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R ELATIVISME CULTUREL OU DIVERSITE CULTURELLE ?

SECTION III. LE RETOUR EN FORCE DU RELATIVISME CULTUREL

B. R ELATIVISME CULTUREL OU DIVERSITE CULTURELLE ?

Le relativisme culturel ne saurait être invoqué pour ne pas respecter les droits de l’homme des LGBT610et justifier les violations qu’ils subissent dans la jouissance de leurs droits.

Nous considérons, en l’espèce, que le relativisme culturel, qui doit être distingué de la diversité culturelle, est une menace pour les droits de l’homme, car il s’agit d’un discours qui vise à s’affranchir des droits de l’homme. Interpréter les droits de l’homme à la lumière de pratiques qui les remettent en cause, alors que l’État a accepté des obligations internationales reconnaissant ces droits, est difficilement acceptable. En effet, on ne saurait admettre que des pratiques attentatoires à la dignité humaine, telles que les violences subies par les LGBT, l’emprisonnement de ces personnes et les discriminations dont elles font l’objet, puissent être justifiées par le relativisme culturel. Nous rejoignons ainsi Rosa Freedman lorsqu’elle affirme que « the notion of cultural relativism is one of the main obstacles to universal human rights protection and promotion611».

Selon nous, le relativisme culturel n’a aucune place dans l'édification de l’universalité des droits de l’homme. Il n’est ni plus ni moins qu’un détournement et une instrumentalisation de la diversité culturelle. En effet, lorsque la diversité culturelle devient un prétexte pour justifier les violations, il n’est plus question de diversité culturelle, mais de relativisme culturel. La diversité culturelle ne saurait être instrumentalisée pour s’opposer à l’universalité des droits de l’homme. Elle est, au contraire, indispensable à sa construction et à sa consolidation. C’est essentiellement dans cette optique que la diversité culturelle prend tout son sens.

Le cadre international agréé au niveau onusien est clair à ce sujet. On ne peut invoquer la diversité des cultures pour nuire aux droits de l’homme universellement acceptés. En effet, aux termes de la Déclaration et du Programme d’Action de Vienne, « même s’il convient de ne pas perdre de vue l’importance des particularismes nationaux et régionaux et la diversité historique, culturelle et religieuse, [...] il est du devoir des États, quel qu’en soit le système politique, économique et culturel, de promouvoir et de protéger tous les droits de l’homme et toutes les libertés fondamentales612». De même, dans la Déclaration et le Programme d’action de Beijing, il est demandé aux États de s’abstenir d’invoquer la coutume, la tradition ou la religion pour se soustraire à l’obligation d’éliminer la violence à l’égard des femmes.

En 2012, dans son rapport sur les valeurs traditionnelles élaboré à la demande du Conseil, en vertu de sa résolution 16/3, le Comité consultatif rappelle que « nul ne peut prétexter de la diversité culturelle pour porter atteinte à des droits de l’homme garantis par le droit international ou pour en limiter la portée et la diversité culturelle ne devrait pas être utilisée pour soutenir [...] des pratiques traditionnelles néfastes visant, au nom de la culture, à consacrer des différences qui vont à l’encontre de l’universalité, l’indissociabilité et l’interdépendance des droits de l’homme613». Le Comité consultatif du Conseil considère ainsi que « la réalisation des droits [...] est un processus difficile et permanent dans lequel les États […] coopèrent à l’échelle universelle. [...] La communauté internationale est parvenue à un consensus selon lequel toute personne [...] a le droit de jouir de tous les droits de l’homme. [...] Les États sont tenus de prendre des mesures soutenues et systématiques en vue de modifier ou d’éliminer [...] les valeurs et pratiques traditionnelles négatives614. »

610

Conseil de l’Europe, Assemblée parlementaire, « Réaffirmer le caractère universel des droits de l’homme », rapport d’information, Commission des questions politiques et de la démocratie, document 12826, 13 février 2012, par. 7, disponible sur http://assembly.coe.int/ASP/XRef/X2H-DW-XSL.asp?fileid=13078&lang=FR.

