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Rapidité et qualité des enquêtes et moyens d’investigation

254. L’adéquation des moyens et ressources de la fonction d’enquête fait l’objet de rapports antérieurs et d’examens en cours de réalisation par les services de contrôle. Il s’agit notamment de rapports établis par le CCI, le CCIQA ou le Comité des commissaires aux comptes, ainsi que d’examens collégiaux (pour certains organismes)133. Bien que les défis de la fonction d’enquête dépassent par nature le cadre du présent examen, certains problèmes intéressant particulièrement la question de la fraude sont soulignés ci-dessous.

Rapidité des enquêtes et moyens d’investigation

255. Un certain nombre de fonctionnaires, occupant ou non un poste de direction, trouvent que les enquêtes menées dans le système des Nations Unies prennent trop de temps. Les enquêteurs ont indiqué que les enquêtes complexes, à savoir celles qui portent sur des affaires de collusion ou de fraude impliquant des tiers, prenaient en moyenne douze à dix-huit mois134, et parfois plus. Qui plus est, la procédure d’enquête n’est que la première étape : quand la fraude est confirmée, la direction de l’organisme doit examiner le rapport d’enquête pour déterminer les mesures disciplinaires et correctives à prendre. Ce processus de suivi par la direction prend quatre à huit mois en moyenne. En général, plus une enquête dure, plus il est difficile d’obtenir, de recueillir et d’établir les éléments de preuve nécessaires.

256. Lorsque des fonctionnaires font appel d’une décision ou mesure disciplinaire, il peut s’ensuivre plusieurs mois de procédures devant les tribunaux du système des Nations Unies135, dans le cadre de l’administration interne de la justice.

257. De nombreuses personnes interrogées ont indiqué que la durée interminable du processus (enquête, suivi disciplinaire et procédures devant les tribunaux) contribuait

133 Voir, par exemple, JIU/REP/2000/9, par. 55 à 70 ; A/70/284, par. 63 à 66.

134 Voir A/69/304, par. 53.

135 Tribunal du contentieux administratif des Nations Unies, Tribunal d’appel des Nations Unies et Tribunal administratif de l’OIT.

à établir un sentiment d’impunité parmi les auteurs d’actes de fraude au sein du système des Nations Unies. Il en résulte que les fraudeurs éventuels ne sont pas dissuadés de passer à l’acte et que les fonctionnaires ne sont pas disposés à signaler les fraudes136, estimant, à tort ou à raison, que leur organisme n’est pas favorable aux mesures de suivi ou que le fraudeur ne sera probablement pas sanctionné même si les preuves sont suffisantes. Cela concorde avec les réponses reçues dans le cadre de l’enquête du CCI sur la fraude, comme le montre la figure 9 (au chapitre X ci-après). Les résultats d’autres études pertinentes, comme l’enquête sur l’intégrité à l’ONU réalisée en 2014 par le Bureau de la déontologie, mettent au jour des perceptions similaires.

258. Force est de rappeler les recommandations formulées par différents organes de contrôle137 au sein du système des Nations Unies quant à la nécessité, pour les organismes, de régler d’urgence le problème de la longue durée des enquêtes.

259. Il faut aussi renvoyer aux suggestions d’un certain nombre de bureaux d’enquête interrogés selon lesquelles, entre autres choses, la direction et les organes délibérants et directeurs devraient fournir les ressources qui conviennent pour régler le problème des moyens d’enquête, en fonction de la vulnérabilité d’un organisme aux risques de fraude (et d’autres actes répréhensibles).

260. Il est à noter que, vu l’importance croissante que le Secrétariat de l’ONU accorde aux enquêtes portant sur des fraudes majeures, en particulier celles commises par des partenaires d’exécution, un gouvernement donateur a accepté de financer, au sein du BSCI, une équipe d’enquête sur les fraudes composée de trois administrateurs et d’un agent des services généraux en poste à Nairobi, et ce pour une période de quatre ans. Il s’agit là, de la part du donateur, d’un effort louable susceptible d’atténuer certains des problèmes de ressources pesant sur la fonction d’enquête.

261. La mise en œuvre de la recommandation suivante devrait améliorer l’efficacité et l’efficience du programme de lutte antifraude des organismes.

Recommandation 13

Les chefs de secrétariat des organismes des Nations Unies, en concertation avec les comités consultatifs pour les questions d’audit, devraient veiller à ce que la fonction d’enquête de leurs organismes respectifs établisse des indicateurs de résultats pour la conduite et l’achèvement des enquêtes, et dispose de moyens suffisants pour enquêter, en fonction d’un classement des risques ainsi que de la nature et de la complexité des enquêtes.

Qualité des enquêtes

262. Les personnes interrogées ont indiqué que la qualité des enquêtes (à savoir le respect de la procédure régulière et des pratiques professionnelles) avait fait l’objet de critiques de la part des juges siégeant aux tribunaux des Nations Unies. La situation varie d’un organisme à l’autre. Certains organismes ont indiqué que le taux de succès des affaires présentées par leur direction avait augmenté au cours des dernières années. D’autres ont indiqué qu’un certain nombre d’affaires se terminent en appel en raison de la qualité, ou du

136 Voir également la partie intitulée « Activités du Bureau de la déontologie du PNUD » dans le Rapport du Bureau de la déontologie pour 2014 (DP/2015/23), par. 61.

