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CHAPITRE II : NOUVELLES DIMENSIONS DU RAPPORT SALARIAL

A. LES POLITIQUES SALARIALES A LA CGR

Les premières négociations

A la fin de 1982 se tint la première réunion officielle de négociation sur les salaires à la CGR à l'échelon central avec le directeur de la DPAS (Direction du Personnel et des Affaires Sociales). Première négociation sur les salaires. Il aura fallu attendre que la loi impose des négociations obligatoires pour qu'elles aient lieu. Auparavant les salaires n'étaient jamais discutés avec les organisations syndicales. Mis à l'ordre du jour de chaque réunion de Comité d'Etablissement comme à l'usine de Stains par exemple, la direction de l'établissement annonçait les mesures, adaptées à l'établissement, que la Direction Générale avait prise unilatéralement, et l'empoignade avec les organisations syndicales se déroulait mensuellement ou presque sans que des évolutions puissent apparaître. D'où un état de tension salariale permanent dans l'année.

La première transformation qu'occasionna cette innovation institutionnelle sur l'obligation de négocier annuellement les salaires fut de régulariser cette tension sociale. Dorénavant la période charnière de deux années fut celle des luttes et des négociation sur les salaires, définis annuellement, et non plus plusieurs fois dans l'année selon l'avancée mensuelle de l'inflation et le climat social de l'entreprise. D'où un effet de freinage de l'inflation qu'entraînait dans sa logique propre le système antérieur. A cela s'ajouta pour casser la mécanique inflationniste qui atteignait encore près de 10% en 1982, le double effet du blocage des salaires de 1982 d'une part, et l'application de la politique Delors de refus d'indexation des salaires sur les prix d'autre part, qui conduisait, non plus à fixer les salaires en fonction de l'inflation passée, mais à se baser sur l'objectif d'inflation annuelle fixé par le gouvernement pour les définir.

Les positions des organisations syndicales en matière de salaire étaient pour l'essentiel très largement convergentes à la CGR. Les différences d'approche sur certains problèmes vis à vis desquels chaque organisation avait une sensibilité particulière (priorité aux bas salaires pour la CFDT, garantie du pouvoir d'achat pour tous à la CGT et à FO...) ne posaient pas de difficultés pour l'unité du front syndical dans les négociations salariales, tous les syndicats défendant la même revendication que les augmentations générales de l'année atteignent au moins l'objectif d'inflation anticipé par le gouvernement avec une clause de sauvegarde en cas de dérapage, les augmentations individuelles qui doivent correspondre à un mérite personnel du salarié ne devant pas être imputable sur cette masse.

Il faut noter que la pratique salariale à la CGR, du moins depuis 1975, refusait toute garantie du pouvoir d'achat, incluait la masse des augmentations individuelles et des promotions avec celle des augmentations "générales" dans un volume qui n'atteignait qu'exceptionnellement le niveau de la hausse des prix. Et de plus s'ajoutait à ce système celui des augmentations généralisées. C'est-à-dire que chacun n'était même pas garanti d'obtenir le niveau des augmentations "générales" (théoriquement pour tous mais la direction s'arrogeait la possibilité de ne pas en donner à qui elle voulait), et qui ne couvrait pas la hausse du coût de la vie puisqu'il fallait lui ajouter celui des augmentations individuelles. Une des premières mesures de la nouvelle direction dans ces premières négociations salariales fut de satisfaire à la revendication des organisations syndicales en supprimant ce système archaïque des augmentations généralisées.

Les politiques appliquées pendant le redressement

Les deux phases que nous avons dégagé au chapitre III A dans le redressement de la CGR se retrouvent dans les caractéristiques des deux types de politique salariale, que la direction a mise en place de 1982 à 1985 d'une part, et qu'elle a voulu imposer au personnel à partir de 1986 d'autre part. Nous regarderons ici les caractéristiques de la

politique menée dans la première période, avant d'étudier plus au fond le problème de l'individualisation des salaires qui marque la seconde.

Marquées au niveau du pays par la décélération rapide et importante de l'inflation, les années 1982-1985 à la CGR ont été celles où l'entreprise a été remise sur de nouveaux rails et est sortie du rouge. Ces deux phénomènes se sont combinés et épaulés l'un l'autre dans leur succès. Ils constituent les deux problèmes de fond qui ont dominé les négociations salariales et au nom desquels des sacrifices financiers et d'emploi étaient imposés au personnel. Il était clair, pour les syndicats mais y compris pour la direction, que contracter sur les salaires, dans ces conditions, était une gageure. Et de fait, si des négociations ont bien eu lieu, aucun accord sur les salaires n'a été signé à la CGR au cours de ces années. Il faut noter à ce propos que la direction n'a pas non plus cherché dans ce domaine à sortir des sentiers battus, à proposer des formules de fonds salariaux par exemple - pari en quelque sorte sur le redressement de la société - (dont l'idée avait été avancée par la Confédération CFDT en mars 1983).

Les caractéristiques de la politique salariale menée à cette période ont été que l'effort demandé à tout le personnel par la direction sur les salaires a été décidé après écoute et négociation avec les organisations syndicales, accompagné de mesures de justice pour les bas salaires les plus touchés. Mesures, qui, jointes aux indemnités non hiérarchisées en faveur de la mobilité et de l'emploi du Constat des Modalités de Mutation, à la suppression des augmentations généralisées, à l'effort de remise en ordre et d'amélioration des grilles de classifications,... ont pu apporter le sentiment d'une certaine justice et solidarité dans l'effort qui a certainement favorisé la participation collective de tous les salariés au redressement, et à sa réussite. C'est la leçon principale de cette période, qui sera confirmée a contrario au tout début 86 quand la direction tentera, comme nous allons le voir dans point 1.2 suivant, d'imposer autoritairement une politique d'individualisation totale prenant le contre-pied de cette unité et de cette solidarité au sein du personnel, croyant sans doute que c'était l'individualisation qui est le facteur principal de l'efficacité économique.

L'individualisation et les grilles de salaire

En réalité, et l'exemple des grilles de salaire que nous allons voir le montre bien aussi, ces mesures de division, ces tentatives de mise en concurrence des salariés d'une même équipe de travail par la multiplication des échelons pour un même coefficient hiérarchique, par des écarts très importants de salaire pour un même travail ou la même qualification, aboutissent en fait au résultat inverse de l'effet recherché.

A l'usine de Stains par exemple, les grilles de salaires pour les ouvriers ou pour les administratifs-techniciens comportaient jusqu'à plus de neuf échelons et les écarts de salaires atteignaient plus de 30% du salaire pour un même coefficient de qualification, si bien que les classifications ne correspondaient plus en fait aux qualifications. Cet exemple de division des salariés conduisait à ce qu'il y avait plus de 73 positions de classement pour les ouvriers et 120 pour les employés et les techniciens. Devant cet anarchie préjudiciable à la responsabilité professionnelle des salariés la nouvelle direction mit fin à ce système et après des négociations redéfinit les grilles ouvrières à la satisfaction du personnel.