611

Rosa Freedman, Failing to protect: the UN and the politicisation of human rights, op. cit., p. 38.

612

A/CONF.157/23, 12 juillet 1993, par. 5.

613

Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme, « Étude préliminaire de la façon dont une meilleure compréhension des valeurs traditionnelles de l’humanité peut contribuer à la promotion des droits de l’homme et des libertés fondamentales », A/HRC/AC/9/2, 1erjuin 2012, par. 10.

614

Le Conseil lui-même l’avait souligné dans ladite résolution, où il rappelle que « les traditions ne peuvent être invoquées pour justifier des pratiques préjudiciables portant atteinte aux normes et règles universelles relatives aux droits de l’homme615».

En l’espèce, nous partageons l’avis de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, qui estime que « pour que les droits de l’homme puissent être considérés comme véritablement universels, il est nécessaire qu’ils s’enracinent dans des cultures différentes616». L’universalité n’a en effet de sens que si elle laisse une place à la diversité et au pluralisme617. Comme l’affirme Mikael K. Addo : « The universal respect for human rights is a social construct to which the diverse human rights actors are invited to contribute. The universality of human rights, according to this approach, is therefore a prospective and evolving process rather than set out in a particular cultural tradition618. » Il rappelle que les organes de traités s’étant penchés sur cette question considèrent que la diversité culturelle et le respect universel des droits de l’homme sont complémentaires et se renforcent mutuellement, bien qu’ils soulignent la nécessité de mettre un terme aux pratiques culturelles contraires aux droits de l’homme619.

Sur ce point, il faut admettre que certains Etats, y compris les États occidentaux ont du mal à accepter que les droits de l’homme universels puissent être définis sur la base de perceptions qui sont différentes des leurs. L’impression qui se dégage parfois, au niveau onusien, est que la prise en compte des différences culturelles est une menace pour les droits de l’homme universels, et si ces dernières doivent être prises en compte, cela doit se faire dans la lignée des paradigmes occidentaux. Paul Löwenthal écrit ainsi : « Il nous faut, Occidentaux, à la fois admettre que nos valeurs, notre conception de la dignité humaine et notre doctrine des droits de l’homme sont les nôtres, et que pourtant elles doivent être universelles : c’est, pour nous, non négociable620. »

À ce propos, Makau Wa Mutua estime qu’il est important d’intégrer tous les points de vue et de ne pas s’en tenir à unmodèle unique qui serait immuable. Il indique ainsi que « the paradox of the [human rights] corpus is that it seeks to foster diversity and difference but does so only under the rubric of Western political democracy. In other words, it says that diversity is good so long as it is exercised within the liberal paradigm, a construct that for the purposes of the corpus is non-negotiable. The doors of difference appear open while in reality being shut621. » Il souligne en outre : « Those same people who have embraced the corpus also seek to contribute to it [...]. The human rights movement must therefore not be closed to the idea of change622. »

Dès lors, la diversité culturelle ne doit pas effrayer, sous prétexte que certains États l’utilisent pour parler en fait de relativisme culturel. Inversement, au lieu de chercher à contourner leurs obligations internationales à l’égard des LGBT en invoquant le relativisme culturel et l’impérialisme culturel occidental, les États prônant le respect des valeurs traditionnelles devraient plutôt se pencher sur la manière dont ils pourraient enrichir le socle universel des droits de l’homme qu’ils ont, au fur et à mesure, contribué à édifier, y compris en adhérant aux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme de l’ONU. Comme l’indique Jospeh Yacoub : « Le défi actuel consiste à élargir les droits universels à la diversité des cultures [...] Il ne faut pas s’en tenir à l’ethnocentrisme occidental ni à l’absolutisme des traditions culturelles623. »

615

Conseil des droits de l’homme, « Promotion des droits de l’homme et des libertés fondamentales par une meilleure compréhension des valeurs traditionnelles de l’humanité », A/HRC/RES/16/3, 8 avril 2011, préambule, disponible sur http:// ap.ohchr.org/documents/dpage_e.aspx?si=A/HRC/RES/16/3.

