• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE II : NOUVELLES DIMENSIONS DU RAPPORT SALARIAL

A. LE CHANGEMENT DES POLITIQUES DE FORMATION A LA CGR

Trois politiques de formation successives

Au cours des années 70 et jusqu'en 1982 a dominé une politique, confuse, formaliste et routinière, de formations "à tout-venant" souvent instruments de récompense de la hiérarchie envers les "méritants", une politique d'adaptation aux tâches, sans véritables orientations ou lignes de force stratégique dans les plans, et sur laquelle les Commissions de Formation des Comités d'Etablissement avaient le plus grand mal à se repérer et à intervenir faute d'informations et de volonté de dialogue en la matière de la direction. Comme le remarque le document sur "les mutations de la formation dans les entreprises", réalisée par le groupe pédagogique de l'Université Apple France dans l'ouvrage de Bernard Nadoulek "L'intelligence stratégique" (Etude N° 100 du Centre de Prospective et d'Evaluation), dans cette période des années 70, "la fonction du responsable de formation consiste avant tout à gérer des procédures". Et en effet, il joue un simple rôle d'intermédiaire administratif entre la demande de formation formulée par

les chefs de service, qui ne s'appuyent d'ailleurs pas pour cela sur une communication avec leur personnel ni sur une communication entre services très cloisonnés, et l'offre toute faite des organismes de formation qui distribuent une "formation en miettes" et inadaptée aux besoins des salariés et de l'entreprise.

De 1982 à 1985, un esprit et des orientations nouvelles se développent dans un contexte national où la formation professionnelle devient une des priorités. Le rôle des Commissions Formation, où se discute la politique, les plans et les méthodes de formation et qui servent de relais entre le personnel et la direction, leur utilité est mieux reconnu. La consultation des CE devient moins formelle et l'information commence à circuler. Le pourcentage de la masse salariale de la branche médicale consacrée à la formation passe de 2,1 % à plus de 3 %. Mais le fond du problème demeure, absence de vision directrice, d'identification des besoins et des compétences nécessaires, manque de dynamisme et de mobilisation autour la formation. Dans cette période s'élabore au sein de la Direction du Personnel et des Affaires Sociales une politique de formation diplômante qui va être refusée par la Direction Générale. Cette politique visait une élévation progressive des connaissances du personnel par l'acquisition de diplômes obtenus par unités capitalisables avec l'aide de l'Education Nationale, sur la base d'un inventaire des ressources humaines et de l'évaluation de l'évolution technologique de l'entreprise. Il est reproché à ce système son manque d'opérationnalité et d'adaptation aux besoins du développement de l'entreprise. C'est un échec sanctionné par le départ du responsable de la formation, spécialiste de l'enseignement.

Le changement va se réaliser dans la troisième période, de 1985 à juillet 87, sous l'impulsion de plusieurs facteurs. D'une part une vision globale du problème va enfin être réalisée à partir de l'audit ressources humaines effectué par un organisme- conseil spécialisé.

Sur cette base d'autre part va s'opérer un changement dans la direction effective de la formation qui ne va plus être élaborée et pilotée au sein des établissements par les chefs de services et les responsables de la formation, mais bien conçue stratégiquement par la Direction Générale et les directions opérationnelles centrales en collaboration avec la Direction fonctionnelle du Personnel et des Affaires Sociales puis appliquée dans les établissements par les responsables formation chargés de la réalisation et du suivi.

Enfin l'impulsion d'idées et de propositions institutionnelles nouvelles de la part de la CFDT, à partir d' aspirations du personnel exprimées dans des Conseil d'atelier, et par des Commissions Formation va favoriser le démarrage d'un processus de mobilisation autour de la formation. L'annonce de la vente prochaine de la CGR en juillet 1987 stoppera malheureusement le mouvement.

Le budget formation de la branche passait enfin à partir de 1987 à plus de 5 % de la masse salariale de la branche, près de 6% pour la Thomson CGR seule.

Un changement de conception de la formation

La réalisation d'un audit sur les Ressources Humaines de la CGR a été la base sur laquelle s'est effectué le changement. L'initiative de faire réaliser des audits ou bilan sur la formation avait été prise par le président Gomez de la Thomson. A la CGR la direction avait commandé un audit sur les ressources humaines, un audit emploi-formation, lui permettant de connaître les besoins à moyen terme (deux-trois ans) pour construire un plan à cet horizon. Il a été fait par un organisme extérieur spécialisé en Ingenierie de Formation, l'ADEP, Association pour le Développement de l'Education Permanente, dont le statut d'Etablissement Public à caractère Industriel et Commercial donnait les garanties de neutralité voulues. Ses interventions pour diverses sociétés du Groupe, élaboration d'un plan de formation de trois ans pour Thomson Cuivre ou définition de profils de nouveaux métiers dans le Grand Public, lui donnaient un préjugé favorable.

