• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE II : NOUVELLES DIMENSIONS DU RAPPORT SALARIAL

A. DES RAISONS DE LA RÉUSSITE ET DE L'ÉCHEC DE L'EXPRESSION

Le constat et le fonctionnement de l'expression

Le fait le plus curieux dans le bilan que l'on peut faire de l'expérience des groupes d'expression, transformés sans gros problèmes en 1985 en Conseils d'Atelier ou de Bureau, c'est que le bilan officiel de 1984, prévu par la loi du 4 août 1982 instituant les Groupes d'Expression, a été en quelque sorte un palier et un tournant dans la vie de ces groupes, à la CGR tout du moins. Peu de nouveaux conseils, institués par un accord signé en janvier 1985 par la CFDT, la CGC et la CGT, ont vu le jour. Plusieurs anciens groupes d'expression ont cessés de fonctionner. Et les quelques groupes qui marchaient régulièrement ont continué sous la forme de Conseils. Si nous prenons l'établissement de Stains. Sur les 6 groupes ayant existé jusqu'en 1984, représentant 8 % du personnel environ, et malgré la création de 3 nouveaux conseils, 3 ou 4 fonctionnaient seulement en 1987. Parmi ceux-ci le Conseil du Montage Mécanique, de l'expérience duquel nous partirons dans cette étude, en était à sa 17 ème réunion en novembre 1987.

Il avait été le premier groupe d'expression à démarrer en décembre 1983. Il se réunissait à la demande de ses membres, quand il voulait aborder un problème, pour des réunions de deux heures environ, jusqu'en 1987 où il décida des réunions d'une heure tous les mois. Il définissait lui même ses ordres du jour, par consultation des membres de l'équipe sur le lieu de travail ou lors de la réunion précédente. L'animateur de la réunion était désigné par le groupe qui s'efforçait de susciter des nouveaux volontaires à

chaque fois pour permettre à chacun d'animer. La discipline de parole était strictement établie par le groupe et l'animateur, facilitant l'expression de chacun. Le rapporteur, désigné par le groupe parmi les volontaires, tournait également; il avait la tâche difficile de réaliser les compte-rendus de réunion avec les questions et suggestions proposées qui étaient transmises à la hiérarchie. Tâche difficile par l'absence de temps alloué pour cela, mais aussi car l'apprentissage de l'écrit, plus encore que de l'oral, nécessite du temps et des efforts. Et souvent cette tâche était confié au responsable CFDT membre du groupe qui disposait du temps, des contacts avec la hiérarchie et de l'habitude d'écrire. La hiérarchie répondait à la réunion suivante, soit par écrit au début des groupes, soit par l'intermédiaire de l'agent de maîtrise qui participait au groupe, soit par l'invité, responsable auquel le groupe avait fait appel pour étudier le problème qu'il se posait.

La négociation sérieuse et approfondie de l'accord sur l'expression en 1983 avait été exemplaire et la pratique du groupe du montage le montrait, l'expression des salariés marchait. Et elle marchait comme la négociation l'avait définie. Les discussions sur l'animation, qui en avait la responsabilité ? la hiérarchie ou le groupe, qui devait être le rapporteur?... tout cela avait disparu dans la pratique autour de la formule trouvée pour l'accord que nous avons étudié dans le chapitre III A. Deux ans et demi après son démarrage, le groupe du montage, composé en moyenne de douze monteurs mécaniciens Pl-P2- P3-TA et deux agents de maîtrise, faisait le bilan de sa pratique et affirmait dans sa conclusion : "Les Conseils d'Atelier sont maintenant une nécessité. En ce qui concerne le groupe du montage cela ne fait aucun doute, ces réunions sont devenues vitales. Nous sommes convaincus que les conseils prendront dans l'avenir encore plus d'importance, pour le bien de l'entreprise et de ses salariés". Alors, comment expliquer l'essoufflement assez général de l'expression ?

