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Cadre g´ en´ eral des travaux

1.1 La perception du mouvement propre

1.1.2 Le caractère interoceptif du flux optique

PourGibson & al.(1955), le flux optique global résulte du mouvement d’un observateur et à cet égard, remplit une fonction intéroceptive (ou proprioceptive - i.e. fournit des infor-mations sur le mouvement de notre propre corps). Il serait exagéré de dire que la fonction de la vision est uniquement proprioceptive, puisqu’elle nous renseigne également sur des changements de l’environnement indépendants de nos mouvements (extéroception). C’est pour cette raison que Lee(1978) considère le flux optique global comme une information ex-proprioceptive, puisqu’elle provient du monde extérieur et qu’elle procure à l’individu des informations sur son propre mouvement. Les travaux de Gibson et Lee indiquent donc qu’un individu n’a pas besoin, pour se déplacer dans son environnement, de connaître les caracté-ristiques physiques de cet environnement, puisque l’état de l’évolution de ses relations avec l’environnement contient les propriétés de son propre déplacement.

Nous avons pour l’instant défini le flux optique comme le mouvement visuel généré par le déplacement d’un point d’observation. Cependant, notre corps n’est pas uniquement consti-tué d’un œil cyclopéen en mouvement, mais nous bougeons constamment nos yeux et notre tête, et parfois indépendamment des mouvements de notre propre corps. En conséquence, les rotations des yeux et de la tête distordent le flux optique – que nous appellerons flux rétinien – ce qui pourrait rendre le prélèvement de l’information visuelle relative au déplace-ment du corps complexe (Authié,2011). Une solution à ce problème serait de décomposer le flux rétinien en translations et rotations, afin de récupérer la composante ex-proprioceptive présente dans le flux optique. Une manière de faire cette décomposition serait d’utiliser des informations extra-rétiniennes (comme la copie d’efférence de la commande motrice ou une autre ré-afférence) pour estimer la rotation de l’œil et la soustraire au flux rétinien (Banks & al.,1996;Royden & al.,1994;von Holst & Mittelstaedt,1950). Une autre possibilité serait que l’information soit disponible dans le flux rétinien directement et que cette décomposi-tion puisse être faite uniquement avec des informadécomposi-tions visuelles (Warren & Hannon,1988, 1990), ce qui est suggéré par de multiples analyses mathématiques du flux (Longuet-Higgins & Prazdny,1980;Prazdny,1980). Cette question a soulevé un débat toujours vivace.

Le mouvement des yeux et la stabilité du monde

Lorsque les yeux sont stationnaires (stationnaires dans l’espace, c’est-à-dire que ni les yeux, ni la tête, ni le corps ne bougent), il y a une relation simple entre la position et le mou-vement des objets dans l’espace, et l’image rétinienne projetée (Morvan,2007). Par exemple, nous avons vu que lors d’un mouvement propre vers l’avant, il existe une singularité dans la distribution des vecteurs de mouvement, qui est le point unique où le vecteur de mouvement est nul, autrement dit où la vitesse locale est nulle (Figure1.3). Comme nous l’avons vu pré-cédemment, c’est cette singularité du flux optique, appelée foyer d’expansion, qui détermine la direction de déplacement de l’observateur. Toutefois la direction et l’amplitude du flux gé-néré ne dépendent seulement du mouvement du corps entier mais également de la rotation de l’œil et de sa vitesse de rotation. En conséquence, les mouvements des yeux, parce qu’ils génèrent un flux optique qui s’ajoute au flux provenant du déplacement de l’observateur, en-traînent un déplacement du foyer d’expansion sur la rétine, voire sa disparition (Warren & Hannon,1990; Lappe & Hoffmann,2000). Ainsi, les mouvements des yeux font apparaître une ambigüité en rompant la relation directe entre la position du foyer d’expansion sur la rétine et la direction du déplacement, ce qui complique la détermination de cette dernière à partir du flux optique (Figure1.4). Plus généralement, le flux optique sur la rétine dépend du déplacement du sujet, de la direction du regard par rapport à celle du déplacement, et de la

rotation des yeux. Ainsi, le système visuel ne peut encoder la localisation des objets qu’à par-tir de leur position sur la rétine, d’autres formes d’informations peuvent alors être nécessaires.