Réalisé à partir d'entretiens avec les principaux responsables et les résultats de neuf groupes de travail constitués sur les métiers types de Thomson CGR, cet audit permit que soit constitué, et porté à la connaissance de tous, un bilan global par directions (Technique, Industrielle, Commerciale et Après-Vente) :

- des ressources en hommes dont disposait la société dans son ensemble,

- des caractéristiques professionnelles détaillées de sa main- d'oeuvre, de ses compétences et de ses manques au regard,

- des perspectives d'évolution à moyen terme pour chaque secteur et métier,

- et de leur impact sur l'emploi et les nouvelles compétences nécessaires, compte tenu de l'évolution technologique et organisationnelle et des objectifs de l'entreprise.

Ayant dégagé par cette analyse d'ensemble et détaillée les problèmes prioritaires auxquels avaient à faire face l'entreprise dans son développement pour chacune des trois grandes directions et les besoins de compétences nécessaires pour y remédier, était alors proposé, pour les assurer, - une politique d'ensemble de gestion des ressources humaines portant sur le recrutement, la mobilité et l'évolution de compétences à réaliser :

- la définition précise des plans de gestion des compétences par direction sur trois à cinq ans et les grands types de formations appropriées,

La CGR était ainsi à même d'accéder à une meilleure maîtrise de son avenir permettant l'élaboration de plans pluri-annuels de formation, qui étaient d'ailleurs réclamés depuis des années par les syndicats. Il devenait alors possible de comprendre, de discuter, de critiquer les raisons de telles ou telles orientations. D'autre part le changement dans le mode d'élaboration du plan, conçu pour les grandes lignes au niveau de la Direction Générale sur la base d'un travail prospectif sur les priorités de développement des compétences dans chaque direction, confirmait le passage de la formation comme l'une des dimensions de la stratégie de développement de l'entreprise. Laurence Crayssac de CEGOS dans la revue POUR propose d'appeler "management éducatif cette nouvelle forme de direction stratégique qui consiste à gérer et développer le patrimoine de compétences de l'entreprise par rapport à ses objectifs : conquête de nouveaux marchés, ouverture internationale,...

Selon la méthode d'élaboration explicitée plus haut, le rapport aboutissait aux résultats que nous avons détaillé au chapitre 1 A3 de cette partie. Rappelons les conséquences globales sur la structure des emplois :

- un accroissement du pourcentage du nombre d'ingénieurs à la Direction Technique et à la Direction Industrielle,

- un renforcement significatif des niveaux de compétences intermédiaires au niveau Techniciens Supérieurs à la Direction Industrielle et Commerciale,

- la réduction des bas niveaux de qualification notamment à la Direction Industrielle.

Sur la base des orientations du rapport la direction mit alors en place trois groupes de validation pour réaliser les plans de formation de la Direction Commerciale et Après-Vente, de la Direction Industrielle, et construire le plan de développement des performances et de la communication au niveau de l'ensemble de l'entreprise.

L'intervention syndicale

Les organisations syndicales critiquaient depuis longtemps les orientations et la conception de la formation dans laquelle le personnel était complètement extérieur, ni consulté dans les services pour son élaboration, ni même pour la connaissance de ses besoins, et elles-mêmes, dans l'incapacité de remplir leur mission devant l'absence de maîtrise de la formation. Elles accueillirent avec intérêt l'annonce en juin 85 de cette enquête. Le rapport ADEP bien que réalisé à la fin octobre ne fut cependant communiqué aux organisations syndicales et aux représentants du personnel, dans une version résumée, par la direction qu'en février 1986.

Leur jugement sur le contenu du rapport et la politique proposée par l'ADEP et que la direction reprit à son compte, était dans ses grandes lignes le suivant :

- Si elles jugeaient positif pour l'entreprise d'avoir une vision à moyen terme permettant de "piloter la formation", elles critiquaient le fait de ne pas être consultées et associées à l'élaboration de plan. La consultation n'étant faites qu'après élaboration du projet par l'ADEP et mises en place des groupes de travail par la direction.