A propos de l'essoufflement de l'expression

L'expression des salariés, pratique sociale très nouvelle, est, comme toute pousse nouvelle, fragile et très dépendante pour sa croissance de l'environnement et des soins qui lui sont prodigués. Elle ne peut réussir que par le concours actif des différents acteurs intéressés. Mise en place par accord au sein de l'entreprise dont la négociation est imposée par la loi, cette pratique est dépendante de la nature de ces accords, et des réalités concrètes de l'entreprise (état des relations sociales et de la situation économique à un moment donné) sujettes à évolutions. Qu'un de ses acteurs viennent à manquer pour soutenir et développer l'expérience, et cette dernière, si elle n'a pas acquis un certain stade de maturité, s'essouffle. Un certain seuil, un certain degré d'accumulation de la pratique des groupes, grâce à l'effort persévérant du ou des partenaires intéressés, avec l'appui du personnel, des accords signés et de la loi est certainement nécessaire pour que de nouvelles habitudes commencent à se constituer et que l'expression puisse respirer.

C'est un peu ce qui s'est passé, à la CGR. Après la fin de l'année 1984 et avec la deuxième phase du redressement et le changement de responsable du personnel, un nouvel état des relations sociales s'est constitué. L'intérêt, déjà contesté par certaines hiérarchies au début de l'expérience, pour les groupes d'expression s'est émoussé, d'autant plus avec les Conseils que certains responsables considéraient avec des a priori idéologiques négatifs. A partir de là, dans de nombreux groupes où le suivi de l'expression n'était pas assuré avec la forte volonté de la voir réussir, cette dernière périclita. A l'inverse, là où malgré l'environnement moins favorable, mais non hostile, la volonté des acteurs intéressés, de la CFDT notamment dans le cas du montage mécanique, était forte, avec l'appui des salariés et de l'accord signé, l'expression a pu se développer et atteindre un seuil où des habitudes nouvelles ont commencées à être prises.

Une nouvelle situation

C'est ainsi qu'en 1987 à l'usine de Stains s'installait une situation particulière : tandis que la direction mettait en place, avec beaucoup de moyens, des cercles de qualité, baptisé ici de GIP, Groupe Initiatives et Performances, à l'initiative de la CFDT et du Conseil du Montage Mécanique, et avec l'appui du responsable de l'expression de l'usine, les animateurs des groupes d'expression existants réalisaient et distribuaient un texte d'appel au personnel pour une relance de l'expression et la constitution de nouveaux Conseils.

Faut-il croire à l'opposition systématique de ces deux formes différentes d'expression et à ce que l'une (les Cercles de Qualité) supplante nécessairement l'autre ? Faut-il voir là deux formes de rapports salariaux antagoniques amenés nécessairement à s'exclure mutuellement ? Ou bien n'y a-t-il pas là des rapports qui peuvent cohabiter, (du moins temporairement avant d'évoluer) car ne répondant pas aux mêmes besoins ?

Si l'opposition des conceptions de type Cercle de Qualité a été un frein au développement de l'expression dans les Groupes ou les Conseils, comme nous allons le voir maintenant plus en détail, l'apparition des GIP à coté des Conseils existants et la volonté de relance de ces Conseils de la part des syndicats avec l'appui de la direction, montre bien l'apparition de nouveaux problèmes. "Coexistence, concurrence ou complémentarité entre les conseils (et) d'autres modes de 'management participatif", tel apparaît bien, expliquent Dominique Martin et Wladimir Iazykoff dans leur ouvrage "Expression et participation dans le secteur public", l'enjeu et le déplacement de la problématique autour de l'expression des salariés. [Martin : 64].

Pour chercher à éclairer ces nouveaux problèmes, nous allons suivre tout d'abord l'opposition de ces deux types de rapports que sont les Groupes d'Expression et les Cercles de Qualité au cours de la mise en place des groupes d'expression à la CGR, pour cerner la nature de ces deux conceptions, puis nous chercherons à comprendre, d'une manière plus générale, les évolutions possibles de leurs rapports et les enjeux.