137 Voir, par exemple, JIU/REP/2000/9, par. 55 à 70 ; A/70/284, par. 63 à 66 ; Fonds de contributions volontaires gérés par le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés : rapport financier et états financiers vérifiés pour l’année terminée qui s’est achevée le 31 décembre 2012 et rapport du Comité des commissaires aux comptes (A/68/5/Add.5) ; A/69/304, par. 53 ; A/70/284, par. 63 à 66.

manque de qualité, de l’enquête sous-jacente. Mais d’autres encore ont indiqué que leurs bureaux juridiques avaient classé des affaires, considérant qu’elles ne résisteraient pas à l’examen en appel. Aucune donnée ou statistique n’a été mise à la disposition des Inspecteurs pour corroborer ces déclarations. Par conséquent, il n’a pas été possible d’établir clairement si les affaires disciplinaires étaient classées à cause d’une mauvaise qualité des enquêtes ou pour d’autres raisons.

263. De même, dans son rapport de 2014138, le CCIQA s’est penché sur la question de savoir si la fonction d’enquête actuellement en place au sein du Secrétariat de l’ONU était à la hauteur du nouveau système de justice des Nations Unies, composé du Tribunal du contentieux administratif des Nations Unies et du Tribunal d’appel des Nations Unies. Le CCIQA a conclu que, si les enquêteurs du BSCI comme les autres obtenaient d’assez bons résultats devant les tribunaux, ceux du BSCI s’en sortaient quand même un peu mieux139. 264. En même temps, le rapport du CCIQA a aussi relevé qu’il ne suffisait pas de s’en tenir aux seules affaires finissant devant les tribunaux pour dresser un tableau complet, car il arrive parfois que la direction, selon ses propres dires, décide de classer des affaires sans prendre de mesures disciplinaires, estimant que le dossier ne tiendrait pas devant le système actuel d’administration de la justice140. La direction a aussi informé le CCIQA « qu’au Secrétariat, la procédure d’enquête actuelle n’était pas à la hauteur du nouveau système professionnalisé d’administration de la justice car, outre le BSCI (seul organe doté d’enquêteurs professionnels), elle faisait intervenir des groupes spéciaux composés de chefs de bureau et de département, le Département de la sûreté et de la sécurité, le Groupe des enquêtes spéciales (dans les missions de maintien de la paix), etc., et la plupart des enquêtes de ces partenaires de circonstance étaient réalisées par des enquêteurs non professionnels141 ».

265. Plusieurs bureaux d’enquête interrogés, ainsi que des bureaux juridiques, ont mentionné les difficultés que présente le « niveau de preuve » requis par les tribunaux des Nations Unies. En octobre 2011, le Tribunal d’appel des Nations Unies a rendu une décision imposant d’établir des « preuves claires et convaincantes » plutôt que la

« prépondérance des preuves » qui s’appliquait jusqu’alors, et cela impose désormais des exigences supplémentaires quant à la qualité des enquêtes142. Comme l’ont expliqué les personnes interrogées, ce nouveau niveau de preuve est plus élevé que celui utilisé avant 2011 et, en pratique, il est presque équivalent au critère employé dans les procédures pénales de nombreux pays, à savoir celui de « l’intime conviction » exprimée par l’expression « hors de tout doute raisonnable » dans les pays de common law. Selon les informations recueillies, cela fait peser des exigences supplémentaires sur la profondeur et la qualité des enquêtes. Il est à noter que la Banque mondiale applique couramment un niveau de preuve inférieur (« plus probable que l’hypothèse inverse ») aux éléments de preuve recueillis, ce qui a pour effet résiduel de réduire la durée des enquêtes et les ressources requises.

138 A/69/304.

139 A/69/304, par. 66.

140 A/69/304, par. 67.

141 A/69/304, par. 63 ; voir également A/70/284, par. 63 à 66 ; voir également la résolution 70/111 de l’Assemblée générale, par. 14 à 18 concernant les activités du Bureau des Services de contrôle interne et par. 4 relatif aux activités du Comité consultatif indépendant pour les questions d’audit.

142 Voir A/70/5 (Vol. I) et Corr.1, par. 101.

266. Les problèmes liés à des dossiers incomplets ou défectueux apparaissent nettement lors des procédures internes d’administration de la justice, certaines affaires ayant débouché sur un non-lieu pour cause de dossiers insuffisants143.

267. Le renvoi de certaines affaires devant les instances judiciaires nationales est un sujet particulièrement important et délicat. Comme les enquêtes conduites par le système des Nations Unies sont de nature administrative et non pénale, les rapports d’enquête et les éléments de preuve recueillis ne sont pas nécessairement adaptés aux procédures nationales, si bien que les affaires portées devant les instances nationales nécessitent le recueil d’éléments de preuve supplémentaires et donc une prolongation des délais. Sur la question des renvois, voir la section B du chapitre X et la recommandation 14 ci-dessous.