- "On ne peut juger du bien fondé des évolutions quantitatives et qualitatives de l'emploi présentées par le rapport résumé, vu l'absence de lien entre ces chiffres d'emplois avancés et les objectifs industriels et commerciaux du plan moyen terme de l'entreprise, ainsi qu'avec les évolutions organisationnelles du travail", disaient-elles en s'interrogeant sur la validité des évolutions prévues qui accentuaient encore les tendances constatées (moins d'un tiers d'ouvriers en moins en cinq ans et près de 50 % d'Ingénieurs et Cadres en plus).

- Face aux évolutions importantes et parfois graves pour le personnel le moins qualifié qui se préparent, elles s'opposaient au fait d'être écartées des groupes de travail et de ne pas être consultées préalablement sur les décisions en train d'être prises.

L'importance du rapport et du changement en cours dans le processus d'élaboration du plan de formation ne leur échappait pas et face au constat de leur mise sur la touche par la direction dans une question de cette importance, un débat existait en leur sein sur les possibilités qu'elles avaient d'avoir une influence sur les décisions. Avaient-elles les moyens en hommes alors que leurs effectifs fondaient et qu'elles étaient surchargées de travail par ailleurs ? Avaient-elles les hommes suffisamment formés pour intervenir et peser dans les choix, alors que les difficultés du problème faisait que la CGR elle- même n'avait pas su le maîtriser pendant des années et qu'elles ne disposaient pas des informations nécessaires ? Le personnel, lui même, était-il susceptible d'intervenir et de peser sur ces questions pour lesquelles, s'il avait conscience qu'elles le concernaient, il ne voyait pas ce qu'il pouvait faire ? Toutes ces questions étaient posées au cours de l'année 1986 où après la présentation aux représentants du personnel du rapport ADEP la direction élaborait son plan dans les groupes de travail.

Leur réaction se réalisa sous deux formes. Dans un premier temps elles utilisèrent le moyen que leur donnait la nouvelle loi sur la formation, qui prévoyait, sans doute pour favoriser une consultation réelle des représentants du personnel sur les plans de formation, que si les plans de formation n'étaient pas approuvés par les Comités d'Etablissement, ils devaient passer au Conseil d'Administration de la société (où siégeait dans le cas de la Thomson CGR des représentants élus du personnel). Dans l'attente des résultats du rapport ADEP sur les plans de formation de 1986, les CE ne rendirent leurs

avis qu'au milieu de l'année 1986 malgré les pressions insistantes de la direction qui souhaitait, semble-t-il pas être obligée de passer par la procédure prévue par la loi, alors qu'elle réalisait un réel effort en faveur de la formation.

L'intervention du personnel d'un des Conseils d'Atelier à l'usine de Stains en octobre 86, révélatrice de divers besoins relatifs à une plus grande participation du personnel à la formation de l'entreprise, soutenue et formulée par la CFDT en demandes précises pour l'ensemble de la CGR, favorisa l'ouverture de discussions au niveau de la DPAS début 1987 sur les procédures permettant au personnel d'être directement informé et de pouvoir participer au niveau du service à la formation.

Le problème se posait en effet de manière vive au sein des ouvriers, "oubliés de la formation" depuis des années alors que c'étaient la catégorie de personnel qui voyait ses effectifs fondre d'années en années. Alors que les groupes de travail de la direction préparaient courant 86 les actions de formation que la direction comptait mettre en place au cours de l'année, le Conseil d'Atelier du Montage Mécanique mit le problème de la formation et des qualifications à l'ordre du jour de sa réunion d'octobre 86 et demanda au responsable du département de présenter le projet de formation élaboré. La surprise des ouvriers fut grande de constater que la direction avait déjà désigné, sans consultation d'aucune sorte, ceux qui suivraient la nouvelle formation à la polyvalence prévue et pourraient ainsi évoluer professionnellement. Alors qu'on parlait, comme nous l'avons vu au chapitre 1 A, d'élever les qualifications ouvrières moyennes au niveau P3- TA1 (Technicien d'Atelier) avec le changement d'organisation du travail en cours, et de développer la polyvalence, ces formations au compte-goutte décidées arbitrairement firent l'effet d'une douche froide dans ce milieu de professionnels qualifiés et révéla bien des problèmes qui se posaient. La CFDT s'appuya sur ces réactions pour formuler des revendications et demander l'ouverture de discussions avec la Direction de la CGR pour traiter des problèmes.

La revendication d'une consultation directe du personnel dans les services sur la formation prévue, d'une expression des salariés sur leur besoin, sur la prise en compte de leurs demandes qui s'inscrivaient dans le plan de l'entreprise, était exprimée. Le problème des procédures permettant aux salariés de participer à la formation, ainsi que d'avoir des garanties de formation dans le cadre du plan de l'entreprise était discuté favorablement.