, jeudi 24 juin 1937, Le Figaro, Paris, p. 2.

175 « Une culture de la main tendue », dans ORY Pascal, La belle illusion. Culture et Politique sous le signe

barbarie des fascismes, notre parti profondément attaché aux valeurs spirituelles, a bien le sentiment qu'il continue la France. Et il veut de toutes ses forces aider les créateurs à créer, l'Esprit à se libérer, l'intelligence à trouver la plus large audience des foules françaises. » VAILLANT-COUTURIER Paul, « Nous continuons la France », L’Humanité, n° 14159, vendredi 24 septembre 1937, Paris, L’Humanité, p.1 et 3.