Au moins trois types d’informations sont généralement distingués :

- les informations rétiniennes : la structure du mouvement projetée sur la rétine contien-drait des indices suffisants pour distinguer les mouvements du monde des mouvements pro-voqués par le mouvement de l’observateur (théorie de la perception directe ; Gibson, 1950, 1966,1979)

- les informations proprioceptives des muscles oculaires ou d’autres récepteurs : théorie du flux afférent (ou inflow hypothesis ;Sherrington,1918;Matin,1974)

- la commande neurale des muscles extraoculaires : théorie du flux efférent (ou outflow hypothesis ;Sperry,1950;von Holst & Mittelstaedt,1950)

Les flux efférent et afférent constituent le signal extra-rétinien, par opposition au signal rétinien visuel. Ces trois théories peuvent être distinguées en deux catégories : d’une part la théorie de la constance spatiale "directe" basée sur les informations rétiniennes et soutenue par Gibson, et d’autre part les théories de constance spatiale "indirecte" basées sur l’utilisation d’un signal extra-rétinien. Dans la théorie "afférente" de Sherrington, une afférence des muscles extra-oculaires transmet au système nerveux central une information sur le mouvement de l’œil. Ce signal serait combiné au signal rétinien pour évaluer la position de l’objet dans l’es-pace indépendamment de sa position rétinienne. Dans la théorie "efférente" de Helmholtz, une copie de la commande motrice est transmise à un système intégratif pour effectuer cette correction (Figure1.5).

Théorie directe : utilisation d’informations rétiniennes. Gibson (1950,1966) a montré que la projection rétinienne contient plus d’informations sur le monde visuel et sur la posi-tion et les activités de l’observateur dans le monde qu’il n’était tradiposi-tionnellement considéré. Par exemple, pendant les saccades, la séquence des projections rétiniennes contient des infor-mations qui spécifient de manière non-ambiguë qu’une saccade a été effectuée. De même que le type de transformation de l’image perçue dans une séquence vidéo peut informer un ob-servateur sur le type de mouvement de la caméra, sans aucune information extra-rétinienne sur les déplacements de la caméra. Ainsi, les déplacements rigides de la totalité de l’image rétinienne, les indices relationnels de "bas niveau" qui sont invariants pour un type de dé-placement sont de bonnes informations candidates pour spécifier les mouvements des yeux. Gibson(1966) rejette le problème de la stabilité perceptive car le monde est écologiquement stable et que les mouvements de l’image entière doivent être dus aux mouvements des yeux plutôt qu’à des mouvements du monde.

Figure 1.4 – Flux optique sur la r´etine, direction du regard et rotation des yeux. A. La direction du regard (symbolis´ee par le cercle) est parall`ele `a la direction de d´eplacement (= DD ; croix). Le flux optique est un flux d’ex-pansion pur. Le foyer d’exd’ex-pansion est centr´e sur la r´etine. B. L’observateur fixe un point sur l’horizon, d´ecal´e `a gauche par rapport `a la DD. Ceci ne provoque pas de mouvement des yeux. Le foyer d’expansion indique toujours la DD, mais il n’est plus centr´e sur la r´etine. C. Le regard de l’observateur est dirig´e sur un point localis´e sur le sol, en avant et `a gauche de la DD. Ceci provoque (i) un d´eplacement de l’image r´etinienne (de l’horizon) vers le haut, et (ii) un mouvement des yeux pour maintenir le regard sur le point fix´e qui est en mouvement par rapport `a l’observateur. Le flux optique se compose d’un flux radial dˆu au d´eplacement, auquel s’ajoute un flux circulaire dˆu `a la rotation des yeux. La r´esultante est un flux spiral, dont la singularit´e est li´ee `a la fixation du point sur le sol et n’est plus un indicateur de la DD. D. Tout en avan¸cant, l’observateur suit du regard un objet qui se d´eplace sur l’horizon (vers la gauche). L’effet de la poursuite oculaire est un d´eplacement de l’image r´etinienne dans le sens oppos´e au mouvement des yeux (vers la droite). Le flux optique r´esultant de cette combinaison est compos´e d’un flux radial (d´eplacement de l’observateur) et d’un flux plan (rotation des yeux) donnant l’impression que l’observateur se d´eplace sur une trajectoire courbe. Il n’y a plus de singularit´e du flux optique. D’apr`esLappe & Hoffmann,2000.

