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Rˆ ole d’un point de vue oscillant dans la perception visuelle du mouvement propre

2.1 Rationnel de l’étude

Durant notre propre déplacement vers l’avant, le mouvement des images des objets de l’environnement crée une configuration complexe du flux optique sur la rétine. Cette confi-guration du flux optique contient des informations sur l’amplitude et la direction des com-posantes linéaires et angulaires du mouvement propre (Redlick & al.,2001). L’information directionnelle tirée de la translation fait référence au "heading" deGibson (1950), elle peut être extraite et démêlée depuis les mouvements confondus des yeux et de la tête (Warren & Hannon,1990). Cependant, l’extraction de cette information en présence de composantes rotationnelles s’avère non triviale. Pourtant, des études récentes ont montré que les abeilles sont capables d’utiliser le flux optique afin de juger la distance parcourue en volant (Srini-vasan & al., 1996; Srinivasan, 2000). Il a en outre été montré que l’humain présente une aptitude similaire lorsqu’on lui présente un flux optique simulé par ordinateur (Bremmer & Lappe,1999;Redlick & al.,2001). Ces études ont démontré que le flux optique seul peut être utilisé pour discriminer les distances de façon précise et pour reproduire une distance parcou-rue (Bremmer & Lappe,1999;Frenz & Lappe,2005;Harris & al.,2012). De plus, quand un flux optique est présenté seul en l’absence d’autres indices sensoriels de mouvement propre, il peut alors susciter la perception illusoire de son propre déplacement plutôt que la sensation de voir un monde en mouvement. Cette sensation illusoire de mouvement propre est appelée "vection" et elle est associée à la perception d’un déplacement et d’une vitesse (Howard & Howard,1994). La vection est donc une preuve que l’information de déplacement peut pro-venir du flux optique.

Dès lors, la question se pose de savoir si des simulations visuelles de la marche, chez des sujets stationnaires, initialement mises au point dans le domaine de la réalité virtuelle (e.g. Lécuyer & al., 2006; Terziman & al.,2013), sont susceptibles d’affecter la perception de la distance virtuellement parcourue ? Classiquement, le déplacement en environnement virtuel se fait par translation « pure » d’une scène visuelle. Or, il a été suggéré que, lors d’un déplacement virtuel, en fusionnant à cette translation un ensemble d’oscillations mimant les mouvements de la tête lors d’un déplacement pédestre, on pouvait donner au sujet l’impres-sion de marcher ou de courir (Lécuyer & al., 2006; Terziman & al., 2013). Il a par ailleurs été montré que l’adjonction, dans un flux optique, de mouvements oscillatoires rappelant la marche, favoriserait la survenue de la vection, et augmenterait son intensité et sa durée (Bubka & Bonato,2010; Kim & Palmisano,2008; Kim & al.,2012). Il a également été sug-géré que cette impression de marcher visuellement induite augmenterait le « sentiment de présence » à l’intérieur de l’environnement virtuel (Interrante & al.,2008). Il a enfin été sug-géré que cette impression de marcher visuellement induite permettrait d’améliorer

l’estima-tion des distances virtuellement parcourues (Terziman & al.,2009). A travers cette première expérimentation, nous nous sommes donc proposés de tester cette hypothèse directement.

2.1.1 Méthode

Pour ce faire, nous avons soumis des sujets stationnaires à deux types de déplacement virtuel visuellement induit par un flux optique global dans un environnement immersif de type Cave Automatic Virtual Environment (CAVE) (Cruz-Neira & al.,1993). Le premier type de flux (appelé « linéaire ») était généré par une translation « pure » de l’environnement visuel simulant un déplacement vers l’avant. Le second (appelé « oscillatoire ») présentait, en plus de cette translation, des oscillations théoriques supposées simuler les mouvements de tête lors de la marche (Lécuyer & al.,2006;Cappozzo,1981). Les deux types de flux avaient une même vitesse moyenne. La tâche consistait à estimer la distance pour rejoindre une cible située au sol dans un tunnel virtuel (distances du sujet à la cible 6, 9, 12, 15, 18 ou 21 mètres). Après inspection de la scène et estimation de la distance égocentrique à la cible sur la base d’indices statiques, la cible disparaissait et le flux visuel (« linéaire » ou « oscillatoire ») était administré (i.e., le tunnel avançait vers le sujet). Au cours de ce mouvement visuel, le sujet devait indiquer quand il pensait avoir atteint la position mémorisée de la cible.