616

Conseil de l’Europe, Assemblée parlementaire, « Réaffirmer le caractère universel des droits de l’homme », op. cit., document 12826, 13 février 2012, par. 33.

617

Voir Tamara Relis, « Human Rights and Southern Realities », Human Rights Quarterly, vol. 33, n° 2, 2011, p. 509- 551.

618

Michael K. Addo, « Practice of United Nations Human Rights Treaty Bodies in the Reconciliation of Cultural Diversity with Universal Respect for Human Rights », op. cit., p. 661.

619

Idid., p. 664.

620

Paul Löwenthal, « Ambiguïtés des droits de l’homme », Revue droits fondamentaux, n° 7, janvier 2008-décembre 2009, p. 12, disponible sur http://www.droits-fondamentaux.org/IMG/pdf/df7pladh.pdf.

621

Makau Wa Mutua, « Politics and Human Rights: An Essential Symbiosis », in Michael Byers (éd.), The Role of Law

in International Politics: Essays in International Relations and International Law, Oxford University Press, Oxford, 2000,

354 pages, p. 149-175, p. 174.

622

Ibid., p. 173.

623

Joseph Yacoub, Réecrire la Déclaration universelle des droits de l’homme, Desclée de Brouwer, Paris, 1998, 107 pages.

Selon nous, en politisant la question de l’orientation sexuelle, les États qui se dissimulent derrière le relativisme culturel sous-estiment leur propre potentiel. En effet, s’ils le souhaitaient, ils pourraient devenir des acteurs clés de l’élaboration des droits de l’homme universels de demain, qui intégreraient réellement les cultures et les traditions de toutes les régions du monde dans ce qu’elles ont de meilleur pour chaque individu, dont la dignité est non négociable. Ainsi, Makau Wa Mutua écrit : « It is important that conversations about human rights should not be singularly obsessed with the universalization of one or another cultural model. On the contrary, the overriding objective of actors in this discourse should be the conceptualization of norms and political models whose experimental purpose is the reduction, if not the elimination, of conditions which foster human indignity624. » La construction et la consolidation de l’universalité face à la politisation constante des droits de l’homme représentent donc le défi majeur des années à venir. Comme le notait Stéphane Hessel : « Rien n’est acquis, tout reste à construire ou à consolider. Les droits de l’homme restent un combat toujours recommencé625. »

624

Makau Wa Mutua, « Politics and Human Rights: An Essential Symbiosis », op. cit., p. 174.

625

Conclusion du chapitre I

Le compromis de Vienne portant sur l’universalité, l’indivisibilité, l’interdépendance et l’indissociabilité des droits de l’homme est fragilisé par la politisation. On assiste à une hiérarchie entre les droits civils et politiques et les droits économiques, sociaux et culturels. La reconnaissance et la mise en œuvre des droits économiques, sociaux et culturels sont encore limitées, et ces droits font l’objet d’une instrumentalisation politique dans l’enceinte du Conseil. Par ailleurs, en raison de la politisation, les groupes continuent d’être marginalisés, n’ayant pas toujoursla faveur des États dans l’approche qu’ils retiennent des droits de l’homme.

La politisation se poursuit également sous les traits du relativisme culturel. Le relativisme culturel est incontestablement une menace pour l’universalité des droits de l’homme, étant donné qu’il a pour objectif de s’affranchir des droits de l’homme. Il doit être distingué de la diversité culturelle qui a toute sa place dans la construction de l’universalité des droits de l’homme.

CHAPITRE II.

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