Figure 1.5 – Les th´eories eff´erente et aff´erente de la constance spatiale pendant les mou-vements des yeux. La th´eorie aff´erente propose que les informations proprioceptives sur le mouvement des yeux soient combin´ees avec le signal r´etinien de d´eplacement pour ´evaluer le d´eplacement de l’objet. La th´eorie eff´erente propose qu’une copie de la commande motrice soit combin´ee avec le signal r´etinien. (D’apr`esPalmer,1999)

Théorie indirecte afférente : utilisation d’informations proprioceptives. Une source alter-native d’informations sur la position de l’oeil serait les signaux proprioceptifs des muscles extra-oculaires.Sherrington(1918) a démontré la présence de récepteurs à l’étirement dans les muscles extraoculaires et a défendu l’idée que le système visuel utilisait les informations proprioceptives fournies par ces récepteurs lors des mouvements des yeux. Cette théorie est connue sous le nom de théorie afférente (inflow hyptohesis). Cependant, cette théorie rend difficilement compte des effets perceptifs qui précédent les mouvements des yeux, étant donné les latences de ces signaux proprioceptifs. L’influence la plus précoce possible de ces signaux est autour de 20 ms après le démarrage de la saccade, alors que la suppression sacca-dique peut commencer plus de 50 ms avant le début de la saccade (la suppression saccasacca-dique est une perte de sensibilité visuelle provoquée par la saccade). Ainsi, si la proprioception peut jouer un rôle ultérieur dans la saccade, elle ne peut être responsable des événements précoces impliqués dans la stabilité perceptive. Néanmoins, des études plus récentes montrent que le feedback proprioceptif pourrait contribuer en partie à la stabilité (Gauthier & al.,1990; Brid-geman & Stark, 1991) : dans ces études, l’oeil est déplacé passivement par une pression digitale (dans le cas deBridgeman & Stark) ou par une lentille (pourGauthier & al.). Le dé-placement de l’oeil induit alors des erreurs de localisation visuelle. Ces études n’impliquent cependant pas que ces signaux proprioceptifs soient utilisés dans le cas de déplacements ac-tifs de l’oeil.

propose que la commande du cerveau aux muscles oculaires constitue une information uti-lisée pour permettre la stabilité perceptive. Il existe des raisons empiriques et théoriques qui soutiennent le point de vue selon lequel un signal efférent ou une branche de celui-ci telle qu’une "décharge corollaire" (Sperry,1950) ou une "copie efférente" (von Holst & Mit-telstaedt, 1950) serait l’information utilisée. Tout d’abord du point de vue temporel, alors que les informations proprioceptives ne sont par définition disponibles qu’une fois que l’œil bouge, la commande motrice, elle, peut être utilisée avant le mouvement effectif de l’œil et pourrait expliquer un phénomène précoce de la stabilité perceptive : la suppression sacca-diques.

De nombreux travaux expérimentaux se sont intéressés à déterminer quel type d’in-formation est utilisé lors de la perception du mouvement propre. La plupart d’entre eux consistent à demander à des observateurs de distinguer la direction du déplacement (pour des trajectoires rectilinéaires), tout en poursuivant une cible mobile, ou alors en simulant un déplacement du regard. La direction du déplacement peut être perçue sans biais pour des vitesses faibles de simulation de rotation du regard (en-dessous de 6 degrés par seconde pour l’étude devan den Berg,1993), donc sans informations extra-rétiniennes. Au-dessus de cette vitesse, les informations extra-rétiniennes sont indispensables. Avec des scènes visuelles plus riches (et donc des éléments de texture permettant une information de parallaxe du mouve-ment), les jugements sont possibles avec des informations uniquement rétiniennes (Warren, 1998;Li & Warren,2000).