2.1.2 Résultats et Discussions Experience n°1

Les résultats de cette première expérience montrent que toutes conditions confondues, les estimations de la distance parcourue tendent à être généralement sous-évaluées. En cela, ils confirment un résultat solidement établi dans la littérature selon lequel les estimations de distances tendent à être sous-évaluées en environnement virtuel comparativement aux environnements réels (Loomis & Knapp, 2003; Mohler & al., 2006; Harris & al.,2012; Pi-ryankova & al.,2013). De plus, les sous-estimations sont moindres en condition "oscillatoire" qu’en condition "linéaire" et par conséquent, les estimations sont plus proches de la "vérité" en condition "oscillatoire" qu’en condition "linéaire". Les données obtenues ont été confrontées au modèle de Lappe & al. (2007) ("leaky path integrator model") impliquant deux para-mètres, le gain sensoriel (k) correspondant à la qualité de transformation du flux optique en distance parcourue, et le taux de fuite correspondant à l’augmentation de la tendance à sous-estimer la position courante de la cible. Ce modèle a montré que le taux de fuite (α) semble être impliqué dans la différence de résultat obtenue à travers nos deux conditions de simulation de mouvement propre. Cela suggère que le flux optique oscillant permet une meilleure intégration du trajet du fait d’une moins importante perte d’information au cours de celui-ci résultant en une meilleure estimation de la distance parcourue.

A ce point, la question se pose de savoir qu’est-ce qui, dans la condition "oscillatoire", permet au sujet une meilleure estimation de la distance parcourue ? Pour rappel, le flux oscil-latoire utilisé dans cette première expérience résulte d’un mouvement biologique théorique supposé modéliser les mouvements de tête pendant la marche (Lécuyer & al.,2006). En tant que tel, ce modèle théorique présente différentes propriétés dont on peut se demander si elles sont ou non responsables de la meilleure estimation de la distance parcourue ? Deux propriétés ont retenu notre attention : la rythmicité et le caractère biologique des oscilla-tions. En d’autres termes, est-ce la rythmicité "pure" (régularité parfaite) donnée par le flux ou bien est-ce le caractère biologique (période, longueur de pas, amplitudes des oscillations) de ce flux qui est en cause dans les performances observées ? Pour répondre à cette question, dans une seconde expérience nous avons repris le même protocole que l’expérimentation n°1 (seules les distances variaient), en comparant cette fois trois conditions de simulation visuelle de déplacement : une condition de flux "linéaire", une condition de flux "rythmique" et une condition de flux "biologique". Par souci de distinction entre les deux conditions non-linéaires, le flux "rythmique" est caractérisé par une régularité clairement non biologique. Par ailleurs, par souci de rapprochement accru avec un comportement naturel, le flux "biologique" est caractérisé, non plus par une modélisation théorique, mais par une concaténation de signaux biologiques préalablement enregistrés.

Experience n°2

Les résultats de l’expérience n°2 semblent indiquer que les conditions "biologique" et "rythmique" permettent une meilleure estimation de la distance parcourue, par rapport à la condition "linéaire", mais que les conditions "biologique" et "rythmique" ne se distinguent pas significativement. Cet effet du mode de simulation visuelle de déplacement est cependant dépendant de la distance de l’observateur à la cible. En effet, la différence mesurée entre les modes "biologique" et "rythmique" comparativement au mode "linéaire" est vérifiée pour les "grandes" distances, mais pas pour les courtes distances. Tout comme dans l’expérience n°1 ces résultats sont soutenus par les valeurs des paramètres du modèle deLappe & al.(2007).

Globalement, ces résultats peuvent être comparés avec ceux obtenus dans une séries d’expériences menées sur la "vection" (Seno & al.,2011;Kim & Khuu,2014) suggérant que des stimulations de cette sorte pouvaient maintenir la sensibilité des sujets aux mouvements rétiniens et par conséquent réduire leur adaptation à la composante radiale du mouvement. Cette hypothèse pourrait être compatible avec la réduction du taux de fuite concernant les conditions de flux optiques oscillatoires.

2.2 Article 1. Viewpoint oscillation improves the perception of